Magazine Beaux Arts

SALLE 5 - VITRINE 1 : STATUETTE DE PORC - E 27248 - (Première partie)

Publié le 15 septembre 2009 par Rl1948

     Comme convenu mardi dernier, nous voici donc réunis, vous et moi ami lecteur, cette matinée près de la première des vitrines de la salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre à une heure telle que nous pouvons agréablement profiter, pour mieux en apprécier tous les objets, de la douce luminosité automnale qui filtre par la fenêtre s’ouvrant - c’est une vue de l’esprit ! - sur le Quai François Mitterrand et la Seine, juste devant nous, plutôt qu’être aveuglés par le soleil direct qui, indiscrètement, pénétrera ici cet après-midi.
SALLE 5 - VITRINE 1 : STATUETTE DE PORC - E 27248 - (Première partie)

     Et je ne doute pas qu’un d’un coup d’oeil, un seul, vous avez immédiatement remarqué qu'à l'avant-plan de ce meuble s'étale une petite collection d’ostraca peints - "figurés", dit-on plutôt dans le vocabulaire égyptologique -, que vous me permettrez de ne point détailler aujourd’hui, préférant concentrer d’abord votre attention sur une oeuvre placée tout à l’arrière et qui, par son volume, attire immédiatement et inévitablement le regard.

SALLE 5 - VITRINE 1 : STATUETTE DE PORC - E 27248 - (Première partie)
     Il s’agit bien évidemment de cette statuette en bois (E 27248), d’une hauteur de 23, 5 cm pour une longueur de 35, 5 cm, et datant probablement de la XVIIIème dynastie, la note sur le cartel étant assortie d’un point d’interrogation. D’une facture relativement fruste, elle représente, posée sur un socle d’un bois d’une autre essence, un porc mâle, la tête dirigée vers le sol dans l’attitude caractéristique d’un animal en quête de sa propre pitance.

     D’un premier coup d’oeil aussi, vous conviendrez avec moi que, mises à part l’extrémité du groin et la forme des oreilles, l’animal, beaucoup plus maigre, beaucoup plus haut sur pattes, offre bien peu de ressemblances avec le grassouillet congénère que nous lui connaissons de nos jours.

     Parmi les mythes qui peuplent toute civilisation antique, ceux qui, en Egypte plus particulièrement, font référence tant à Osiris qu’à Horus font souvent aussi, peu ou prou, intervenir le dieu Seth. Et que ce dernier porte la plupart du temps préjudice à l’un ou l’autre membre de sa propre famille ne fait plus aucun doute, si l’on se réfère aux textes dans lesquels ils interviennent les uns et les autres : ainsi, et pour faire simple, d’Osiris, Seth sera le meurtrier dans la mesure où il dépècera son corps, et d’Horus, le mutilateur en s’emparant d’un de ses yeux.

     Quoiqu’il en soit, considéré comme une divinité néfaste, Seth, auquel un automatisme récurrent associe la couleur rouge, celle du sang - certains papyri médicaux traitant de l’hématurie parasitaire considèrent d’ailleurs le dieu comme étant à l’origine de cette pathologie qu’ils décrivent en insistant sur la présence de sang dans les urines, rouges, du malade -, fut également allié au porc, cet animal finalement très ambigu : tantôt il constitue un des éléments primordiaux de l’alimentation de certains Egyptiens, sert à divers niveaux de leur pharmacopée, est utilisé pour différents travaux des champs, tantôt il est considéré comme totalement impur et banni, notamment, de l’environnement sacerdotal, quand ce ne sont pas les porchers eux-mêmes que l’on met au ban de la société !

     La version la plus ancienne des mythes qui évoquent Seth se trouve déjà dans les Textes des Pyramides qui, je le souligne rapidement au passage, n’apparaissent pour la première fois que dans celle du roi Ounas, à la fin de la Vème dynastie. 

     Le combat entre Seth et Horus est également relaté au chapitre 112 du "Livre pour sortir au jour" que d’aucuns continuent toujours à erronément appeler "Livre des Morts", quand Rê demande :

"... "Fais-moi voir ce qui est arrivé à ton oeil aujourd’hui !" Il le vit, et alors Rê dit à Horus : "Jette donc un regard sur ce porc noir !" Alors il le regarda et la blessure de son oeil devint très vive. Alors Horus dit à Rê : "Voilà que mon oeil est comme il fut lors de ce coup que Seth avait porté à mon oeil", et il perdit connaissance. Alors Rê dit à ces dieux qui le portaient sur son lit : "Qu’il reprenne ses sens !"


Il était arrivé en effet que Seth s’était transformé en porc noir, et il avait alors porté le coup brûlant qui était dans son oeil.


Alors Rê dit à ces dieux : "Abominez le porc à cause d’Horus ! Puisse-t-il donc reprendre ses sens !" Et c’est ainsi que le porc fut en abomination, à cause d’Horus, de la part des dieux de sa suite ..."


Il est ainsi plus que probable qu’il faille précisément aller chercher dans ces mythes étiologiques l’origine de l’interdiction de consommer de la viande de porc faite aux prêtres égyptiens, ainsi que l’entrée des temples et nécropoles aux porchers eux-mêmes, si l’on en croit Hérodote (II, 47) :


"Le porc passe chez les Egyptiens pour une bête impure. Qui en frôle un au passage va aussitôt se plonger dans le fleuve tout habillé; de plus, les porchers quoique Egyptiens de naissance, sont seuls en Egypte à ne pouvoir entrer dans aucun temple; personne ne consent à donner sa fille en mariage à un porcher, ni à prendre femme chez eux : ils se marient entre eux."

SALLE 5 - VITRINE 1 : STATUETTE DE PORC - E 27248 - (Première partie)
     Et pourtant dès la constitution de l’écriture hiéroglyphique égyptienne, le signe du porc (E 12 dans la liste de Gardiner ) fit d’emblée partie d’un corpus qui n’évoluera guère jusqu’à l’époque ptolémaïque. Et ce hiéroglyphe servit notamment de déterminatif à une série de termes définissant tout à la fois le cochon, le porc en tant qu’animal domestique ou non, la truie, qu’elle soit ou non blanche (j’y reviendrai la semaine prochaine), le cochon noir que nous venons de découvrir assimilé à Seth, le verrat, etc.

     C’est sur un pan de cette étonnante ambiguïté qui frappe la famille porcine, tantôt honnie, tantôt amie, qu’en prémices à notre rencontre ici même mardi prochain pour plus particulièrement évoquer l’animal domestiqué, je voulais, ami lecteur, aujourd’hui attirer plus spécifiquement votre attention.

     A mardi, même vitrine, même heure ?

(Bardinet : 1995, 59 ; Barguet : 1967, 149; Hérodote : 1964, 161; Sarr : 2008, passim)


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Rl1948 2931 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte