MAT
Ronan Bennett,
Editions Sonatine, 22 €, mai 2009, 300 pages
Romancier, scénariste et historien irlandais, Ronan Bennett est issu d’une famille catholique. Victime d’une erreur judiciaire puis mis en prison, il est acquitté en 1979. Il a édité depuis cinq romans où il aime traiter d’histoires politiques comme dans Catastrophist paru en 1998. Mat, paru outre-manche en 2007, est son premier roman traduit en France, chez Sonatine.
Un thriller historique palpitant entre psychanalyse et politique…
L’histoire se déroule entre mars et avril 1914 à Saint-Pétersbourg. Les tensions sociales ou la menace d’un conflit européen sont palpables mais n’écrasent pas le récit. La vie dans la petite « Venise du Nord » s’écoule tranquillement, au moins extérieurement. Le docteur Otto Spethmann, psychanalyste juif à la renommée internationale, après la mort de sa femme, n’a que deux obsessions dans sa vie : sa fille et ses patients. Parmi eux, il y a le brillant joueur d’échecs Rozenthal qui souffre de dépression nerveuse et le défi du docteur est de le mettre dans les meilleures conditions pour participer au grand tournoi international qui va se tenir dans la ville fondée par Pierre le Grand en 1703. L’enjeu est rendu bien plus compliqué quand des meurtres a priori sans rapport à son affaire médicale s’invitent dans la partie.
Il faut féliciter la qualité de la traduction qui restitue la fluidité du texte original, la mécanique efficace de l’intrigue. Le retour dans les mois précédant la Première Guerre mondiale est remarquable de précisions : l’écrivain, en historien d’abord, a su s’appuyer sur une somme d’informations considérables et saisir l’esprit du temps, décrire l’époque troublée d’une Russie inquiète traversée par les mouvements révolutionnaires, la terreur instituée par l’Okhrana (1) ou la haine antisémite séculaire. Le talent de l’auteur est de ne jamais enfermer les personnages dans un déterminisme calculé. Tout peut vaciller. C’est un roman politique, d’espionnage et de fausses apparences où les combats pour le pouvoir enserrent les individus pour les engloutir dans les mailles idéologiques du XXe siècle naissant (2).
…avec, à la manœuvre, des joueurs d’échecs hors-pair.
Ce qu’il y a de remarquable également, c’est la disposition des histoires qui se croisent comme sur un plateau d’échecs et qui, comme dans le jeu, loin de céder au hasard, créent des liens complexes et dangereux entre les personnages. On suit avec un vif intérêt, durant tout le roman, la partie engagée par Otto Spethmann et Kopelzon, son ami musicien, perturbée régulièrement par d’importuns visiteurs. Le roman par endroit rappelle, dans un temps plus court, celui de Katherine Neville, Huit, où il est question de jeux d’échecs qui tissent la trame d’intrigues politiques, sur plusieurs siècles.
Roman psychologique et envoûtant, l’écrivain ne nous égare jamais dans les rues de Saint-Pétersbourg, la ville des Romanov, déjà tant chargée d’histoires à la veille de la Grande guerre. On espère que les éditions Sonatine auront encore la bonne idée de faire connaître en France les autres romans de Ronan Bennett qu’on attend avec grande impatience.
(1) Organisme tsariste créé en 1881 pour assurer des missions de police politique qui inspira la Tcheka, son équivalent du régime bolchevique, née en décembre 1917.
(2) En attendant en France les manifestations culturelles marquant « l’année de la Russie » en 2010, on peut conseiller, pour mieux connaître ce pays, la lecture du magazine L’Histoire qui vient de publier à son sujet un numéro spécial (L’Histoire n° 344, juillet-août 2009).