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The time traveler's wife (Hors du temps)

Par Sylvainetiret
Le poids de la charge

Et hop, c'est parti pour un nouveau Festival du Film Américain de Deauville, le 35ème du nom en 2009. On ne peut pas dire que la météo soit clémente, après un été torride et un virage à 180 degrés la veille de l'ouverture, mais bon, si c'est pour rester enfermé toute la journée dans une salle de cinoche, dîtes moi un peu ce que ça peut faire ! Bien sûr, ça décoiffe un peu pour se rendre aux projections et ça éternue un peu dans les files d'attente. Et alors ? Quelqu'un s'intéresse à ce que je sois bien coiffé ? Et de toute façon, comme la grippe A va nous décimer sous peu, autant en profiter tout de suite et vivre une vie aventureuse au mépris du danger …
C'est d'ailleurs bien ce qui arrive à ce pauvre Henry dont la palpitante existence nous est racontée dans le film d'ouverture du festival, « The time traveler's wife » (Hors du temps), de Robert Schwentke. Tout commence quand Henry a 6 ans et qu'il éprouve pour la première fois l'expérience involontaire du voyage dans le temps. Le malheur veut que cela lui arrive alors qu'il est sur la banquette arrière de la voiture conduite par sa mère, dont l'attention est détournée à la vue de son fils qui s'efface progressivement de la banquette en n'y laissant que ses vêtements, juste au moment où arrive en face le camion qu'elle ne peut éviter et qui va causer sa mort. Henry réapparaît quelques secondes plus tard sur le bas-côté, près de la voiture en flammes, aussi affolé qu'il est nu comme un vers. Sa seule réassurance vient de cet homme étrange qui le couvre d'une couverture et lui dit qu'il est lui-même Henry, bien plus âgé, venu du futur lui dire que tout ira bien pour lui malgré la mort de sa mère.

