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Les dessous du retour à la nature

Publié le 25 août 2009 par Argoul

Revenir aux sources, respirer, reprendre des rythmes naturels, vivre et manger selon les saisons, pratiquer le tourisme « vert » - quoi de plus attirant dans nos sociétés urbaines, civilisées et stressées ? Sauf que ce tropisme n’est pas innocent, ses dessous ne sont pas immaculés. La clé réside dans l’équilibre : les humains sont des êtres de nature ET des êtres sociaux. L’un ne va pas sans l’autre et à trop oublier un plateau, la balance se déséquilibre.

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Les années 60 sont allées trop loin dans la dénonciation du béton, de la jungle urbaine et de l’aliénation au travail. Les années 80 ont appliqué de façon scolaire le chèvre chaud collectiviste, les sabots suédois sociaux et les poutres apparentes paysannes, transformant toute vieillerie en « objet de mémoire » et tout village français – au nord comme au sud – en village-Disney puisé dans les pages de Balzac. Qui n’aperçoit ces mêmes réverbères coulés au moule en Ile-de-France comme en Périgord ou en Savoie ? Ces pavés « authentiques » ? Ces auberges « de charme » ? Ces produits « bio-du-terroir » provenant parfois d’Europe de l’est ou de Chine (le foie gras, les champignons les pommes…) ? Les années 2000, travaillées d’identitaire et d’anti-gaspillage, ne sont pas en reste. Voyager, ça coûte à la planète ! Tout déplacement en avion vous rend coupable d’un bilan-carbone que la vox populi dénonce en vous montrant du doigt. Quand vous allez à l’hôtel, vous consommez de l’eau trop rare pour laver vos serviettes ; quand vous achetez, vous confortez des rapports d’exploitation ; quand vous marchez, vous écrasez l’herbe ; quand vous respirez, vous nous pompez l’air…

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De tels excès dans le discours ont tout d’une nouvelle religion. Quels sont ses fondements ? Un vague mélange d’orientalisme et de new age, peut-être parce que seules les pensées venues des antipodes peuvent écarter le soupçon d’être « classiques » ? Il faut une haine de soi particulière pour évacuer d’un coup toute la tradition européenne, accusée de tous les maux : impérialiste (comme si la Chine ou le monde musulman n’avait jamais été ou n’était pas « impérialiste »), colonialiste (comme si les Han en Chine, les Turcs anti-Kurdes, les Russes intolérants aux Tchétchènes, les Japonais si conventionnels n’avaient pas des traits coloniaux), industrielle (comme si l’Europe seule exploitait les ressources à outrance), libérale (dans le sens réduit de l’économie prédatrice des pétroliers texans).

· Contre ledit libéralisme, surtout valoriser le « petit », c’est une idée reçue : petit producteur, petit commerçant, petit artisan. Seul le petit-bourgeois a droit de cité, surtout s’il pratique la méditation et se nourrit bio dans une maison solaire. Et s’il vote à gauche – pas la gauche traditionnelle mais pour les mouvances anarchistes écologistes - surtout sans structures.
· Contre l’industrie – forcément néfaste – valoriser le « naturel », le proche, le troc. Et le « culturel » vivant - réduit à la provocation toujours en surenchère : se vautrer nu dans le sang sur la scène en hurlant, ou peintre avec des étrons sur des paquets de lessive… Un écrivain qui gagne de l’argent ? quelle médiocrité de style ; un chanteur à succès ? vite le télécharger gratuitement. L’argent c’est mal, le délocalisé-moins cher c’est anti-citoyen, l’artificiel et le sophistiqué sont des poisons.
· Contre le colonialisme, changez de religion. Tout ce qui est métissé, soft, spirituel, vaut mieux que n’importe quelle église instituée. En revanche, pas touche à « notre » identité ni à « nos » mœurs, on ne va plus chez les autres, alors pas de ça « chez nous » !
· Contre l’impérialisme, replions-nous sur nous. On est bien sous la couette, pas besoin de sortir, on commande par le net ou le mobile, on ne voyage surtout pas, on ne sort pas de ses petites zabitudes. Et Dieu m’habite, comme disait l’humoriste.

L’Occident, c’était la raison scientifique et l’essor des techniques. Revalorisons donc son inverse : le cœur plutôt que la raison, le sentiment plutôt que le savoir méthodique, le bricolage plutôt que la technique. C’est ainsi que les écolos de la revue Ushuaïa s’exilent en maisons de torchis au toit de chaux et boivent des tisanes d’orties (numéro de juin). Contre la cité des hommes, vive la nature sauvage. Il faut la préserver, la conserver, s’y immerger sans s’imposer. Comme seule la nature est « authentique », elle dicte sa loi naturelle. Le règne de la nature ne se discute pas démocratiquement, qui y croit déteste la négociation qui crée des « droits » humains et la culture qui transforme le naturel. Le sauvage devient forcément « bon », le spontané la seule éducation, la terre le seul « être » qui ne mente pas… La morale qui vaille ne saurait être « contre nature », pointez donc du doigt les déviants. Se retirer au désert devient le seul moyen de « se trouver », les autres sont nocifs. La société aliène, tout comme le travail, il faut s’en retirer. C’est ainsi qu’on valorise d’abord la famille, ensuite le clan, puis le terroir, sans se préoccuper de France ou d’Europe. Quant au « monde », il ne peut être qu’hostile depuis que globalisé.

A-t-on compris ce qu’il y a de régressif, de fusionnel, de nostalgie fœtale, de pensée « réactionnaire » (préfasciste, pétainiste, maoïste) dans de telles idées ?

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L’équilibre est le raisonnable ; on l’appelle aussi le durable (« soutenable » n’est qu’un anglicisme snob). L’homme est un être de nature ET un être social. Il est un animal, prédateur comme les autres - mais intelligent, donc conscient de ce qu’il fait. Il n’agit pas tout seul mais réfléchit en grappes et aménage son nid avec les autres et près des autres. Savoir raison garder veut dire que le sentiment n’est pas tout et qu’on ne lâche pas la bride aux instincts. La maîtrise doit rester l’idéal humain. Sans positivisme béat ni mystique romantique.

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