Favori à la course des Oscars, L'étrange histoire de Benjamin Button est à la fois une fable fantastique, un film d'amour et un chef-d'oeuvre de virtuosité technique, qui nous conte - pendant près de 3 heures - une histoire rocambolesque que l'on pourrait qualifier de " retour vers le futur". Et de quelle histoire s'agit-il plus précisément ? Celle de Benjamin Button ( Brad Pitt ), né à la Nouvelle-Orléans, le jour de l'armistice de la Première Guerre Mondiale, victime d'une étrange et pathétique anomalie, puisqu'il est venu au monde, non comme un nouveau-né, mais comme un individu dont la peau et l'organisme présentent toutes les séquelles d'un vieillard de 80 ans. Au bout de quelques mois, et à mesure qu'il grandit en taille, on s'aperçoit que sa vie au lieu de descendre le temps, le remonte, et qu'il est condamné, heureusement ou malheureusement, à rajeunir au lieu de vieillir au fil des ans. Cette singularité aura l'avantage d'allier à sa compétitivité une expérience acquise indéniable mais lui causera d'innombrables problèmes vis-à-vis de son entourage et plus spécialement auprès de Daisy ( Cate Blanchett ), la femme dont il s'est épris. Rencontrée, alors qu'elle n'était qu'une fillette, leur relation, mise à l'épreuve de la durée effective du temps, sera à l'origine de leur drame personnel, dont je ne veux pas vous dévoiler les tenants et les aboutissants, pour ne pas vous priver du plaisir de le découvrir vous-même.
Librement adapté d'une nouvelle de Scott Fitzgerald, l'auteur de Gatsby le Magnifique, le projet était déjà à l'oeuvre dès 1990, mais le défi narratif et surtout technologique d'un film, dont le héros vieillit à l'envers, semblait impossible à assurer, faute d'effets spéciaux convaincants. Par chance, les images de synthèse, ne cessant pas de se perfectionner, le cinéaste David Fincher, qui avait repris le projet à la suite des abandons successifs de Steven Spielberg, Ron Howard et Spike Jonze, entendait bien en assurer la gageure : faire exister un héros qui remonte le temps au lieu de le descendre.
" Ce fut un travail de longue haleine - avouait-il récemment à un journaliste - il doit y avoir près de 350 plans truqués dans le film et je peux vous dire que la création d'un personnage comme Benjamin Button n'a pas été une partie de plaisir ". On veut bien le croire.
Après un test au résultat aussi impressionnant que coûteux, le feu vert fut enfin accordé par les producteurs. Si Brad Pitt interprète le rôle de Benjamin Button pendant les deux dernières heures de la projection, durant les cinquante premières minutes, lorsque le personnage est sensé avoir entre 80 et 65 ans, le corps de celui-ci est une doublure de petite taille et la tête une création de synthèse, à partir du visage vieilli de l'acteur. Le même procédé qui fut utilisé pour donner vie à Gollum dans Le seigneur des anneaux et à King Kong, mais perfectionné de façon à obtenir un rendu plus subtil.
" Cela peut paraître intimidant et désincarné sur un plateau - soulignait le metteur en scène - mais cela recrée une certaine intimité avec les acteurs, qui se sentent moins exposés et peuvent mieux intérioriser leurs émotions, sans composer avec les costumes, les décors et la présence d'une équipe de tournage importante ".
Il faut également souligner qu'il est quasi impossible de détecter l'utilisation massive d'images de synthèse, qui ont gâché pas mal de films auparavant, mais qui, utilisées avec doigté par un Fincher passé maître, à la suite de son opus précédent Zodiac des effets spéciaux invisibles, parvient à rendre indiscernable la frontière entre film en prises de vue réelles et cinéma d'animation digitale. Cette maturité obtenue, après des réalisations moins convaincantes, comme Fight club et Panic, permet à David Fincher de signer là son film le plus accompli, ne serait-ce que pour les raisons suivantes : la prouesse technologique ne ternit pas l'inspiration ou la beauté picturale des images, pas davantage qu'elle n'affaiblit l'émotion. Quant à Cate Blanchett, elle irradie d'aisance et de beauté, alors que Brad Pitt me semble moins à l'aise que d'habitude, un rien absent. Néanmoins, ils forment tous deux un couple très glamour, à la recherche d'un temps commun, ce qui est pour le moins l'originalité et l'audace de ce film. Avec cette fresque passionnante et cet exploit filmique qui, sans nul doute, feront date, David Fincher fait une entrée remarquée dans le clan des grands conteurs, de la lignée des Spielberg et des Cameron.