Quelques années plus tard, Henry s'est plus ou moins habitué à ces déplacements temporels intempestifs. Il rencontre alors Claire, une jeune femme qui l'aborde en lui disant le connaître. Elle lui explique alors qu'elle le connaît par les apparitions qu'il fait auprès d'elle régulièrement depuis qu'elle est enfant, ou du moins les apparitions qu'il va faire dans les années à venir. Rapidement séduit, Henry ne tarde pas à nouer une relation avec Claire, jusqu'à l'épouser. Le couple vit une vie entrecoupée des absences d'Henry pour cause de voyages temporels inopinés. Les difficultés viennent lorsque Claire fait plusieurs fausses-couches successives attribuées à une transmission génétique aux enfants qu'elle porte de la « tare » de leur père. Avec l'aide du Dr Kendrick (Stephen Tobolowsky), un généticien appelé en renfort, elle finit tout de même par mettre au monde une fille, Alba, dotée des mêmes pouvoirs que son père mais les maîtrisant néanmoins relativement.
Evidemment, les déplacements temporels d'Henry finissent par le mettre en face de sa propre mort, que l'ensemble de la famille va devoir affronter, chaque membre l'abordant de sa position particulière : Henry parce qu'il est directement en cause, Claire par une procuration active, Alba par son rôle de témoin mobile au travers du temps.
Si le voyage dans le temps a souvent été imaginé à l'écran, il l'a surtout été en en exploitant la veine aventurière. Depuis la simple exploration, jusqu'aux tentatives de modifications du passé pour corriger le présent, il a été un vaste terrain de jeu du fantastique ou de la science-fiction. Mais il n'avait à ma connaissance jamais été abordé sous cet angle intime. Sont ici d'ailleurs rapidement balayées en quelques phrases les tentations d'intervention sur le passé dont il est vite annoncé qu'elles sont vouées à l'échec. C'est que le sujet est manifestement ailleurs.
Et cet ailleurs est bien plutôt dans l'allégorie de ce qui traverse le temps dans la vie de chacun, de son corps à sa capacité de relation, de lien, d'émotion, de partage. De là la charge symbolique qui s'impose en tous les recoins du film, au double sens du mot « charge », celui du poids, de la densité, mais aussi celui de l'assaut, faisant de la charge symbolique comme une charge de cavalerie. La nudité d'Henry à chaque déplacement temporel comme une nouvelle naissance ; la couverture qui recouvre sa nudité aux moments essentiels de sa vie, après l'accident de voiture, lors de sa rencontre avec Claire, lors de sa mort, comme une récurrence de ce qui protège, qui donne sens à la vie malgré les tourbillons extérieurs ; le lit à baldaquin sans dais de la nuit de noce d'Henry et de Claire, comme rappel de l'imprévisibilité même au plus près de la construction du foyer ; la rencontre d'Henry adulte avec sa mère avant son accident, au cours de laquelle il conserve l'anonymat, comme acceptation du destin que rien ne peut changer si ce n'est l'affection qu'on peut y entretenir ; … les exemples sont innombrables.
Car tout tient dans le seul fait que si le voyage dans le temps existe, si l'on peut naviguer de part et d'autre de sa propre mort, la mort elle-même devient alors un simple épisode sans grande importance. Il suffit alors d'inverser les termes et de considérer que si la mort, pour douloureuse qu'elle soit, est vue comme une péripétie qui n'altère pas l'attachement, elle ne peut plus empêcher le retour éternel du disparu. Vieux rêve repeint de nouvelles couleurs : l'amour annulerait la mort. C'est à ce rêve que nous invite le film, nous renvoyant dans les paisibles prairies éternelles annoncées depuis que l'antiquité avait formalisé les Champs Elysées, reprenant déjà sans doute d'autres versions antérieures de la même image. Pas de mystère si les rencontres temporelles entre Henry et Claire se déroulent justement dans ce type de paysage.
Et pour souligner encore le poids et la force de cet amour qui, lui seul, peut vaincre la mort, toute l'histoire s'écrit ici au féminin, supposé être le genre de l'entretien de la vie. C'est ainsi que la mort ne peut venir que de la coalition des pères, que les survivants ne peuvent être que des femmes entre elles (Claire, Alba, le double d'Alba venant du futur se préparer elle-même au décès du père), que la seule violence physique du film montre la correction qu'administre Henry vêtu en femme au sortir d'un de ses voyages à un indistinct loubard.
Daren Aronowsky, avec « The fountain », s'était, il y a quelques années, attaqué à un sujet comparable, cherchant la permanence de l'amour par la permanence de la vie. Ici le projet est inversé, comme en miroir, tout en visant un horizon semblable. Mais tout le monde n'est pas Aronowsky, tout le monde n'est pas Hugh Jackman, tout le monde n'est pas Rachel Weisz. Si Schwentke fait de son mieux, il semble se noyer dans tellement de symbolisme que d'une charge héroïque, il finit par faire sentir la charge de pesanteur. Les pistes sont souvent ébauchées, mais à peine traitées tant le sujet est vaste et s'occupe avec un nombre restreint d'entre elles. Mais peut-être peut-on voir cette technique de l'ébauche surabondante comme un choix en soi, comme un moyen de laisser le spectateur libre de découvrir de nouveaux prolongements, de nouvelles exégèses possibles.
Les choix techniques, aux yeux d'un simple spectateur, paraissent simples, sans trop d'effets spéciaux si ce n'est cette façon de faire disparaître Henry comme par gommage lors de ses départs temporels. On a vu ce qu'Aronowsky pouvait inventer d'images étonnantes dans un contexte semblable ; on imagine ce que Spielberg ou Lucas auraient pondu de scènes spectaculaires avec le même matériau. En tout cas, le choix est cohérent avec le projet évident de rester loin de l'aventure et de demeurer au plus près de ce que le quotidien presque banal peut être tout en se remplissant d'intensité intime.
Les acteurs cherchent visiblement à être au diapason de cet objectif, bien qu'avec des réussites variables. Etonnamment, les deux plus efficaces sur ce plan paraissent être les deux enfants interprétant Alba à 5 et 10 ans (Hailey et Tatum McCann). Le reste de la troupe donne un peu dans le surjeu. Pas tellement dans l'absolu, d'ailleurs, que relativement au choix de traitement du sujet. Eric Bana ne perd son expression d'urgence ou d'étonnement qu'à l'approche du décès d'Henry. Son père (Arliss Howard) en fait des tonnes dans le genre désespoir solitaire réfugié dans l'alcool. Rachel McAdams abuse un peu de son joli minois, mais finalement sans verser dans la caricature systématique, ce qui fait au bout du compte bien passer l'ensemble.
Alors quoi ? Un film intéressant à coup sûr. Peut-être un peu trop dense pour faire oublier ses manques ou son désir de trop en dire. Mais après tout, ne vaut-il pas mieux un peu de « trop » que de « pas assez » ?

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