Magazine Beaux Arts

Edward Steichen

Publié le 08 octobre 2007 par Marc Lenot

au Jeu de Paume, jusqu’au 30 Décembre.

A quinze ans, nous avons tous lu, regardé The Family of Man, l’exposition itinérante et le livre qu’on associe naturellement au nom de Steichen, et nous avons été émus par sa vision humaniste. Mais à vingt ans, plus mûrs, plus politisés, nous l’avons regardé comme une utopie hors de l’histoire, voire comme un vecteur simpliste de l’idéologie américaine. C’est un peu la même ambivalence que j’ai ressentie dans cette exposition, très complète, sur l’oeuvre protéiforme de Steichen : une fascination pour la beauté de certaines photos et pour la curiosité insatiable de l’artiste, et une irritation critique face à la répétition incessante d’une vision du monde belle, riche et cohérente.

La quasi-totalité du premier étage est occupée par les photos de mode et de publicité et les portraits que Steichen, alors “photographe le plus cher du monde” réalise dans les années 20 et 30 depuis New York. De belles robes, de beaux modèles, de belles danseuses, de beaux acteurs, etc.. Au bout d’un moment, on presse le pas devant les innombrables photos en studio pour Vogue, on se lasse de la nième socialite new-yorkaise, on ne s’arrête que devant quelques portraits habités, iconiques, où l’esprit souffle. Pas celui de Marlene, trop posé, artificiel, mais celui de la Garbo (1928, ci-dessus) qu’il saisit au moment où elle lisse ses cheveux, ovale parfait du visage, profondeur immense du regard. On stoppe devant Gloria Swanson (1924), tigresse prête à bondir derrière la voilette brodée qui tatoue son visage. Colette aussi irradie un charme mystérieux. Mais ce ne sont que quelques joyaux au milieu d’un océan de “belles photos”. En regardant ces photos, on ne peut pas oublier qu’au même moment, les photographes de la FSA, Dorothea Lange en tête, montrent une tout autre réalité. En 1938, Steichen, qui s’était consacré à fond et sans réticence à la publicité et à la photo commerciale, s’arrête et se met à photographier des fleurs, une autre de ses passions.

Dans cet ensemble à dominante commerciale, sa créativité s’exerce le mieux, me semble-t-il, dans les tissus imprimés qu’il réalise pour la société Stehli Silk. Pour ce faire, il conçoit, photographie et multiplie des motifs à base de lunettes, d’allumettes, de cubes de sucre, de clous, avec une poésie créatrice tout à fait étonnante, ainsi ces Allumettes et boîtes d’allumettes (1926).

Le reste du premier étage est à la fois beau et inquiétant. Pendant la deuxième guerre mondiale, Steichen, qui finira contre-amiral de réserve de la US Navy, devient propagandiste : la photo est au service d’une cause, elle est un outil de communication de masse, de propagande. C’est cette vision qui va sous-tendre bon nombre des expositions qu’il réalise ensuite pour le MoMA, où, de 1946 à 1962, il dirige le département de photographie: ce sont des expositions mises en scène, au service d’un message, et les photographies présentées doivent entrer dans ce cadre, aux antipodes d’une approche plus personnelle et artistique. L’exposition devient un art en soi, pour la plus grande gloire de l’Amérique.

Heureusement, le rez-de-chaussée, consacré à ses travaux antérieurs à 1920, est plein de promesses et de découvertes. Demain.

Photos copyright Estate of Edward Steichen

P.S. qui n’a rien à voir : après le dommage causé au Pont d’Argenteuil de Monet hier à Orsay, voici un billet que j’aurais aimé écrire.


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