Le 1er août 2009
Objet :
« Euthanasie et "Grosses têtes" »
Monsieur Patrick Pelloux
AMUF
Courriel:
Monsieur,
L’écoute fortuite, au cours de la nuit du 31 dernier, de la rediffusion de l’émission de RTL, Les grosses têtes, dont vous fûtes l’invité, me fournit une excellente occasion de vous rappeler mon courrier du 1er janvier dernier accompagné de ma lettre du 18 septembre 2008 à Nicolas Sarkozy, ayant précisément pour objet « Philosophie, euthanasie et "débilité intellectuelle" »
Dans ce courrier toujours sans réponse à ce jour, mais encore à votre disposition, et sauf à vous de penser que je serais assez stupide pour écrire aussi longuement à un chef d'Etat afin de lui raconter seulement des balivernes, ce qui n'est pas du tout corroboré par le récépissé officiel de l'Elysée en date du 13 novembre 2008, je dénonçai sans ambiguïté la position française en matière d'euthanasie. En effet, outre que certains de nos voisins ont choisi une toute autre voie, elle se fonde essentiellement sur les fictions de la superstition moraliste, et notamment sur celle des « soi-disant » Bien et Mal absolus - or, philosophiquement parlant, « deux » absolus, c’est une impossibilité absolue par définition, ainsi que Spinoza l’a démontré more geometrico !
Je m'en étais très longuement expliqué dans ma lettre à Nicolas Sarkozy, laquelle visait aussi à le renvoyer à sa promesse de campagne du 11 février 2007, où il avait déclaré publiquement :
« On ne peut pas rester les bras ballants face à la souffrance d’un de nos compatriotes qui en appelle à ce que ça se termine. »
Ségolène Royal avait également fait sienne cette même intention dans une lettre adressée, le 16 mars 2007, à Jean-Luc Romero, président de l’ADMD, où elle écrivait :
« Je veux que nous allions courageusement au bout du débat pour pouvoir mettre en place, comme l’ont fait d’autres pays européens, une législation qui permette d’apaiser les souffrances les plus intolérables. »
Si j’en juge par la dernière mouture de la loi Leonetti confortant simplement sa position moralisatrice antérieure, je suis bien obligé de constater que ce qui paraissait être « moralement bien » pour les deux candidats de l’époque, et sans aucune restriction, est redevenu sans débat, voire obstination dans le silence, « moralement mal » aujourd’hui, puisque rien n’a changé entre-temps, en dépit des promesses de campagne. Mais il est vrai que la superstition idéologique, qui préside aux consultations électorales, ne vaut guère mieux que les autres modes d’expression de la Superstition, religion incluse – et pourtant celle-ci pèse de tout son poids, énorme, pour freiner l’adoption d’une loi sur l’euthanasie, qui aurait par ailleurs le mérite de montrer que chaque Etat n’agit pas à hue et a dia dans ce qui se veut être une Union européenne !
Après ces considérations de fond, dont j’attends vos éventuelles objections, intellectuellement et philosophiquement étayées, j’en viens à vos propos tenus au cours de l’émission de RTL. J’y ai particulièrement relevé votre allusion à Vincent Humbert, dont vous laissiez sous-entendre que ce pourrait être un cas où l’euthanasie serait susceptible d’être appliquée, et pour ma part je n’en ai jamais réclamé davantage jusqu’ici.
En effet, Chantal Sébire et Rémy Salvat ont prouvé qu’ils pouvaient se passer de l’hypocrisie de la société politique, puisqu’ils ont solutionné tout seuls leur problème, sauf qu’ils ont été contraints de précipiter leur mort par crainte de se retrouver dans l’incapacité de le faire eux-mêmes plus tard, et donc d’être dépendants jusque-là - c’est ainsi qu’un jeune homme de 24 ans a décidé de mourir sur le champ, alors qu’il lui restait encore, probablement, de belles années à vivre ! MERCI à vous, les « vertueux » pour ces morts précoces ! ! !
Je m’inscris d’ailleurs en faux contre votre propos laissant sous-entendre que le cas extrême de Vincent Humbert serait prévu par la loi Leonetti. Pour l’établir, je me borne à reproduire un court extrait de ma lettre du 26 mars 2008, où j’écrivais notamment au député des Alpes-Maritimes :
« Pour en venir à la question de l’euthanasie, ses adversaires se retranchent, qui, derrière l’éthique médicale à l’exemple de Patrice Pelloux, qui, derrière des abus éventuels, d’autres derrière le Dieu des religions, lequel, ayant donné la vie, serait seul légitimé à la reprendre, paraît-il. Toutefois, les opposants à l’euthanasie ne sont jamais à court d’arguments pour justifier qu’ils auraient (eux, si humains !) laissé Vincent Humbert vivre comme un légume pendant quarante ans ou plus, sans bouger ses membres, sans voir (imaginez l’angoisse !), sans parler, sans pouvoir effectuer seul les actions intimes les plus élémentaires, tout en assistant quotidiennement à sa déchéance progressive, et pour résumer : 100% dépendant pour tout, 24 heures sur 24, ad vitam aeternam !
