Avec une joie non dissimulée, nous apprenions récemment que l’une de nos formations montréalaises préférées était sur le point de lancer son premier EP. Automelodi, nouveau véhicule créatif de Xavier Paradis, déjà responsable de plusieurs projets musicaux au cours des dernières années, s’exprime maintenant avec le bien nommé Automelodi fait ses courses. Nous avons eu la chance de nous entretenir avec Xavier, et vous présentons en primeur un excellent et contagieux premier extrait du disque, Schéma corporel.
Quelle est la genèse du projet Automelodi ?
Vers 2006, par une calme nuit d’été, je fus réveillé par des sons étranges provenant d’une autre pièce de l’appartement. Leur volume était plutôt modéré, si bien que pendant quelques minutes (ou plusieurs heures à l’échelle onirique) je suis resté endormi, croyant que ces sons – cette musique en fait – tapissaient les parois de mon rêve. Quand j’ai fini par me réveiller, constatant que ça n’avait pas cessé, j’ai décidé de me lever pour trouver d’où ce chant pouvait provenir. Voyant qu’une faible lueur provenait de la cuisine, je me suis dirigé dans cette direction et j’y ai aperçu sur le plancher une petite machine de forme cubique, à peu près de la taille d’un réveille-matin (je sais, je sais…). L’appareil semblait assez “hermétique”… deux ou trois diodes électroluminescentes qui clignotaient lentement et de façon plus ou moins aléatoire et asynchrone, témoignant d’un code auquel je ne comprenais rien, et aucun bouton ou interrupteur de quelque sorte. Cherchant à y voir plus clairement, j’ai allumé la lumière dans la pièce. La machine a disparu à ce moment (évidemment).
Malgré son côté furtif, cette machine réapparaît encore depuis ce temps à intervalles irréguliers, généralement la nuit. Elle chante à chaque fois un air qui semble inspiré par celui chanté lors de son apparition précédente mais qui n’est jamais pourtant identique.
C’est l’Automelodi.
Fin de la science-fiction cheap (pour l’instant).
Votre musique affiche clairement plusieurs influences “rétro” : quelle serait leur importance dans votre création par rapport à la recherche d’un son plus actuel ?
Bon, ça y est, ça va devoir être un peu long… Il est difficile pour moi de répondre à cette question sans d’abord demander “Qu’est-ce que le rétro exactement?”… Par exemple, aujourd’hui, une quantité de musiciens qui se définissent comme pop/rock/indie baignent, voire même se noient dans des sonorités des années 60/70… il y a des cohortes de jeunes producteurs qui se plient en quatre (et ça ne me déplaît pas nécessairement…) pour sonner comme Brian Wilson en 1966… et pourtant dans ces cas personne ne pense plus à prononcer le mot “rétro”. On peut en déduire que, dans un contexte post-moderne, les idées et les sonorités des années 60 et (du début) des années 70 font maintenant partie d’un patrimoine quasiment indiscutable. Ça n’est toutefois plus le cas quand on touche à la fin des années 70 et aux années 80… soudain le terme “rétro” ressort. Je ne veux pas trop m’avancer dans le débat “historico-démographico-sociologique” (le mot composé est déjà interminable alors imaginez la discussion…) mais à mon avis, c’est en grande partie un phénomène de générations.
J’ai moi-même dans ma palette d’influences beaucoup de musiques des années 60 et 70 mais j’ai choisi de ne pas pour autant renier celles des années 80 parce qu’elles (entre autres) ont marqué mon enfance et ma jeunesse et me permettent de saisir une certaine pureté, une certaine “fragilité”. Cette notion est importante pour moi dans la musique et dans l’art en général. Dénuée de toute fragilité, la musique devient une sorte de “sport de performance” qui ne m’intéresse plus.
Un autre facteur qui fait qu’on nous attribue le terme “rétro” est peut-être ironiquement le fait d’utiliser des synthés, et pas nécessairement les plus neufs. Beaucoup de gens ont encore l’idée préconçue voulant que la musique électronique doit forcément se vouloir “très moderne” ou “futuriste”. Personnellement, mes dernières illusions futuristes relatives à la musique électronique se sont évanouies après les débuts de la scène techno/rave, vers la fin de la décennie 80, début 90… La “société des loisirs” n’est pas arrivée et nous ne sommes pas tous ensemble unis pour l’éternité à nous gaver de pilules du bonheur et à danser dans une station spatiale multicolore.
