Magazine Cinéma

"Inglorious Basterds"

Par Loulouti




Quentin Tarantino est un cinéaste qui fait tâche dans l’univers aseptisé du 7ème art en ce début de 21ème siècle. Pour moi il incarne la figure du réalisateur qui prend des risques, un faiseur de miracles qui fait fi de toutes les modes et les conventions, un homme qui assume tous ses choix.
Une nouvelle fois le bonhomme m’a surpris. Le fond et la forme de son "Inglorious Basterds" sont de nature à rendre son 6ème long métrage (7ème si on considère que "Kill Bill" n’est pas une œuvre unique scindée en deux, mais deux entreprises bien distinctes) inclassable, hors normes, jouissive à plus d’un titre.
D’emblée je me permets d’évacuer la pseudo polémique née des délires psychologiques de certains chroniqueurs cinématographiques. Ces derniers se sont indignés que le cinéaste américain se permette de revisiter l’histoire ainsi. La fin du film est incroyablement fabriquée de toutes pièces mais moi je dis "tant mieux". Je ne vais pas vous dévoiler le contenu mais la séquence du cinéma conclut admirablement bien le déroulement de l’ensemble du projet.
Au risque de vous choquer je peux vous affirmer que je n’en ai rien à faire que Quentin Tarantino réécrive la destinée du IIIème Reich à sa sauce et qu’il prenne ses distances avec les faits. Nous sommes en plein cœur d’une fiction, elle-même au beau milieu d’un pan de notre passé. Le cinéma permet ses largesses avec la vérité alors que les musées, les livres, les témoignages directs ou indirects sont là pour nous instruire et nous servir de garde-fous.
En 1941, Shosanna Dreyfus (Mélanie Laurent) voit sa famille juive massacrée par les hommes du Colonel SS Landa (Christoph Waltz).
L’armée américaine décide d’envoyer en Europe un commando composé de soldats juifs américains et dirigé par le Lieutenant Aldo Raine (Brad Pitt) pour assassiner du nazi de manière ostentatoire et marquante (les allemands sont passés par les armes ou tués à la batte de base-ball puis scalpés). Ces "Bâtards" deviennent les terreurs du régime allemand.
1944. Shosanna Dreyfus, devenue propriétaire d’un cinéma parisien sous une fausse identité, attend l’heure de sa vengeance. L’opportunité se présente sous la forme de l’avant première d’un film allemand "Nation’s Pride" dont la vedette est un héros de guerre, le soldat Zoller (Daniel Brühl) qui est tombé amoureux de la jeune femme.
Lors de la soirée événement qui s’annonce, les plus hauts dignitaires du régime doivent être réunis dont Hitler lui-même.
Les bâtards, aidés par un agent double, l’actrice allemande Bridget Von Hammersmark (Diane Kruger) se rendent à Paris pour profiter de l’occasion. Mais l’ombre du Colonel SS Landa se profile à l’horizon une fois de plus.
"Inglorious Basterds" est un titre en trompe l’œil car ces batards ne sont pas le pivot du long métrage même s’ils y occupent une place importante et que leur présence est primordiale. Comme à son habitude Quentin Tarantino a choisi de découper son film, de le chapitrer pour nous raconter plusieurs histoires au sein d’un même ensemble.
Les cinéphiles qui n’aiment par le metteur en scène américain et qui lui reprochent sa propension à nous proposer des productions à la construction bordélique et à la narration éclatée seront peut être réconciliés aujourd’hui.
Le déroulement de "Inglorious Basterds" est d’une fluidité absolue, les 5 chapitres de cette chronique s’enchaînent tout naturellement sans fausse note. Tarantino a choisi d’épurer son style et de privilégier des moments charnières et des personnages de premier plan au lieu de surcharger son long métrage avec des effets de style (flash-back) et des développements annexes inutiles ici.
Autre évidence : le film de Tarantino n’est pas un film de guerre ou un film d’action. Les fusillades sont très courtes et les séquences chocs sont dispensées avec soin et maestria. Pour les plus sensibles, les exécutions de soldats allemands brutales, rapides et sanglantes. Le sang coule mais juste ce qu'il faut. Tarantino ne charge pas la mule inutilement.
L’essentiel du long métrage ailleurs. L’œuvre donne une importance incroyable aux confrontations verbales et aux dialogues. A ce propos je vous conseille d’assister à la projection du film en version originale car les particularités linguistiques de chaque ressortissant son respectées.
Dans "Inglorious Basterds" l’anglais, le français, l’allemand, et même un peu d’italien se mêlent de manière opportune. C’est aussi un bonheur de voir l’acteur Christoph Waltz pratiquer ces différents idiomes avec talent.
Ainsi Tarantino prouve son respect total pour le 7ème art. D’autres auraient certainement choisi d’imposer l’anglais comme unique langue. Si je devais paraphraser les paroles d’une chanson je dirais "C’est peut être un détail pour vous mais pour moi ça veut dire beaucoup". Rien que pour ça, Bravo Monsieur Tarantino.
