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Réforme de l'ortograf et de la gramère : La république des cuistres

Publié le 04 septembre 2009 par Hermas

I.- DE LA CUISTRERIE

Appliquons-nous d’abord à un petit effort de vocabulaire.

Le cuistre désigne un « homme pédant, ridicule et vaniteux de son savoir ». Son “saint” patron, si l’on peut dire, est le Trissotin de Molière, ce « benêt dont partout on siffle les écrits », ce « pédant dont on voit la plume libérale d’officieux papiers fournir toute la halle », et dont on enrage de voir qu’il est mis « au rang des grands et beaux esprits » (Les femmes savantes, acte I, scène 3).

D’aucuns disent que le terme cuistre viendrait du bas latin coquistro, issu lui-même du verbe coquere, qui veut dire cuire. Du même terme dériverait le mot cuisine. Il est amusant de constater que le mot coquin est né de la même officine. D’autres indiquent que le mot cuistre ne serait qu’une autre forme du mot coustre (du latin custos, le gardien), lequel désignait le sacristain d’une église, avant de désigner le gardien ou le valet de collège. Parfois les deux sens se sont rencontrés : le cuistre était alors ce valet de collège chargé de la cuisine.

D’où vient que ces sens aient pu glisser, à l’époque classique apparemment, à celui qu’indique désormais le dictionnaire ? Pour notre part, nous l’ignorons. Mais ce qui est frappant, c’est que le mot soit associé à l’odeur de cantine. Il évoque ainsi un “mélange” comme aimerait à dire Michel Serres, expert en cuistrerie, de ce remugle et de cette vanité envahissante qui donne à croire au médiocre que le voisinage [ou l’absence…] de ceux qui savent lui confèrent savoir et sagesse. Alors, il pose, discours, développe, enveloppe, enseigne et moralise, mais plus il fait et plus cela sent.

C’est assez de précisions pour aborder le sujet qui nous intéresse ici.

II.- LA CRITIQUE IDEOLOGIQUE DE L'ORTHOGRAPHE ET DE LA GRAMMAIRE

 

Depuis plus d’un siècle, on le sait, la question de la et des difficultés de la langue française taraude les milieux savants. Le français, par sa grammaire, serait l’une des langues les plus difficiles du monde, ce qui nuirait en particulier, dit-on, à son expansion. Soit. On dit aussi que toujours elle a évolué, dans ses termes et dans ses formes, et qu’il n’y a pas de raison valable à opposer à ce qu’elle puisse évoluer aujourd’hui. Soit encore. C'est d'ailleurs ce qu'elle fait continuellement, comme on fait mine généralement de l'ignorer.

La difficulté ici, cependant, n’est peut-être pas tant technique – bien que cette difficulté existe certainement, nous le savons tous d’expérience – qu’idéologique. Cet aspect tend à prendre le pas dans les débats dans cette société médiocre, intellectuellement appauvrie, qui vit dans la haine de soi et l’imbécile repentance de son passé.

Cela transparaît en particulier dans les reproches adressés généralement à l’orthographe et à la grammaire. Il leur est souvent fait grief d’être tout simplement dépassées. Ce qui demeure stable et tient lieu de règle offense a priori l’esprit progressiste. C’est ainsi que d’aucuns se proposent de “simplifier” les graphies des mots d’origine grecque, de sorte, par exemple, que l’on puisse désormais écrire “filosofie”, “éléfant” ou “téorie”. On leur reproche aussi d’être peu adaptés à l’informatique, c'est-à-dire, en fait, au sabir anglo-américain qui se diffuse dans le monde, quand ce n’est pas au langage primitif du “sms” et de ses semblables.

On reproche encore à l’orthographe et à la grammaire, et c’est là que nous touchons au fond de l’idéologie politique, son caractère anti-démocratique. Elles seraient discriminatoires, et nous savons la connotation socialement infâmante de ce terme aujourd’hui, du plateau de télévision au code pénal. Il y a ceux qui savent, qui comprennent, qui maîtrisent [plus ou moins quand même, mais c’est une limite qui ouvre sur des enrichissements et des découvertes toujours nouveaux], et ceux qui ignorent, qui ne maîtrisent pas et qui massacrent la langue commune, et cette différence n’est pas tolérable. Alors, selon la pente quotidiennement parcourue de l’éducation nationale, qu’il ne s’agit jamais de monter, plutôt que de travailler à hausser les esprits dans la connaissance et la maîtrise, on se propose de les uniformiser par la médiocrité.

