Magazine Cinéma

The messenger

Par Sylvainetiret
L'arrière de l'avant
Nouveau compétiteur au Festival du Film Américain de Deauville 2009, avec « The messenger », un film pondu en 2009 par Oren Moverman. Encore un film sur la guerre d'Irak ? Oui et non. C'est bien le contexte général, mais ça pourrait aussi bien se situer dans celui de n'importe quelle guerre. Car le sujet n'est pas tant celui de la guerre que d'une des articulations entre le monde militaire et le monde civil en temps de guerre.
Le sergent Will Montgomery (Ben Foster) a été blessé au front et est affecté, pour ses derniers mois de service, à un poste non combattant sur le sol des Etats-Unis. Il est placé sous les ordres du capitaine Tony Stone (Woody Harrelson) dont il est l'unique subordonné. Leur mission : annoncer aux familles le décès des militaires tués au front. Devant le caractère trivial de la tâche pour qui est revenu médaillé du terrain, Will ravale sa rancœur, mais, en bon soldat, s'exécute. Sa tâche se révèle cependant moins évidente qu'il pouvait sembler. Stone lui en enseigne la codification précise, fruit de l'expérience, la ritualisation, mais aussi les pièges, les chausses trappes, les difficultés, les astuces, les échappatoires. Et surtout combien il faut aussi une certaine forme de courage pour l'accomplir correctement. Une des annonces qui leur incombe s'adresse à Olivia Pitterson (Samantha Morton) dont la réaction les intrigue. Tentant d'en savoir davantage, Will se rapproche progressivement d'elle, sous le regard réprobateur du capitaine Stone. Parallèlement, les deux hommes apprennent à se connaître et se lient d'amitié.

On peut dire ce qu'on veut de ce film, mais sûrement pas qu'il s'agit d'une histoire classique cent fois ressassée. Bien sûr, on a régulièrement vu les affres et la solitude du chef de corps devant la page blanche de la lettre à écrire aux parents d'un soldat mort. Mais la procédure a visiblement évolué depuis que John Wayne ou Clint Eastwood se chargeaient de l'affaire. Maintenant, la réactivité de la presse est telle qu'il faut à l'armée une vitesse d'exécution dans l'annonce qui prenne de vitesse les organes de presse, sous peine de voir les familles averties par le journal avant même l'annonce officielle. La sensibilité des civils semble avoir également évolué, de façon telle que l'annonce écrite ou téléphonique serait probablement prise pour une véritable insulte. On mesure toute la distance depuis les scènes décrites pour la seconde guerre mondiale ou celle du Vietnam. La prise en compte de la sensibilité des familles en arrive même à tourner à l'entreprise de protection de l'armée ou de ses émissaires : toute une stratégie et maintes précautions sont prises pour éviter de délivrer le message à la mauvaise personne, pour être certain qu'elle soit entendue même si les proches ne saisissent pas l'anglais, pour proposer dans une forme standardisée à laquelle ne peut échapper nul oubli un soutien psychologique réglementaire, …
Malgré cela, malgré ce cadrage pointilleux, on continue à sentir la sensibilité, l'humanité, la compréhension même sous la démarche quasi robotisée. Et c'est probablement vrai qu'il faut avoir le cœur accroché pour assumer le rôle de messager de ce genre de nouvelle. Surtout quand on est un soldat que rien n'a préparé à ce type de situation si ce n'est un vieux fond d'humanité.
Que dans ces circonstances on bascule aisément dans les vieux travers de ce que des décennies de réflexion sur la relation soignant-soigné ont largement identifié n'a rien de bien surprenant : transfert, contre-transfert, burn out, ambiguïté du contact physique, … Les choses sont bien décrites, parfois même explicitement dites. Avec le mérite de les extraire d'un contexte médical pour les faire apparaître dans la quotidienneté de la relation humaine. Difficile de savoir si le projet était de parler de cela et que le contexte de guerre fournissait un cadre utile, ou s'il était d'explorer une face méconnue de la tâche militaire et que la réflexion a été poussée jusqu'à ce point de rapprochement avec la pratique soignante. En tout cas le résultat est là, et il est assez expressif.
Pour faire bonne mesure, on ne s'épargne pas quelques clichés sur la condition militaire, sur la relation « entre mecs qui en voient de dures ». Les beuveries réparatrices, les bagarres solidarisantes, les filles à soldats comme génitalité en contrepoint du contact avec la mort, la solitude du soldat abandonné par sa compagne pendant qu'il est au front, le deuil du couple comparé au deuil tout court, … on balaye large dans la psychologie de la séparation.
Dans les rôles de taiseux qui savent encaisser sans perdre leur âme, il faut avouer que Ben Foster et Woody Harrelson sont loin d'être des mauvais choix. Face à eux, Samantha Morton n'a pas la tâche facile pour défendre son personnage, mais s'en sort honnêtement. A noter la prestation de Steve Buscemi dans le rôle d'un père recevant l'annonce du décès de son fils : une apparition, mais quelle apparition.
Le montage semble un peu se chercher, avec quelques tentatives de ce découpage saccadé qui devient à la mode - sans qu'on comprenne généralement bien l'utilité de générer de telles migraines chez le spectateur -, comme dans certaines des scènes d'annonces. Ce qu’on saisit bien, c’est la volonté de décrire ces missions d’annonce comme on aurait pu filmer des scènes de combat, mais ce qu’on saisit moins c’est la nécessité de le faire. En dehors de ces quelques accélérations, le montage reste finalement relativement sobre.
La mise en scène ne va pas dans l'originalité. Sans trop de fioriture, encore que peut-être avec une petite tendance à souligner le mélodrame, mais ça passe raisonnablement, au moins dans la première partie du film. Car il y a bien deux parties distinctes : la première concernant les aspects concrets du cadre, la seconde davantage centrée sur la relation entre Will et Olivia et sur l'évolution psychologique des personnages. Autant dire que la première partie est bien plus intéressante que la seconde qui s'étire un peu en longueur.
Finalement, même si on n'est pas dans le registre du chef d'œuvre qui marquera l'histoire du cinéma, et malgré le Grand Prix qui lui est finalement attribué à Deauville, on est malgré tout dans une tentative honnête de penser et d'aider à comprendre la réalité, en des termes simples, sensibles, parfois touchants, et ce n'est déjà pas si mal.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Sylvainetiret 73 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines