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Pierre Michon, cinquième

Publié le 04 août 2009 par Irigoyen
Pierre Michon, cinquième

Pierre Michon, cinquième

J'ai déjà souligné, dans des chroniques précédentes, le goût de l'auteur pour ce qu'Agnès Castiglione appelle la « formule de l'enchâssement », ce « récit de récit » - Pierre Michon : naissance et renaissances, Publications de l'Université de Saint-Étienne -. Cela se vérifie encore ici, dans la première partie du livre intitulée Trois prodiges en Irlande.

Nous continuons de suivre le « guide » qui nous emmène d'abord en terre celtique entre le cinquième et le septième siècle.

Dans Ferveur de Brigid, Pierre Michon s'intéresse à l'aînée de trois filles du roi Leary. Il construit un texte en se basant sur le corpus d'un homme d'église afin d'authentifier le récit : « Muirchu, abbé, raconte que... ». L'action se déroule à Dun Loaghaire. Brigid va se baigner avec ses deux sœurs dans la rivière. Arrive Patrick, archevêque d'Amagh, qui vient convertir les rois paganistes. Patrick est un personnage intéressant car il attend désespérément qu'un vrai miracle arrive. Il se retrouve « confronté » à cette jeune fille qui ne cesse de dire qu'elle veut voir le Dieu de Patrick face à face.

Entrée en matière encore déroutante où l'on remarque toujours l'importance des sonorités chez Pierre Michon. Dans le numéro douze de la revue Siècle l'auteur dit à ce propos : « Les sonorités verbales décident autant que le sens, et la chance, l’humeur, l’euphorie. On ne sait pas d’où ça vient. ». Je suis particulièrement sensible à cette musique michonienne qui vous berce et vous surprend toujours, en particulier lorsque l'auteur semble réapparaître en lâchant un reconnaissable « on peut imaginer » en plein milieu d'un récit.

Dans Légèreté de Suibhne, le narrateur se réfère cette fois à un autre texte pour entamer son histoire: « Les Annales des Quatre Maîtres racontent... ». Autre récit, autre face à face, entre deux hommes cette fois : Suibhne, roi de Kildare qui prend les armes contre le frère de l'abbé Fin Barr, roi de Lismore. Les deux hommes vont se combattre et mourir.

J'ai été très envoûté par Tristesse de Columbkill qui débute par : « Adomnan raconte que... ». Il est question ici de Saint Columba d'Iona qui recopie le texte d'un psautier. Finian, qui lui avait pourtant interdit de le faire parce qu'il veut rester le seul et unique propriétaire du texte, le prend la main dans le sac. Les deux hommes décident de faire arbitrer leur différend par le roi Diarmait qui tranche en faveur du second. Saint Columba récupérera finalement le texte et s'exilera sur une île où il réalisera le fossé qu'il y a entre un livre découvert en cachette et le fait de le « posséder ».

« Columbkill relève la tête, il entend le râle des blessés et la joie des corneilles. Il sort de sa tente, il ne pleut plus : et même là-haut de grands morceaux de bleu voyagent par dessus l'étable de la mort. Le livre n'est pas dans le livre. Le ciel est un vieil endroit bleu sous lequel on se tient nu, sous lequel ce qu'on possède fait défaut."

On reconnaît bien là Pierre Michon dont le texte semble faire écho à une phrase de Caroline Callard dans le numéro 694 de la revue Critique – mars 2005 – :

« Les temps reculés, les lieux anciens ne sont pertinents que dans la mesure où l'auteur estime pouvoir y projeter ce qu'il a vécu. »

La deuxième partie de Mythologies d'hiver s'intitule Neuf passages du Causse.

On y rencontre Barthélémy Prunières, anthropologue, qui cherche des hommes morts avant de mourir lui aussi ; Saint Hilère qui a fondé une communauté de frères sur les bords du Tarn, en proie à des images de femmes nues et qui se demande si cette pensée est de Dieu ou du diable, deux substantifs dont on pourra, au passage, remarquer qu'ils ne sont pas tous les deux dotés d'une majuscule ; Enimie, Simon, Sancta Enimia, petite-fille de Frédégonde, fille de Clotaire II, roi de Paris qui remporte la guerre contre le roi de Metz et obtient des prieurés dont il confie l'administration de l'un d'entre eux à Enimie avant qu'elle ne meure de la lèpre ; Bertran, bayle de Guillaume, évêque de Mende, las de constater que le flot de paroles écrites passant par ses mains ne lui appartiennent pas, se voit confier la traduction en langue vulgaire de la vita Sancta Eminia pour que les barons, très procéduriers, cessent de contester aux abbés la propriété de la fontaine de Burle.

Et puis il y a aussi les vies de Seguin, d'Antoine Persegol, d'Édouard Martel dont le récit bref qu'en fait l'auteur montre à l'évidence que Pierre Michon occupe une place vraiment très à part dans la littérature.


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