De ces confrontations naissent des situations hautement dramatiques où la tension monte crescendo. A mon sens il y a trois ou quatre moments clés dans "Inglorious Basterds". La séquence d’ouverture est la plus remarquable. Elle voit le Colonel SS Landa interroger le paysan français LaPadite (Denis Ménochet). D’une ambiance où la politesse et la courtoisie sont de mises, nous sentons progressivement le filet se resserrer autour d’un brave exploitant de ferme.
Ces quelques minutes, où il ne se passe pas grand chose en fait en terme d’action, sont extraordinaires et absolument né-ce-ssaires. Elles marquent les esprits. Tarantino donne le ton à son film de manière brillante.
Par la suite son œuvre est ponctuée d’autres joutes verbales entre les personnages (la séquence du bistrot souterrain, l’échange entre le Colonel SS Landa et Shosanna dans un grand restaurant parisien)
Quentin Tarantino impose toujours sa marque de fabrique avec une bande son phénoménale qui mélange de la musique classique, des sonorités issues des Western Spaghetti et des airs plus modernes. Le tout sert à illustrer un long métrage qui se passe entre 1941 et 1944 !!!
Quel bonheur que de s’immerger au beau milieu de ces univers qui s’entrechoquent. Tarantino, poète des images, sait aussi se faire magicien des sons et des musiques.
Quentin Tarantino est aussi un cinéaste de références qui n’hésite pas à parsemer ses réalisations de renvois à des œuvres, des réalisateurs ou à des personnages qui l’ont marqué. Il n’en finit plus de rendre hommage au 7ème art de film en film. Je dois vous avouer que je n’ai pas le background nécessaire pour apprécier tous ces clins d’œil dans "Inglorious Basterds".
Mais une chose est sûre : Tarantino vénère le cinéma et son énième film sonne comme une déclaration d’amour. Ses bâtards sont les salopards d’une autre époque.
Et le fait que le dénouement du long métrage se déroule dans une salle de cinéma n’est sûrement pas un élément anodin.
Le long métrage nous narre de tragiques événements mais la réalisateur prend aussi le temps de nous faire rire et de détendre une atmosphère plus que pesante. Les démêlés de Brad Pitt et d’Eli Roth avec la langue italienne sont très drôles. A cela vous ajoutez un Hitler d'opérette est le tour est joué.
La pâte de Tarantino est aussi d’associer de manière efficace des comédiens venus de pays et d’univers cinématographiques hétéroclites. Brad Pitt est excellent. Ce rôle de chef des bâtards lui va comme un gant. Sa gouaille, une mâchoire à la Brando dans "Le Parrain" et un physique à la Clark Gable, sont les caractéristiques d’un personnage plus qu’étonnant.
Eli Roth incarne LA figure de l’exécuteur avec un brin de folie dans le regard. Daniel Brühl s’en sort à merveille pour cette composition sorte de mise en abyme (un acteur qui interprète un acteur pour un film dans un autre film). Les autres bâtards ont vraiment les tronches qu’il faut.
Diane Kruger est rayonnante. Mélanie Laurent est la révélation féminine du film. Sa prestation est de premier ordre dans le rôle d’une jeune femme éprise de vengeance. Un véritable tour de force. A se demander si elle n’est pas le véritable pivot du film.
Mais la star du long métrage est incontestablement Christoph Waltz dans le rôle du Colonel SS Hans Landa. Une composition de taille. Un personnage à la fois séducteur et sans pitié, surnommé par son propre camp "le chasseur de juifs" qui révolutionne la figure du SS au cinéma. Le spectateur prend du plaisir à le voir évoluer sur l’écran. Etonnant. Le prix d’interprétation masculine à Cannes décerné à l’acteur autrichien n’en apparaît que plus juste.
Quentin Tarantino a déclaré qu’il n’aurait pas fait le long métrage s’il n’avait pas trouvé chaussure à son pied concernant le Colonel Landa. On comprend pourquoi désormais.
"Inglorious Basterds" est un long métrage qui nous donne du plaisir. Une œuvre durant deux heures et demie qui ne lasse jamais. La démarche de Tarantino n’est pas didactique. Il ne cherche pas à réécrire l’Histoire mais il invente au contraire un épisode fictif de la seconde guerre mondiale pour laisser son imagination galoper.
Les textes sont aussi précis et aussi importants que les images. Sa manière de filmer faite de minutie et d’exigences va droit à l’essentiel et ses dialogues sont finement ciselés.
"Inglorious Basterds" était l’un des longs métrages les plus attendus de l’année et le travail du metteur en scène américain est en tout point admirable.
Un vrai régal pour les cinéphiles.


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