Suite de la publication des manhwa...
Oh Yeong Jinest technicien du bâtiment en Corée du Sud. Il est envoyé en mission en Corée du Nord pour superviserun chantier de canalisations. De retour dans son pays, Oh Yeong Jinprend sa plume et son carnet de dessin et nous raconte son périple et son séjour dans cette moitié Nord de Corée qui semble si différente et parfois si étrange.
De ce pays, nous avions déjà lu Pyongyang de Guy Delisle. Le dessinateur québécois, envoyé en mission pour superviser la réalisation de dessins animés, nous avait apporté un récit ou tout semblait verrouillé, donnant un point de vue d’expatrié dans un monde étrange et parfois hostile, fermé comme une huître, refusant de s’ouvrir tant du fait des différences linguistiques et culturelles que des réticences politiques. Guy Delisle récidivait ensuit en Chine et en Birmanie (Shenzen et Chroniques birmanes) avec plus ou moins de réussite. Ses ouvrages ont parfois suscité débats, certains voyant dans ces récits des relents de néocolonialisme. Alors qu’à mon sens, il s’agissait plutôt d’une démarche artistique donnant un point de vue personnel sur un état de fait (le travail de coopération, voire un ersatz de mondialisation – via des délocalisations-, par des expatriés). État de fait dont il n’est pas question dans ces ouvrages de juger mais bien de relater. Les formes du néocolonialisme ne se traduisent pas toujours dans les situations de coopérations, d’échange ou dans les actions humanitaires, quant à la mondialisation et aux délocalisations, on peut évidemment se poserla question de savoir si cela est l’exégèse du néocolonialisme. Passercette analyse politique, restait un malaise. Ce trouble est plutôt à considérerdu point de vue des différences culturelles (y a-t-il rencontre ou non ?) et de la confrontation entre un point de vue particulier et une volonté de généraliser et catégoriser la diversité, démarche plutôt préconçue qui ne semblait pas être celle de l’artiste, mais était pourtant présente dans la tête de certains lecteurs.
Le point de vue de l’expatrié est plutôt lié à l’organisation et aux conditions de vie dans un pays étranger et ne permet pas d’avoir une vision globale de la société… et d’ailleurs cela est-il important ? Une démonstration formidable se trouve aussi dans la ouvrages de Nicolas Wild et les deux tomes de son Kaboul Disco. Wild et Delisle nous transmettent une image parcellaire des pays où ils sont immergés : peu de contacts avec les populations locales, filtrées par les différences culturelles, linguistiques, sociales ; un regard teinté par la mission dont ils sont chargés (un peu différent est le point de vue de Guy Delisle dans ses chroniques birmanes, puisqu’il suit là-bas sa conjointe, employée par MSF) et les tâches qu’ils doivent accomplir, les personnes avec qui ils travaillent, etc.
Je me suis dit qu’avec Le visiteur du sud, ces filtres là seraient inopérant : les deux Corées partagent une même langue et une culture similaire. Mais finalement l’histoire récente des deux pays a contribué à en faire deux états complètement différents, les différences linguistiques existent (accent et mots diffèrent presque autant qu’entre le québécois et français métropolitain), et les différences culturelles sont nombreuses même si récentes et profondément lié au choix politique de chacun des deux pays : communisme au nord et libéralisme au sud. Oh Yeong Jin n’est ni plus ni moins un étranger en Coréedu Nord ; les péripéties de son voyage aller sont à ce titre exemplaire : Oh Yeong Jin est obligé de sortir de Corée du Sud, malgré la frontière commune entre les deux pays, de rejoindre la Chine pour pouvoir obtenir l’autorisation d’entrée en Corée du Nord (surréaliste !). Toutefois sa proximité historico-culturelle lui permet de rencontrer et d’échanger plus facilement avec les habitants et les ouvriers du Nord que ce que Guy Delisle et Nicolas Wild ont pu faire. Son regard est ainsi plus proche des préoccupations des coréens qu’ils rencontrent. De fait son analyse sur la Corée du Nord produit un tableau à la fois inattendu et convenu de ce que nous pouvions imaginer. Absurdité et folie, congénitale aux systèmes dictatoriaux, se ressentent profondément. Mais de part et d’autre l’idée d’une réunification n’est pas absente, des comités y travaillent et les gens espèrent. La relation de Oh Yeong Jin, en choisissant de relater des moments de sa vie quotidienne (des petits tracas au relations de travail en passant par les moments incontournables : manger, se faire couper les cheveux, se déplacer…), de donner son point de vue (et son sentiment) sur ce qui l’entoure immédiatement, en observateur engagé et responsable (de nombreux renseignements historiques approfondis accompagnent le récit dessiné) est finalement fort passionnant et donne une œuvre informative profondément humaine et engagée. Respect et humanisme coexiste avec la banalité du quotidien qui font de ses aventures une expérience accessible à tout un chacun. Les dessins simples, aux traits apurés, parfois caricaturaux (façon très asiatique d’appréhender certaines situations dramatiques ou comiques) donnent à l’ensemble une patine très personnelle. On peut aussi penser au travail indispensable d'Etienne Davodeau, (qui se fend d'une préface d'ailleurs) bien que ce dernier se rapproche plus du style journalistique et du travail d'enquête développé aussi dans des ouvrages tels que Noir Métal ou ceux de Joe Sacco.
L’ouvrage a été primé par l'Association des Critiques et journalistes de BD (Prix Asie-ACBD 2008)
Chez l'éditeur et
sur Du9.
Parcours de lecture dans les manwha :
La bicyclette rouge de Kim Dong-hwa (15 mai 2008)
Massacre au pont de No Gun Rin de Park
Kun-woong et Chung Eun-yong (16 octobre 2008)Chagrin dans le ciel de Lee Youn-bok et Lee
Hee-jae (1er août 2009)
La mal aimée de Kim Dong-hwa (15 août 2009)
L'idiot de Full Kang (1er
septembre2009)
Le visiteur du Sud - Oh Yeong Jin(15
septembre 2009)
Le visiteur du
Sud
Oh Yeong
Jin, flblb éditions, 2008 - 19,00 €.