Ce récit de voyage est suivi de la traduction du Zend Avesta. Celle-ci n'est pas encore une
œuvre de pure philologie, comme on l'entendra un siècle plus tard après les travaux d'Eugène Burnouf. C'est la transmission à l'Europe de l'enseignement des destours, tel qu'Anquetil l'a
recueilli avec son acuité d'attention et sa lucidité. Jointe aux observations et descriptions soignées qu'il a faites des pratiques et coutumes, c'est maintenant un document précieux sur l'état
de la religion parsie en Inde au XVIIIe siècle.
Cette œuvre doit être prise comme un rapport de voyage scientifique, car son auteur l'avait conçue comme telle. Elle fonde l'esprit et la méthode du voyage scientifique. Anquetil Duperron
réfléchira toute sa vie sur la nature du voyage et du récit de voyage. Il fait un effort d'objectivité rare pour son époque. Il se détache de son siècle par son désintéressement absolu, sa
recherche d'un niveau de connaissances sur le pays plus avancé, plus profond. Pour cela et pour accéder à la culture, il apprend plusieurs langues : ce qu'on appelait le "portugais paria" employé
par les Européens, le persan qui permettait le contact avec les milieux du pouvoir et les cercles cultivés, l'hindoustani par lequel on pouvait approcher le peuple. Il s'intéresse principalement
à la religion, parce que c'est dans cette sphère que les peuples placent le plus profond de leur culture.
Anquetil Duperron n'avait pu remplir sa mission dans l'extension qu'il lui avait donnée : »Je savais encore que les quatre Vedes, livres sacrés des Indiens, étaient écrits en ancien
samskretan et que la Bibliothèque du roi était riche en manuscrits indiens que personne n'entendait. Ces raisons m'engagèrent à préférer l'Inde au Kirman d'autant plus que je pouvais également y
approfondir l'ancien persan et l'ancien samskretan ». Après le Zend Avesta, il n'eut de cesse de réaliser pour les Veda ce qu'il avait fait pour le livre sacré des Perses. Il le fit à
Paris, ou du moins fit ce qu'il put faire à Paris.
En 1775 il reçut un manuscrit persan envoyé de l'Inde par le Colonel Gentil, un officier français au service d'un nabab indien, avec qui il s'était lié durant son voyage, quinze ans auparavant.
C'était une version persane de cinquante Upanisads, ces textes sanskrits dans lesquels les brâhmanes de l'époque védique ont posé les fondements de la philosophie indienne. Elle était due à Dârâ
Shukôh, l'infortuné prince moghol, fils aîné de Shâh Jahân, assassiné par son cadet Aurangzeb en 1659, prince d'une très grande culture, d'une grande intelligence confinant à la mystique, qui
avait rêvé d'une harmonie entre l'islam et l'hindouisme. Il voyait confluer les deux religions dans un monothéisme absolu. En 1657, il avait réuni les meilleurs lettrés de Bénarès dans son palais
de Delhi au nom persan et sanskrit, Manzil-i-Nigambodh "Demeure de la compréhension des textes sacrés", et recueillant leurs commentaires avait composé une traduction persane de leur
enseignement sanskrit fondé sur les Upanisads. Ce n'est pas une traduction de la lettre des textes antiques. C'est une amplification des textes et de la pensée. Les brâhmanes consultés lui en
avaient présenté l'interprétation moniste que Sarkara a initié vers le VIIIe siècle de notre ère et qu'une longue lignée de philosophes n'a cessé de développer et raffiner au cours du
temps.
Ce fut pour Anquetil-Duperron une nouvelle rencontre intellectuelle de la plus haute qualité, et peut-être encore plus profonde que sa rencontre avec le destour parsi. Il entreprit une traduction
française qu'il réalisa entre octobre 1786 et juillet 1787. Il publia d'abord quatre textes dans ses Recherches historiques et géographiques sur l'Inde. Le reste est resté inédit, mais
par sa propre volonté. Il était peu satisfait de ce premier travail. Il avait un souci extrême de littéralité et trouvait son français « barbare ». Le latin lui permettait de
garder l'ordre des mots du texte persan. Il refit sa traduction en latin et la publia avec une annotation considérable. Ces commentaires contiennent une érudition sans limites et des digressions
sur les sujets les plus divers qui en font un livre aussi passionnant que difficile. Il y insère beaucoup de matière personnelle, toute sa pensée, toutes ses réactions, ses souvenirs de l'Inde et
des témoignages de son existence au fil de son labeur. Ce fut, en effet, un labeur que l'on peut qualifier d'héroïque, quand on considère les circonstances dans lesquelles il le réalisa.
A SUIVRE