Magazine Cinéma
2009
Quentin Tarantino
Avec: Christoph Waltz, Mélanie Laurent, Brad Pitt, Diane Kruger, Michael Fassbender
Ce qu’il y a de bien avec Internet, c’est que le culte du réalisateur est de facto découragé. Quand quatre gus sur cinq mettent Le bon la brute et le truand dans leur top 20 sur dvdrama, on questionne rapidement sa propre admiration dans ce qu’on lui trouvait de si particulier. Or, je n’avais pourtant déjà pas le culte facile, de Clint Eastwood à Stanley Kubrick, personne pour mériter de tonitruants maîtres, personne à mettre sur un T-Shirt, personne qui mérite un exposé en cours de Français. Quentin Tarantino n’eut donc pas plus que les autres, le droit à cet honneur, malgré un Reservoir Dogs traumatisant en 1992 (on ne m’avait pas prévenu de l’ablation auriculaire), malgré un Pulp Fiction épatant mais limite trop virtuose, malgré un Jackie Brown très réussi, et malgré un Kill Bill dont on vanta naguère déjà les qualités soi-disant spaghettiennes, mais qui se révéla tout juste consommable. Vous le savez, il ne suffit pourtant pas, à mon sens, de mettre quelques gros plans, quelques ralentis, quelques notes de Ennio Morricone pour faire un hommage réussi au western spaghetti ou au cinéma de genre, il faut de la texture, il faut de l’émotion labellisée « premier degré » qui fasse que le spectateur se prenne au jeu, que le spectateur tremble pour les personnages. C’est par ailleurs ce qui manquait au foutraque Pacte des loups, Christophe Gans eut sabré dans les combats Kung Fu et le délirium scénaristique au profit d’une vraie tension palpable et crispante, il aurait réussi un film à peu près aussi parfait que Inglourious Basterds.
Certes, le mot est lâché. Parfait n’est pas synonyme de chef d’œuvre. Parfait veut dire que toutes les composantes sont dosées harmonieusement pour prendre son pied du début à la fin, du premier tableau bluffant au dernier tableau bluffant en passant par les deuxièmes, troisièmes et quatrièmes tableaux bluffants. Les dialogues à rallonge sont un plaisir pour l’oreille, d’autant que comme le dit le Dr. Orlof quelque part, ils participent à 100% à cette tension qui crispe le spectateur pendant tout le film. Les personnages sont tous parfaits, les acteurs sont tous au diapason. Vincent a dit ailleurs que Tarantino savait filmer les femmes (à moins qu'il ait dit ça de quelqu'un d'autre, je ne retrouve pas la phrase), et malgré la suspicion sexiste que peut susciter habituellement ce genre de propos, il a raison. Mélanie Laurent n’est jamais aussi passionnante que lorsqu’on la filme sans fard, sans tentative d’iconisation, comme une personne réelle qui n’a pas nécessairement besoin de séduire à l’écran. La violence qui éclate sporadiquement est bien sûr toute Tarentinienne, mais modérée, histoire de décevoir bien profond les bourrins qui ne voient en Tarantino qu’un geek qui se vautrerait dans la démesure bisseuse. Mais c’est bien le cinéma dans son ensemble que Tarantino adore, et il le prouve plan après plan. Alors on peut chercher les références, crier Bingo comme l’un des personnages, quand il filme les yeux en gros plan (bingo : Sergio Leone), quand il filme une scène à travers une porte (bingo : John Ford (on nous fait le coup à chaque fois, étudiants en cinéma, filmez une scène ou deux de votre court-métrage de fin d’étude à travers une porte (ouverte quand même), vous aurez assurément une bonne note)) ou quand il donne des noms de bisseux italiens à ses personnages (bingo : Antonio Margheriti) ; contrairement au Spirou de Yann, l’essentiel n’est pas masqué par les coups de coudes complices, Tarantino nous transporte, nous scotche au fauteuil, nous emmène où il veut malgré un théâtralité imposante.
