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Le manuscrit envoyé aux éditeurs : d’abord la forme, puis la forme.

Par Georgesf

Dans le billet précédent, j’ai susurré une idée monstrueuse... ce qu’on appelle abusivement « le piston », sera simplement considéré par beaucoup d’éditeurs comme un meilleur dossier de candidat, porteur de meilleures espérances que la moyenne : manuscrit (puis livre) plus estimable quant à l’écriture, mieux reçu part les médias, ou plus aisément vendable chez Auchan et Carrefour (tout cela n’allant pas forcément ensemble).

Mais si, comme moi, vous n’avez aucun de ces atouts dans votre poche ? Aucune relation qui serve de relais à votre candidature ? Que vous reste-t-il à faire ?

Soit faire le tour des blogs littéraires pour vous y lamenter, pour dénoncer la pourriture du milieu. Ou même ouvrir votre blog pour tenter de démontrer à longueur de billets que le milieu de l’édition vous est hostile, qu’il est invivable et même insurvivable.

Ou, comme moi et comme beaucoup d’autres auteurs, envoyer votre manuscrit par la poste (ou le déposer chez eux, anonymement, comme un simple coursier, si vous voulez économiser les timbres). Les chances d’être publié chez UN éditeur sur lequel vous avez porté votre dévolu » sont infimes, mais ça arrive Elles deviennent plus importantes si vous allez jusqu’à une trentaine d’envois (pas forcément en même temps, on peut faire ça par vagues de cinq ou dix, en envoyant les refusés-retournés lors de la vague suivante). On en reparlera.

Le manuscrit envoyé aux éditeurs : d’abord la forme, puis la forme.
 

L’arrivée du sac postal plein de manuscrits chez l’éditeur rappelle, en plus sinistre, l’entrée des poulets dans une chaîne d’abattage. J’en ai été témoin chez Grasset, et la description que j’en donne dans « Le Vertige des auteurs » est malheureusement authentique :

   Il se dirigea vers un guichet austère, mais ne put y accéder. Un gros homme, porteur d’un baluchon, l’avait bousculé. C’était un facteur, qui déversa son sac à même le sol maculé de taches grasses. Les envois de manuscrits du jour, à en juger le contenu. Sylvain regarda déferler avec pitié ces années de travail, ces moments d’espérance. Toute la misère de la littérature était là, impudente.

   Qu’avait-il de plus qu’eux ? Il le savait bien : une foi en son œuvre, l’originalité de son idée, le soutien de la presse. Est-ce que cela suffisait ? Il fut tenté de jeter son manuscrit dans la jonchée qui encombrait maintenant le passage, pour donner une chance au hasard. Pour la beauté du geste, pour raconter l’anecdote plus tard, dans ses interviews. Mais la réussite était capricieuse, et n’aimait peut-être pas qu’on se moque d’elle. Il s’approcha du guichet, piétina quelques manuscrits – c’étaient peut-être ses concurrents les plus dangereux, ceux avec lesquels il serait en balance, en finale, et remit son œuvre.

Comment faire partie des élus ? Je ne sais pas. Ce que je sais, c’est comment éviter de faire partie des damnés.

Ce que je sais aussi, c’est qu’on PEUT se faire publier sans autre piston que ses bonnes relations avec le facteur : je travaille désormais avec trois bons éditeurs (Anne Carrière, Le Castor Astral, et le troisième, tout récent, que j’annoncerai la semaine prochaine) et je suis entré chez chacun avec un manuscrit anonyme

Je peux donc donner, sinon des prescriptions, un point de vue basé sur mon humble expérience (Humble ? Ha, ha, ha, lui, humble ? Ça va, ça va.)

Si la lettre d’accompagnement (on en reparlera) ne vous a pas tout de suite plombé, comment espérer que votre manuscrit soit ouvert, et peut-être même lu, voire lu jusqu’au bout ? En soignant la forme, puis la forme. La forme physique, puis la forme littérale. Aujourd’hui, je parle de la forme physique, c’est déjà très long.

La forme PHYSIQUE du manuscrit.

Evitez tout ce qui peut donner une perception d’auteur extérieur au milieu. La proportion de manuscrits « mal habillés » pour entrer chez l’éditeur est impressionnante. A la louche, je dirais un tiers ou la moitié, pour ce que j’ai pu voir chez les uns et les autres.

Mise en page :

Ne découragez pas la lectrice, pas tout de suite.

Jamais d’impression recto-verso.

Ecrivez dans une typo lisible (le Times est laid, mais c’est le plus professionnel, le plus courant). Attention au Garamond, très élégant, mais trop marqué Pléiade : à ce stade, ça peut faire rire. Méfiez-vous des typos sans patins, elles sont vite fatigantes pour l’oeil.

Ecrivez dans un corps lisible : selon les cas, je recours au corps 13, ou 13 1/2. On peut aller jusqu’au corps 14, on peut descendre au corps 12 si l’on pratique le double interligne, ce que je ne recommande pas.

Travaillez dans un espacement minimum de 1,5. De l’air, de l’air !

Ne remplissez pas trop votre page, ça fait amateur. De belles marges, plus amples que dans une simple lettre, sont indispensables. N’hésitez pas à donner plus de marge à droite qu’à gauche : certaines lectrices aiment annoter le manuscrit. En tout cas, ça fait déjà manuscrit annotable, donc plus sérieux.

Le remplissage type de la profession, c’est 1.500 signes (espaces et blancs inclus) par page. Je considère ce chiffre comme une moyenne ; tenant compte des dialogues qui prennent moins de place (ils ne vont pas toujours jusqu’au bout de la ligne), je travaille en 1.800 signes maximum, avec des pages variant entre 1.300 et 1.800 signes, pour une moyenne de 1.500.

Il m’arrive de recourir à de légères variantes, en tenant compte des chapitres : je n’aime pas qu’ils se terminent par une page de deux lignes.

Deux exemples de mise en page qui me sont chères :

Je commence toujours par un rentré de 3 mm au début de chaque paragraphe. Ça fait moins moderne, mais c’est plus lisible

La première : Times New Roman corps 13, marges en hauteur 3,5 (haut et bas), marges latérales 2,8 (gauche) et 5,4 (droite). Interligne 1,5. Soit 27 lignes maximum par page.

La seconde : Times New Roman corps 13,5 , marges en hauteur 3,3 (haut et bas), marges latérales 2,5 (gauche) et 4,7 (droite). Interligne 1,5. Soit 27 lignes maximum par page.

Dans tous les cas : indication très claire de la pagination en bas à droite.

En quatrième de couverture, ne tentez pas de vraie quatrième de couverture. En tout cas, à ce stade, évitez toute louange sur le texte proposé (surtout pas de « style percutant », « d’histoire haletante », de « personnages inoubliables » ou « d’auteur talentueux »). Cela paraît évident, mais on voit fréquemment de telles vanités. L’impression produite est désastreuse. Tenez-vous-en à un vrai pitch, en corps 18 ou 20, en 500 - 700 signes, c’est très bien. Le pitch, c’est un résumé drastique du livre, qui en donne le sujet et le ressort (ce qui rend la lecture intéressante).

Couverture : mon expérience est à prendre avec des pincettes. Ce que je fais n’est pas recommandé, et normalement pas apprécié.

Une vraie couverture de tapuscrit, c’est, sur fond de page vide, le titre en gros (genre corps 48 ), et, en plus petit, en dessous : le genre (roman, roman policier, nouvelles, récits, essai, etc.), et le nom de l’auteur.

En bas de la couverture, vous donnez vos coordonnées : adresse, téléphone, mail. (vous les remettrez en page de garde).

