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"Inoubliables et sans nom", de Bernard Bretonnière (lecture d'Antoine Emaz)

Par Florence Trocmé

Bretonniere Vues minuscules. Le livre est constitué de courts paragraphes qui sont autant de rencontres au quotidien avec des gens de tous les jours. Cela pourrait paraître banal ; tout tient à la qualité de l’observation. Or Bretonnière sait piquer comme des papillons ces moments qui sauvent ou gâchent la journée, ces détails dans le comportement ou le langage qui révèlent une personnalité, voire une vie. On pense aux poèmes en prose de Godeau, ou aux « instants » de Follain : il s’agit de saisir l’humanité ordinaire (dont l’auteur ne s’exclut évidemment pas) dans ses menus bonheurs ou ses détresses. Ce que ne supporte pas Bretonnière, c’est la bêtise, la prétention, la vanité, mais il a une vraie tendresse pour les éclopés de l’existence ou ceux qui savent rire, peuvent et veulent être heureux. Cependant, malgré l’humour, la tonalité dominante reste celle d’une certaine fadeur de vivre, comme si l’on passait le plus souvent à côté d’exister, emportés par le rythme de la vie active, ou englués dans le temps mou de la routine. « Sur le visage de la patronne de l’hôtel où je m’arrête un quart d’heure pour prendre mon petit déjeuner, se devinent des trésors de tristesse. Je ne m’emploie pas à imaginer ce qu’elle a vécu en quarante-cinq ans, je me désole plutôt d’une existence qui, toujours, nous interdit de nous arrêter vraiment aux autres. La tendresse fraternelle qu’engendrent immanquablement les blessures et les désillusions, lisibles ici dans les rides d’un sourire las et bon, ce matin de pluie sur la rocade, je n’y goûterai qu’en passant, comme un petit voleur à la tire. Mais que pourrais-je lui offrir, et elle me confier ? Rien, et rien. Nous ne sommes jamais que de passage, partout, pour tous, absurdement pressés. » (p. 46)
Au fond ce que propose Bretonnière dans ce livre, à travers toutes ces rencontres fugaces, au jour le jour, ce sont justement des temps d’arrêt, d’attention. Sa poésie ici n’est aucunement moralisante, mais elle est morale : il s’agit de reprendre conscience du fait que nous faisons partie d’une communauté humaine, même si la communication entre les êtres n’est pas chose facile, on ne le sait que trop. « Elle m’aime bien, la serveuse timide – cela se sent, je le sais simplement -, et moi je l’aime bien aussi, ce qui suffit, ce qui ne suffit pas. Nous nous sommes vus cent fois, à l’heure du café-crème. Ni l’un ni l’autre ne connaissons nos noms, nous ne nous connaîtrons jamais. » (p. 26)
Ce livre tourne le dos à la poésie poétique mais indique fermement que l’écriture est autant écoute de l’autre qu’expression de soi. Et ce n’est pas rabougrir la page que d’en faire un lieu commun, un moment d’humanité, pour dénoncer ou compatir, selon les rencontres.

Bernard Bretonnière
Inoubliables et sans nom
éd. L’Amourier, 70 pages, 11 €
Contribution d’Antoine Emaz


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