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François Bon, L'incendie du Hilton, Albin Michel

Par Irigoyen
François Bon, L'incendie du Hilton, Albin Michel

Trois semaines passées à l'autre bout du monde le mois dernier m'ont presque fait perdre la notion de temps et d'urgence. Urgence, bien entendu, de reprendre ce blog là où je l'avais laissé, avec cette interview de Pierre Michon qui, vous en conviendrez, est tout de même une compagnie des plus agréables pas seulement en été d'ailleurs. Durant cet intermède aoûtien, j'ai donc lu. Beaucoup lu. Lu et relu l'intégralité de l'œuvre de Jean Echenoz – je lui consacrerai une série de chroniques -. Lu quelques petits bijoux qui s'inscrivent dans ce que mes confrères appellent la rentrée littéraire. Parmi ces trésors-là, il y a les derniers livres de Brigitte Giraud – que j'aurai le plaisir d'interviewer prochainement -, d'Alain Monnier et de François Bon.

François Bon, L'incendie du Hilton, Albin Michel

Dans ce « roman », puisqu'il est ainsi catégorisé, nous voici plongés à Montréal à la fin de l'année 2008. François Bon vient participer, avec d'autres auteurs, éditeurs et personnages plus approximatifs, semble-t-il du monde littéraire, au Salon du Livre. Celui-ci se tient dans l'un de ces hôtels dont la renommée internationale n'a d'égal que le côté totalement impersonnel : le Hilton.

Pour ceux qui, comme moi, seraient passés à côté de l'information, un incendie s'est déclaré dans cet établissement le 22 novembre 2008. Cet événement est le point de départ d'une déambulation dans les coulisses de cette grande ville de la Belle Province.

« Avant de commencer, compteraient donc non pas des faits, mais le souvenir de cette déambulation dans l'envers de la ville, soudain offerte : le moderne montrait ses coutures. »

Plus loin :

« Pour appréhender une ville, il faut en savoir la structure. »

Ayant toujours été fasciné par ces ensembles – halls de gare, terminaux d'aéroport, aires d'autoroutes et autres -, ce dernier opus ne pouvait me laisser indifférent. Mais là n'est sans doute pas l'intérêt premier du livre. Celui-ci est d'autant plus intéressant que, dans un monde où l'image est considérée comme reine – les sondages montrent bien que les citoyens les plus méfiants vis-à-vis des images sont aussi ceux qui les consomment le plus -, un texte sur un événement très visuel a priori – les flammes – se passerait de tout commentaire. Un peu à l'image – sans mauvais jeu de mots - du No comment de la chaîne de télévision Euronews -. C'est exactement le contraire et d'ailleurs, François Bon pose cela comme un préalable.

« La série des images prises dans ces quatre heures, j'en dispose sur cette même machine où j'écris. Pour l'instant, je n'ai pas besoin de m'y référer : c'est ce dont l'image ne saurait témoigner qu'il me faut entreprendre de rejoindre par le récit. »

Les coulisses de la ville sont aussi le prétexte, me semble-t-il, à faire découvrir celles d'un livre. Comment naît un livre ? Comment, à partir de faits, d'idées remarquables ou considérés comme tels – y compris dans ce qu'ils ont de plus banal chez certains auteurs – s'opère le passage à l'écrit. C'est aussi à cette tentative-là que nous associe, je trouve, François Bon :

« J'ai toujours travaillé en double, avançant à la fois le livre et son projet »

Plus loin, dans ses carnets :

« Autre chose que du roman : où commence, dans un récit, ce qui construit représentation du réel plutôt qu'il ne le mime ? Et qui serait en possession de la frontière ? Les livres qui ont le plus d'importance s'écrivent ici, en amont du roman, et c'est eux paradoxalement qui en constituent l'histoire. Être dur avec les formes mortes. - Se mourir à soi-même alors. »

François Bon revêt ici plusieurs casquettes. L'une d'elles est sans doute celle du sociologue. A le lire ici, on a l'impression d'entendre un Jean Baudrillard qui nous expliquerait ce que ces coulisses ne disent pas au commun des mortels. Qu'un Salon du Livre a été pensé pour résider dans un lieu qui n'est finalement rien d'autre qu'un instant éphémère dans une existence. Et que ce lieu se trouve loin des yeux, dans les entrailles de la terre.

« Et c'est le Salon du Livre qui motivait notre venue, dans l'avion du jeudi, qui en était l'explication : sur cinq étages souterrains (deux de parkings, trois de salons – les accès principaux en niveau rue, et des bureaux au-dessus sur douze étages). »

On goûte avec délice l'aveu d'une vénération pour Jean Rollin – que je partage avec François Bon – écrit noir sur blanc avant la recherche d'un refuge dans une patinoire – autre sous-terrain glacé cette fois -. On sourit volontiers aux souvenirs du narrateur lorsqu'il évoque des moments passés dans la Tour Karl-Marx à Bobigny en 1986. On se délecte des descriptions faites d'autres hôtels fréquentés par obligation, en particulier pour récupérer des points du permis de conduire.

Mais on s'attriste aussi à lire :

« sous une lumière verte clignotante, l'enseigne Lowest book price / Le livre à moins cher, dans les deux langues, donc, parce que dans cette ville, si on n'a pas besoin de spécifier être bilingue pour vendre des bijoux fantaisie, des sacs à main ou des mugs à votre prénom, pour les livres il le faut bien. C'est donc ici qu'ils habitaient, les livres, bons à finir dans ce corridor sous le néon des livres bradés ? »

Montrer par l'écrit. On voit bien la noblesse du propos : attirer l'attention sur les dérives d'une société d'artifice, de faux-semblants, d'éphémère. Vous direz que ce n'est pas une nouveauté. Peut-être mais ça fait tellement de bien dans cet océan de propos futiles que constitue la « rentrée littéraire".


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