Et là, je ne respecte pas la règle : j’ai, chaque fois, ajouté un visuel sur la couverture. Ce visuel n’a jamais été le visuel finalement retenu, mais il indique un peu « le climat » et le sujet du livre. Jusqu’ici, ça m’a porté chance, donc je continue. Sur mon premier roman (« Le Vertige des auteurs »), c’est ce qui a permis au manuscrit d’émerger dans les arrivages du jour : l’éditeur m’en a reparlé quand il m’a appelé.

Pour mon tout dernier manuscrit, j’avais fait mieux (ou pire, je ne sais) : j’avais, sous le visuel, donné le pitch en très gros caractères. En tout cas, ça a marché.

Je le redis, ce que j’ai fait n’est pas conseillé.

Reliure : pas d’agrafage, évidemment. Et évitez les dos carrés/collés. Ils ne permettent pas de lire aisément le manuscrit à plat. Alors, que choisir ? Il y a deux solutions :

- la solution « feuille à feuille ». Les pages restent libres, elles sont contenues dans un classeur sur lequel vous porterez une grosse étiquette ou carrément une feuille 21 x 29,7 collée, très bien collée, j’insiste (si elle se perd, c’est votre tapuscrit qui se perdra).

- la solution « reliure serpentin ». Elle permet de lire le tapuscrit plus aisément, notamment dans les transports en commun.

J’ai utilisé les deux solutions. Je préfère la seconde, expérience faite : un éditeur qui avait reçu le roman en feuille à feuille avait perdu une centaine de pages sans s’en apercevoir (si, si, c’est vrai !). Il m’a dit qu’il était gêné par « les ellipses très brutales du récit ». Anecdote dont je garantis l’authenticité.

Voilà, c’est tout pour la forme physique. Le très prochain billet sera consacré à la forme « littéraire ». Adjectif impropre, mais je n’en ai pas trouvé d’autre. En lisant le billet, vous comprendrez ce que je veux dire.


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LES COMMENTAIRES (1)

Par Un_Auteur
posté le 06 février à 13:06
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Eh bien moi, j'ai une aventure peu commune à raconter.

En 2007, j'ai envoyé un manuscrit au comité de lecture de nombreuses maisons d'édition. Je n'ai reçu que des refus ; un certain nombre d'éditeurs n'ont tout simplement pas répondu à cet envoi, parmi lesquels “Les Éditions du Bord-de-l'Eau”, sises dans le sud-ouest de la France.
Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir, quelque temps après, sur le blog de cet éditeur, un éloge de mon manuscrit par le directeur de la maison, M. Dominique-Emmanuel Blanchard :

« J’ai noté que ça arrivait souvent comme ça : après des semaines d’indigences littéraires surgissent, deux, trois manuscrits qui m’enchantent. Hier c’était “Malateste”, aujourd’hui c’est “Apostrophe aux contemporains de ma mort”. Que l’on ne s’y trompe pas : il s’agit d’une œuvre réjouissante malgré son titre. À commencer par son style. L’ai-je assez déplorée cette pauvreté du style dans ce qui tombe dans la boîte postale et sur les messageries de BDL ! Et voilà que coup sur coup le style renaît, ne cesse de renaître de ses cendres (je vous épargnerai le cliché du Phénix, enfin, presque). Voulez-vous un exemple de ce fameux style dont il m’arrive de rebattre les oreilles des incrédules ? Oui, n’est-ce pas ? Voici donc : “Ensuite je ne sais plus, j’ai un trou de mémoire. Je crois que les événements se sont précipités. Qu’on sache seulement que d’assis je me suis retrouvé couché sur le dos, qu’il n’était plus à côté de moi, mais sur moi, et que de paroles entre nous il ne pouvait être question, car il s’affairait à rendre la chose impossible à lui comme à moi.” »

http://domi33.blogs.sudouest.com/archive/2007/12/20/deb-le-style-bordel.html

Je n'ai jamais eu aucunes nouvelles de cet éditeur.

(Heureusement j'ai trouvé il y a peu un autre éditeur — après environ 160 refus —, et j'espère être publié au premier semestre 2010).

http://apostrophe.bleublog.lematin.ch/

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