La musique électronique n’échappe pas à la rouille du post-modernisme et j’en suis très conscient. Automelodi ne cherche donc pas à faire “moderne”, “futuriste” ou “actuel”. À la limite, l’approche d’Automelodi est presque folk…en tant qu’auteur-compositeur, j’utilise des synthés et des boîtes à rythmes comme d’autres utilisent une guitare acoustique. C’est aussi pertinent… je sors dans la rue la nuit et j’entends l’onde en dents de scie d’un néon à moitié cassé qui brille au dessus de moi. Ce chant de l’enseigne néon brisée a pour moi la même fragilité, la même mélancolie que le son d’un vieux synthé mal accordé. Ça fait partie de l’environnement technologique plus ou moins “dysfonctionnel” dans lequel nous vivons et j’écris des chansons en utilisant certaines sonorités qui en témoignent. D’une certaine façon c’est très actuel… Cela dit, en même temps, l’idée de “sonner actuel” n’a pas vraiment d’importance à mes yeux. Je ne cherche pas non plus à reproduire une autre époque… Je préfère avoir une approche plus instinctive et libérée de ce genre de considérations. J’aime mieux passer mon temps à chercher des passages secrets entre les mots et les notes qu’à courir après le style musical officiel d’un présent qui sera déjà révolu quand vous aurez fini de lire cette phrase.
La musique d’Automelodi présente une instrumentation à caractère très électronique. Est-ce un défi lors de la présentation en concert ?
Oui, surtout lorsqu’on cherche à créer des sonorités hybrides où les éléments “organiques” comme la batterie et la guitare doivent créer un agencement tissé serré avec les sonorités synthétiques. Pour des raisons pratiques, de plus en plus de musiciens électroniques choisissent d’utiliser un “laptop” sur scène. Personnellement, je ne suis pas attiré par cette formule…je trouve que malgré sa petite taille, l’ordinateur portable impose souvent l’idée d’un “écran” entre le public et l’artiste. Dès le départ, nous avons plutôt voulu créer une formule où l’électronique est présente de façon plus tangible sur la scène. Nous pouvons interagir avec les machines (synthé, boîte à rythmes/échantillonneur) qui fonctionnent en temps réel. Nous pouvons modifier certains réglages et oui, ces machines peuvent aussi “planter” (comme un guitariste peut casser une corde ou comme un batteur peut fendre une baguette). Nous ne cherchons d’ailleurs pas nécessairement à reproduire exactement sur scène ce que nous faisons en studio, peut-être parce que l’énergie de la musique électronique se canalise sur scène de façon différente.
Quelle est enfin la réalité d’un groupe émergent à Montréal ? Comment composer avec la publicité, la recherche de lieux de diffusion, la réalisation d’un album ?
Pour être franc, je suis de moins en moins à l’aise avec le terme “émergent”…ça sonne un peu comme un communiqué de la SOPREF circa 2001, et ça implique même parfois une certaine hypocrisie vaguement paternaliste voulant qu’un groupe ou artiste doit nécessairement vouloir “émerger”, telle une amanite phalloïde visant désespérément le yoni rédempteur d’un “grand public” standardisé. Pour répondre encore par une question, je pourrais demander “qu’est-ce que l’émergence au Québec?… Participer un jour, plein d’espoir, aux Francouvertes, pour ensuite l’année suivante se retrouver à chanter un medley aux côtés d’un rejeton de Star Académie dans une émission à la “Belle et Bum” ? Le plus fou là-dedans, c’est de voir à quel point il y en a, des musiciens dits “émergents” qui ajustent leur musique et leur image pour pouvoir passer sous ce rouleau compresseur.
Oui, bien sûr, comme tout groupe ou artiste, Automelodi cherche à rejoindre un certain public… ça implique des gens à Montréal, mais aussi quelques-uns à Paris/Bruxelles/Berlin/New York/ailleurs et il faut inventer des façons de les rejoindre au-delà d’Internet. Dans cette optique, je dirais qu’on pourrait peut-être remplacer le terme “émergent” par “parallèle”. Automelodi fait de la “Pop parallèle”, peut-être même de la “Pop perpendiculaire”, tant qu’à citer mes paroles de chanson.
Pour ce qui est des enregistrements, jusqu’ici tout a été auto-produit. Dès mes débuts dans la musique dans les années 90 j’ai été attiré par la réalisation sonore (ce qu’on appelle communément le rôle de “producteur”). Mon cheminement a fait que je peux réaliser moi-même des projets comme Automelodi avec relativement peu de moyens techniques et un budget assez restreint. Avec l’aide de quelques précieux collaborateurs et en essayant d’utiliser de façon créative le peu d’équipement et d’espace dont nous disposons afin d’en tirer le maximum, il y a généralement moyen d’en arriver au son recherché.
Pour ce qui est de la publicité/promo/diffusion, je suis à un point où je préfère ne pas me prendre pour un super gérant tentaculaire… Je préfère garder les choses à échelle humaine, vendre les disques directement au public, etc. Ça peut aussi impliquer de jouer dans des salles plus modestes, mais avec des groupes et artistes qui nous plaisent vraiment, comme ce sera le cas lors du concert de lancement.
Automelodi en concert :
Xavier Paradis - voix / synthé / sampler / boîte à rythmes
Patrizio Rossellini - guitare / synthé
Guglielmo Testanera - batterie / synthé / voix supplémentaires
Le groupe lancera son disque ce samedi 4 avril 2009 au Green Room (5386 St-Laurent, Montréal).
Automelodi, Postcards et Bernardino Femminielli - de 20h30 à minuit.