C’est amusant comme les connexions se font, Le groom vert-de-gris a fait l’objet d’une polémique initiée par le dessinateur Joann Sfar, qui, s’il admet que les nazis de Yann ou ceux de Tarantino (ou ceux de Steven Spielberg dans les Indiana Jones) puissent être des nazis de pacotilles uniquement destinés à endosser le rôle de grand méchant loup dans les histoires d’aventure, n’admet pas qu’il en aille de même pour la représentation des juifs et de l’Holocauste au cinéma ou en BD, prenant en exemple cette petite juive aux seins naissants qui veut que Spirou l’embrasse. On ne va pas remettre une couche sur le travelling de Kapo, ni sur Claude Lanzmann scandalisé par l’émotion obscène de La liste de Schindler de Steven Spielberg, lui-même outré de voir l’holocauste juif réduit à un terrain de jeu dans La vie est belle de Roberto Benigni, il s’agit d’interrogations valables, discutables et discutées, mais lorsque Tarantino parvient à nous foutre la trouille avec un nazi de pacotille, quand il parvient à insuffler une angoisse permanente dans sa France occupée uchronique (si vous aimez les mots à la mode) ou parallèle (si vous préférez les mots de l’ancienne mode), et que cette angoisse horrible n’a aucune différence conceptuellement, dans son ressenti intime et physiologique, avec celle ressentie dans L’armée des ombres pendant les séances de torture, avec celle ressentie dans la Liste de Schindler quand les SS ne parviennent pas à abattre l’ouvrier qui ne travaillait pas assez vite, avec celle éprouvée lors de la monstrueuse scène du coiffeur dans Shoah, il démontre tout simplement que les films dits « réalistes » et « sérieux » (rajoutez des guillemets autour de ces mots si vous sentez qu’il n’y en a pas assez) ne parviennent pas plus qu’un film aussi crétin et décérébré que Inglourious Basterds à s’approcher d’une vérité quelconque sur la barbarie nazie. Lorsque Lanzmann met en scène un survivant dans son ancien salon de coiffure, il fait in fine exactement la même chose que Tarantino qui cache des juifs de fiction sous un plancher dans Inglourious Basterds, quelque fut l’intention de départ. Alors certes, cette démonstration de l’inutilité de s’en prendre à ce film dans sa bêtise crasse d’une représentation des juifs vengeurs et scalpeurs était en soi inutile elle-même, tant le réalisateur a pris soin de grossir délibérément le trait pour s’affranchir de ce genre d’attaque, mais que voulez vous, je nettoyais mon clavier, les mots sont partis tout seuls.On l’aura donc compris, Inglourious Basterds est un film parfait dans sa façon de jouer dans une deuxième guerre mondiale de cour de récréation comme Leone jouait dans un Ouest de cour de récréation, tout en faisant flipper sa race au spectateur. C’est bien simple, on ne sait jamais précisément ce qui va se passer, les destins basculent en permanence, les personnages parlent et parlent et parlent et glacent le sang. La dernière fois que j’ai ressenti cette impression de perdre pied et de réellement retenir mon souffle sans savoir à quoi m’attendre, c’était pour le fameux épisode de la saison quatre de Six Feet Under où l’un des personnages prend en stop un gars vraiment instable. Ceux qui me connaissent un peu diront, bah et alors, c’était le mois dernier, mais tant pis, Inglourious Basterds m’a diverti da A à Z, sans imperfection autre que ce discours du cinéma dans le cinéma, les discussions sur Max Linder, Charlie Chaplin et Georg Pabst, qui montrent de façon beaucoup trop visible que Tarantino ne fait que parler de cinéma. Le trait est déjà connu chez les écrivains ; passe encore que le très talentueux Paul Auster mette en scène un écrivain dans 99.99% de ses romans, mais même un prolifique et commercial gars comme Stephen King ne peut pas s’empêcher d’en placer régulièrement, comme si un artiste ne pouvait que parler de son art. C’est finalement un peu dommage de voir le même travers au cinéma. On aimerait que le réalisateur soit un peu plus con, qu’il n’y connaisse rien en cinéma et qu’il continue d’emballer ses films idiots comme il l’a fait pour Inglourious Basterds, mais sans faire une déclaration d’amour à son art à chaque plan, là ce serait vraiment le pied !
Capture: cinemovies