La réforme Haby, d’inutile mémoire, avait déjà préconisé en 1976 une réforme de l’orthographe qui se présentait comme une réforme de “tolérance”. Pour les examens et les concours, il était prescrit de ne pas sanctionner une trentaine de fautes. Je ne sais ce qu’il est advenu de cette initiative de génie, mais l’expérience de tous les enseignants – de ceux, j’entends, qui sont eux-mêmes encore capables de les voir – est que copies d’examens, mémoires et thèses sont devenus aujourd’hui des bouillons de culture, si l’on peut dire, de fautes en tous genres, orthographiques ou grammaticales, qui auraient fait mourir de rire un enfant jadis convenablement préparé à passer son Certificat d’études. Tous ceux qui connaissent un peu la question savent que ce n’est pas là une caricature mais l’exacte expression de la vérité. Si l’on devait appliquer aujourd’hui le “cinq fautes, zéro” qui avait alors cours dans les écoles primaires, les universités seraient vides, comme aussi, d’ailleurs, les IUFM et autres machins du même genre.

Pourquoi ne pas le dire ? A cet argument tiré de la discrimination s’ajoute, naturellement, la pression générée par des immigrations massives de populations qui ne maîtrisent peut-être pas même leurs propres langues d’origine. “L’élitisme” supposé attaché à la complexité de la langue, en laquelle on se refuse a priori à reconnaître une règle structurante pour l’esprit, et donc un moyen de promotion et d’enrichissement pour l’intelligence et le jugement, est ainsi vu, par le bas, comme un obstacle à l’intégration sociale.

III.- TRISSOTIN A LA RESCOUSSE, OU LE SOPHISTE DE TOUJOURS

 

C’est ici que l’on a besoin de Trissotin et de sa « fieffée cuistrerie ». En effet, dans un tel contexte, qui pourra mieux vanter les mérites et l’urgence de la simplification sinon un ignorant forgé par ce siècle ? Comme le cancre, au fond de la classe, est mieux à même que quiconque de vous parler de la chaleur du radiateur auprès duquel il somnole, qui mieux qu’un ignorant de l’orthographe et de la grammaire pourra mieux vous convaincre de leur inutile complexité ? L’avantage est qu’en notre époque les maîtres en ce domaine sont aisés à trouver.

Et c’est ainsi qu’est apparu le Docteur François de Closets. Il a toutes les qualités. Il est maintenant relativement âgé ; donc il est sage. Il est une figure emblématique de la “télé” ; donc il est pertinent. Il sait, d’ailleurs, de quoi il parle. La preuve : il ignore tout de la question. C’est lui-même, notez-le, qui en fait l’aveu, dans un ouvrage intitulé « Zéro faute » qu’il vient de publier et dont, comme il se doit, la publicité est faite à grand bruit. Il y écrit qu’il est « nul » en orthographe, ce qui l’encourage, évidemment, à en demander une « réforme de très grande ampleur ».

