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La bataille du Grand Nord a commencé…

Publié le 20 mai 2009 par Infoguerre

« Il faut se méfier de la périphérie, car si on n’y prête pas attention, elle peut devenir le centre ». Dean Rusk, secrétaire d’Etat (1961-1969) de John F. Kennedy puis de Lyndon B. Johnson. Dans leur livre, Richard Labévière et François Thual nous dressent les problématiques faisant de l’Arctique une zone vitale, stratégiquement et bientôt économiquement. Il existe trois facteurs importants, les deux premiers étant causés par le réchauffement climatique :

1] La maritimisation de l’océan Arctique, c’est-à-dire l’ouverture de la route du nord-est qui part du Nord de la Russie d’Europe jusqu’au Pacifique russe. Il existe aussi un projet d’ouverture d’une route du nord-ouest à travers les immensités canadiennes, rendu possible par la fonte des glaces.

2] La perspective d’une mise en valeur des énormes ressources en pétrole et en gaz, sans parler des autres matières stratégiques situées sur le pourtour de l’océan Arctique (Groenland, Alaska, Russie, etc.).

3] La modification du statut géopolitique de l’Arctique et son insertion dans l’histoire mondiale sont dues à sa militarisation croissante : dès la première guerre mondiale, puis durant la seconde guerre mondiale, et ensuite dans le cadre de la rivalité entre Moscou et Washington. Cette rivalité s’annonce de plus en plus forte dans les années à venir.

Toutefois, les auteurs rappellent qu’il n’y a pas deux mais cinq pays engagés dans l’Arctique : « Ainsi, le cercle de l’Arctique, le club des Cinq (Russie, Danemark, Etats-Unis, Canada et Norvège), semble confrontés à des problèmes similaires. Il doit mettre en valeur les régions qu’il conserve jalousement après des siècles d’indifférence. Autre caractéristique de ces cinq bienheureux : malgré la faible densité démographique de leurs marches arctiques, ils savent que leur avenir passe précisément par le Grand Nord. La prise en compte de cette arcticité aura mis du temps à éclore, mais aujourd’hui elle semble irréversible. Cette montée en puissance en fait le dernier grand laboratoire de la mondialisation. Celui-ci concentre tous les grands défis environnementaux, énergétiques et stratégiques de la planète ».

Par conséquent, Labévière et Thual présentent l’espace polaire comme un « millefeuille stratégique » comprenant cinq tendances : le Canada entend affirmer une souveraineté polaire pleine et entière ; En voulant consolider ses capacités énergétiques polaires, la Russie cherche à signer son retour de puissance mondiale ; L’économie régionale est déjà profondément chamboulée par l’internationalisation d’investissements majoritairement américains ; Les menaces environnementales et sécuritaires vont s’accumuler ; Les tensions internationales vont se durcir.

Les auteurs se proposent alors de dresser trois scénarios probables pour l’Arctique :

1] « Une nouvelle guerre froide : à la suite des pertes territoriales et démographiques enregistrées depuis la fin des années 1980, Moscou nourrit une réelle obsession d’encerclement stratégique et cherche à investir militairement ses frontières et prioritairement sa façade sibérienne. Dans cette même logique de retour de puissance, la Russie entend valoriser de manière optimale la gestion de ses matières premières ». Moscou a aussi une tendance à inclure toutes les questions du « proche voisinage » (Kaliningrad, Transnistrie, etc.).

2] Un espace communautaire intégré. Ce scénario optimiste verrait les Etats redécouper leurs frontières en réglant leurs contentieux de manière pacifique et harmonieuse par le biais du droit international et du droit de la mer, sous l’égide des Nations unies. En prenant en compte les problématiques environnementales et sociétales, ce scénario pourrait déboucher sur la construction d’un espace polaire intégré, institutionnellement inspiré de l’Union européenne.

3] Un océan américain. C’est le scénario le plus vraisemblable selon les auteurs, l’hyperpuissance étant, pour l’instant, la mieux placée pour faire valoir ses choix énergétiques, politiques et stratégiques.

Le troisième scénario est d’autant plus probable que l’approche américaine actuelle de l’Arctique privilégie le cheval de Troie groenlandais. Il y a trois facteurs essentiels :

1] le facteur démographique : la population arctique rassemble environ 600 000 personnes dispersées sur des territoires immenses. Ainsi, la population groenlandaise compte environ 57 000 personnes. « Elle représente la densité humaine la plus forte, donnée susceptible de servir de base à différentes stratégies d’intérêt et d’influence ».

2] Le facteur stratégique : « la pérennité d’une présence militaire américaine au Groenland n’est pas qu’une manière de poursuivre la guerre froide par d’autres moyens mais vise bien la reproduction d’une hégémonie géostratégique, via le bouclier antimissile et d’autres moyens terrestres et maritimes de surface et sous-marins ».

3] Le facteur politique est de loin le plus important puisque le Groenland n’a eu de cesse, depuis les années 1950, de conquérir son autonomie vis-à-vis du Danemark, tout en faisant toujours partie du royaume. Ainsi, un subtil jeu politique se met en place entre le Groenland, les Etats-Unis et la Danemark. Or, comme le soulignent les auteurs, la « Groenlandisation » est un « ménage à trois » où le Groenland gagnerait son indépendance mais sa colonisation économique par les Etats-Unis, le Danemark étant irrémédiablement déclassé.

Et les auteurs de citer en conclusion un paragraphe du livre de Jean Malaurie, Les derniers rois de Thulé, écrit en 1955 : « Je ne saurais assez me répéter : une double indépendance politique et économique est nécessaire pour qu’une minorité soit en mesure de se défendre. Faut-il le redire, une fois encore ? Un pays autonome, dépendant économiquement, voit son développement lié à des intérêts qui lui sont extérieurs. Inutile de rappeler ce qui est arrivé en Amérique latine ou en Afrique. Dans l’Arctique, c’est déjà la concentration excessive en quelques villes (Nuuk, 13 000 habitants comptent pour plus du quart de la population, la population active étant pour l’essentiel sans travail), le fonctionnarisme et la bureaucratie, une mono-économie néocoloniale peu pourvoyeuse d’emplois au Groenland (la pêche à la morue et à la crevette rose), cependant que le reste du pays réel stagne et dépérit. Le néocolonialisme est la face aimable de l’assimilation de ce qui doit devenir, à court terme, une clientèle et un marché. Qui ne connaît le processus ? Le moindre manuel d’économie politique vous le décrit. L’on se demande parfois à quoi servent les sciences sociales, les mêmes erreurs étant répétées à différentes latitudes. Condition des conditions : l’éducation. Mais quelle éducation ? Il n’y a pas de relèvement économique sans conscience historique ».

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