Est-ce donc vraiment la fin de vie, dont vous rêvez pour vous en pareil cas, afin de la poursuivre jusqu’au bout pour rester conforme, en bonne logique, à vos convictions d’aujourd’hui ? Au vu du calvaire que vous auriez fait endurer à Vincent Humbert, pendant des décennies peut-être, n’allez plus dire aux citoyens-électeurs que « vous aimez les gens », pas plus que Patrice Pelloux, d’ailleurs ! Qui êtes-vous donc, vous les soi-disant bienpensants hypocrites, pour vous autoproclamer porte-parole de l’Idéal, alors que vous exprimez seulement votre conception personnelle, subjective, « relative » d’un Idéal qui, certes, inspire le moindre de nos concepts (liberté et égalité, par exemple), mais demeure à jamais un « royaume, qui n’est pas de ce monde », comme l’enseignement du Christ aurait dû suffire à vous le faire comprendre et accepter ? ! ! !
Or, vous fonctionnez à l’encontre de sa Parole de vérité, car si vous n’aimez pas réellement les gens, vous aimez la gloriole, les hochets du pouvoir, le confort matériel de la situation et autres joujoux, dont vous êtes mieux à même de juger que moi ! Toutefois, en égoïste qui s’assume, je ne vais pas reprocher aux Autres un égoïsme en tout point semblable au mien, mais je suis en droit de dénoncer la lâcheté et la malhonnêteté intellectuelles de tous ceux qui font, hypocritement et mensongèrement, l’opinion, sans avoir le courage de débattre ! ! !
Par chance pour lui, si je puis dire, Vincent Humbert a eu une mère « vraiment » aimante et combattive, au point d’accepter de se séparer d’un fils de vingt ans, car elle avait compris son désir et son intérêt véritable. Grand merci aussi au docteur Frédéric Chaussoy d’avoir montré que des hommes de l’ombre pouvaient être mille fois plus humains que nos décideurs professionnels de la politique, du monde médical, et certains médias, à commencer par le nouvel Observateur et son directeur-fondateur Jean Daniel !
Quant à Chantal Sébire, encore si jeune, elle aurait eu, par la grâce de « vertueux », tels que Patrice Pelloux et vous, le « plaisir » de vivre pour contempler dans son miroir pendant encore des années, voire des décennies, son visage de plus en plus déformé – un des supplices, peut-être, le plus difficile à supporter pour une femme, sans oublier l’atroce douleur que rien ne semblait calmer totalement, sauf mauvaise information de ma part.
Mais il est vrai qu’en matière de prévention de la douleur, quand on a entendu un ancien ministre de la Santé, très médiatisé par ailleurs, déclarer sans sourciller sur une chaîne télévisée : « On ne savait pas que les enfants souffraient. » (Sic !), on a tout compris de nos soi-disant « élites », qui décident de ce qui est bien ou mal pour nous - y compris à propos de notre mort et de notre souffrance ! Et le fait d’être à la place où elles sont, fut-ce par la volonté populaire, ne leur a jamais donné le droit de dire le Bien ou le Mal absolus, puisque l’Absolu ou Idéal n’est définitivement pas de ce monde ! Alors, qu’elles cessent leur discours moralisateur bienpensant, car elles n’expriment rien d’autre que leur point de vue « relatif » - jamais l’Idéal « en soi » ! ! !
Face à tous les arguments et autres arguties proposant la solution unique des soins palliatifs, par ailleurs très insuffisamment développés en France, je me borne à vous renvoyer à la question : « Comment font donc les Belges, les Luxembourgeois et les Suisses, citoyens de pays tout aussi démocratiques que le nôtre, avec leur autorisation légale d’aider une personne à mourir dans la dignité, c’est-à-dire en abrégeant des souffrances intolérables, et en lui évitant le triste spectacle de sa dégradation annoncée ? »
Ils ont dû sûrement avoir conscience aussi des dérives et des abus éventuels, des réserves présentées par la superstition religieuse, et soulever également l’objection de l’éthique médicale. A propos de cette dernière, le problème est que la réponse est, non seulement fournie par le corps médical, dont les membres sont majoritaires au sein du Comité consultatif national d’éthique, mais elle est également l’émanation du penser superstitieux. Et ce n’est pas le Comité consultatif national d’éthique qui sera légitimé à me contredire, car j’attends toujours sa réponse à mes lettres des 7 octobre 2007 et 13 janvier 2008, dans lesquelles je dénonçais la superstition moraliste fondée seulement sur trois fictions, ainsi que je l’avais démontré – sauf au CCNE d’établir le contraire !
Dans l’incertitude de votre réponse et de vos objections éventuelles, au vu de l’expérience précédente, je n’entends pas reprendre ici l’intégralité des arguments présentés au CCNE, et je me borne à mentionner les trois fictions qui régissent la marche morale du monde, depuis la nuit des temps : une preuve, s’il en est, que notre époque n’est pas moins obscurantiste que les précédentes, ainsi que les suivantes en jugeront au fil des siècles ! » [Fin de citation]
Croyez-vous donc vraiment que le docteur Leonetti serait resté sans rien dire face à des propos aussi virulents, s’il avait eu réellement quelque chose à objecter sur le fond ? Je pense avoir également répondu par la même occasion à votre objection relative au serment d’Hippocrate, mise en avant pour refuser de pratiquer l’euthanasie, car l’exemple du docteur Frédéric Chaussoy montre que certains praticiens sont capables de faire passer d’abord leur humanisme avant une quelconque promesse de jeunesse - et d’autant plus, dans un monde de promesses comme celles de Nicolas Sarkozy et de Ségolène Royal en matière d’euthanasie, précisément !
Dans l’attente de vos éventuelles objections intellectuellement et philosophiquement étayées, à défaut de quoi vous manifesteriez l'expression de votre penser superstitieux, je vous remercie de votre attention et vous prie d’agréer, Monsieur, mes salutations distinguées.
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