L’hebdomadaire Le Point s’est entretenu avec celui qu’il appelle « l'enquêteur-écrivain le plus célèbre de France ». Cela nous vaut un article éloquemment intitulé : « La grande injustice de l’orthographe » [Ici]. De Closets nous confie, en termes pathétiques (euh, pardon : patétik) : « J'ai toujours eu une cohabitation difficile avec l'orthographe que j'ai vécue dans la honte et la clandestinité, comme des millions de Français, et sur laquelle, comme des millions de Français, je refusais de m'interroger. » M. de Closets est donc, en quelque sorte un résistant. Il a connu ces heures sombres de l’histoire et l’occupation des consciences imposée à coups de « vieilles méthodes gendarmesques et répétitives ». La critique en sort considérablement grandie, évidemment. Philippe Muray a intelligemment montré combien il était important, dans cette société de “l’après-histoire” [osons le jeu de mot], de se poser toujours en frondeur, en rebelle, tout en se laissant bourgeoisement porter par les courants dominants, et dans les limites qu’ils imposent. François de Closets s’affirme d’ailleurs haut et fort du côté du mouvement, des réformateurs, et en appelle à lui, sans rire, Ronsard, et Corneille, et Voltaire et Diderot. Il dénonce évidemment le caractère discriminant des règles, qui procurent un pouvoir sur les autres à “ceux qui savent”. Bien que, tout en modestie, il nous épargne la confidence des châtiments qu’il a dû subir, de Closets dénonce le « fétichisme de la graphie » et en appelle solennellement à la « décriminalisation (sic) des fautes d’orthographes » comme si, dit en passant, cela avait encore un sens aujourd’hui !

Finement, et pour étayer supposément les propos du Maître sur l’inutilité des règles « gendarmesques », l’hebdomadaire cite, en-dessous de l’entretien, deux passages de Flaubert et de Proust, criblés de fautes d’orthographes, comme pour dire : « Voyez, on peut être de grands auteurs et ne rien connaître de tout cela ! ». Il était difficile, cependant, de cacher que ces mots ont été écrits à… sept et huit ans. La cuistrerie l’emporte ainsi de bout en bout, car il faut être singulièrement ignorant de ces auteurs, et spécialement du premier, pour ignorer le prodigieux effort sur la langue qu’ils se sont imposé pour la servir.

François de Closets critique l’Etat du XIXème siècle, entré dans le « fétichisme » qu’il dénonce, et qui, par l’école, « a permis à un peuple d'illettrés de devenir un peuple de scribes ». On a connu de plus tristes avènements. Il ne voit pas que cette société qui est la nôtre est très largement revenue à un âge d’illettrisme : la France ne compte-t-elle pas plus de trois millions d’illettrés, toutes catégories sociales confondues ? Il ne voit pas non plus que la cause en est, en particulier, le recul de l’apprentissage de l’orthographe et de la grammaire, dévoyé par des maîtres idéologues et eux-mêmes devenus ignorants. Il ne voit pas davantage que cette régression, car c’en est une, que les plus aveugles finissent par reconnaître eux-mêmes, a des conséquences multiples. Sur le savoir, sur la qualité de la langue, sur la qualité de l’expression, sur la qualité de la littérature, sur la qualité des rapports humains et sur l’exercice même du jugement.  Son discours, évidemment, a de quoi rassurer les ignorants, les démissionnaires et les illettrés. Il leur est doux de savoir, en définitive, qu’ils ont eu raison de se tenir près du radiateur, et ce ne sont pas les maîtres, qui ont laissé échapper de leurs mains ce qu’ils étaient chargés d’enseigner, qui viendront les contredire. Le vent nous porte ailleurs, nous dit-il, nous sommes à l’âge de l’informatique et des correcteurs orthographiques [mais des correcteurs de quoi, au fait ?]. Apprenons à nous en servir.

L’idéologie du mouvement perpétuel, que l’on appelle plus trivialement la politique du chien crevé au fil de l’eau, poursuit son œuvre. Puisque l’on est appauvri, ne cherchons pas à nous réapproprier ce que nous avons perdu. Allons de l’avant, et pour cela brûlons nos vaisseaux, officialisons comme une norme les mythes et les démissions qui nous ont fait lâcher prise.

Le Trissotin de Molière n’est pas seulement un cuistre, ni seulement un pédant qui s’étourdit de sa propre faconde. Il est aussi, à sa manière, un sophiste qui construit sa renommée sur la sottise des autres. D’époque en époque il se révèle être un conformiste de l’esprit dominant et c’est, hélas, à de tels maîtres que la nôtre aime à se donner.

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P.S. : Si d'aventure notre propre texte était cribé de fautes d'orthographe ou de grammaire, que l'on veuille bien les regarder non comme une concession à l'air du temps mais comme un hommage rendu par le vice à la vertu.


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