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Pierre Michon, onzième

Publié le 05 août 2009 par Irigoyen
Pierre Michon, onzième

Pierre Michon, onzième

Quel titre là-encore ! Énigmatique, forcément, pour quiconque connaît mal l'œuvre de Pierre Michon. On débute la lecture et il est d'emblée question de filiation. Les premiers mots vont à Vitalie. Vitalie Rimbaud, la maman du poète. Et puis viendra le père, sans prénom, dont on ne retient que le grade, celui de « capitaine ». Mais laissons cela de côté car c'est une autre filiation qui intéresse ici l'écrivain :

« Il y a la filiation avec Malherbe, Racine, Hugo, Baudelaire et Banville: filiation « canonique » qui fait s'échauffer couple à couple les douze pieds, tous venus de là, tous enfilés sur la grande tringle à douze pieds comme d'éclatants anneaux divers mais semblables. « Le long cordon ombilical » qui remonte à Virgile et Homère. »

Incroyable départ, là encore, qui installe peut-être aussi la filiation de Pierre Michon - qui n'a pas connu son père - au poète.

Rimbaud le fils donc mais le fils de quoi ? Est-il « l'enfant » de Georges Izambart, son professeur de rhétorique à Charleville et « qui voulait être Shakespeare » ? Est-il « l'enfant » de Théodore de Banville - « On ne dit plus rien de Banville, lui aussi pissa dans un violon », « Si on en croit les morceaux d'anthologie (...) Banville n'était pas un poète faramineux » -.

Je terminais la chronique précédente en disant que chez Pierre Michon il y avait toujours une question. En voici une nouvelle preuve dans ce livre. Qu'est-ce qu'un poète ? C'est quoi la poésie - mêmes questions quand il s'agit de peinture, de littérature – ? Quelle est donc cette « langue de la langue » ? Et comment celle-ci se transmet-elle ?

Comme d'habitude on se laisse avoir. Mais que vous, futurs lecteurs de Pierre Michon soyez prévenus : il ne s'agit pas d'une biographie. Ne vous imaginez par que l'écrivain va vous proposer une vie du grand Arthur sans vous mettre à contribution. Cette mise à contribution passe par un effet de surprise quasi-permanent : on s'abandonne à la musique des mots et voilà que le narrateur bute ou fait semblant de buter sur cette biographie.

Dans le numéro 694 de la revue Critique, on peut lire les lignes suivantes :

« En faisant de l'échec du récit biographique la péripétie du récit, l'auteur expose à la fois la mise à distance des éléments référentiels du récit et l'impossibilité de s'en passer. »

Plus loin :

« Ce n'est pas la construction du mythe qui intéresse l'écrivain, mais la glose de l'écrivain qui fait des éléments de la biographie de Rimbaud une Vulgate, l'intronise comme texte sacré, mythique. »

D'où la nécessité de ne pas plonger aveuglément dans les livres de Pierre Michon, à moins que vous soyez un puits de science comme lui. Je pense qu'il est en effet impossible de se contenter d'une seule et unique lecture de ses livres tant il y a à prendre dans ses récits.

Alors on relit la biographie d'Arthur Rimbaud, la « vraie », où l'on retrouve Verlaine, bien sûr. Mais chez Pierre Michon l'évocation est brève, très brève. Sans doute parce que ses questions déconstruisent l'idée même d'évidence – on goûtera avec délice dans les lignes suivantes l'évocation qu'il fait de deux personnages déjà évoqués dans un livre précédent, Maîtres et serviteurs - :

« Enfin par Verlaine on sait très précisément qu'il ressemblait de façon frappante au Gilles de Watteau, à s'y méprendre si d'aventure le Gilles déambulait dans Paris – qu'il ressemblait donc à Charles Carreau, curé de Nogent-sur-Marne et modèle de Watteau. »

Mais alors, au final, cette filiation ?

Dans Les chemins de Pierre Michon, Jean-Pierre Richard écrit :

« Le poète ou l’écrivain est comme un fils qui a trouvé et perdu un père et qui tenterait de s’équivaloir à lui. »

Ce à quoi Pierre Michon répond :

« Rimbaud ne put accepter de devenir le fils de ses oeuvres, c'est-à-dire en accepter la paternité. »

Je n'ai jamais été aussi bouleversé par des mots.


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