Magazine Livres

Destinées anonymes

Par Chroniqueur
Destinées anonymes
Destinées anonymes et si profondément humaines que celle des personnages de Volski et Mila, dans le roman de Andreï Makine, La vie d'un homme inconnu. L'histoire se déroule durant le siège de Léningrad et les purges staliniennes. Sainte Mila, aurait-on envie de dire, qui se prostitue pour trouver à manger pour ses orphelins. Saint Volski, le chanteur, qui après avoir connu la faim, la guerre, l'internement injuste aussi bien dans les camps que les asiles psychiatriques, consacrera la fin de sa vie aux orphelins les plus démunis, leur apprenant à chanter et à monter en scène pour se libérer de leur noire existence. Pédagogue de fortune, il découvrira ce que le chant et la création de petites opérettes pourront apporter à ses enfants:
«Au bout d'une dizaine de répétitions, il comprit le vrai sens de ce qui semblait d'abord un simple amusement. Sur scène, ses élèves oubliaient leur mal. Mais surtout, ils menaient une vie que personne ne pouvait leur interdire. En quelques minutes de jeu, chacun d'eux échappaient à ce monde qui les avait condamnés à ne pas exister.» (p. 268)
Le vrai héros de ce roman est Volski, un homme moulu par des épreuves monstrueuses qui éclaireront tout le ciel qu'il porte en lui. Choutov, personnage décalé lui aussi, ne retrouvant pas ses repères dans la nouvelle Russie, occupe - un peu longuement - la première partie du roman. Il est revenu à Saint-Pétersbourg pour revoir un amour d'enfance, Iana, femme "overbookée" qui vit à cent à l'heure entre la gestion de luxueux hôtels et ses relations avec la haute société. Et c'est précisément dans son nouvel appartement qu'il rencontrera ce locataire anonyme qui est en passe d'être délogé. On pourrait s'imaginer qu'il en veut à ce système qui n'en finit pas de l'expulser et pourtant, il confie à Choutov, son confident d'une nuit de veille:
«-Vous savez, je n'en veux pas à votre amie Iana, dit le vieillard et il repose sa tasse sur la table de nuit. Ni aux autres, non plus. Ce qu'ils vivent n'est pas du tout enviable. Vous imaginez, il leur faut posséder tout cela!
Sa main fait un large geste et Choutov voit clairement que ce "tout cela" c'est le nouvel appartement de Iana, mais aussi ce long écran du téléviseur et ce reportage sur l'élite russe installée à Londres, leurs hôtels particuliers et leurs résidences de villégiature, et ce cocktail où il se retrouvent entre eux, et toute cette nouvelle façon d'exister que Choutov ne parvient pas à comprendre.
- Nous avons eu finalement une vie si légère! dit le vieil homme. Nous ne possédions rien et pourtant nous savions être heureux. Entre deux sifflements de balles, en quelque sorte...
Il sourit et ajoute sur un ton de boutade:
- Non, mais regardez ces pauvres gens, ils souffrent!
On voit [sur le grand écran de télévision] une réception dans un palace londonien, le rictus crispé des femmes, les faces luisantes des hommes.» (p. 276)
Oui, Saint Volski anonyme qui ne cherche aucune reconnaissance et qui a su surmonter toutes ses épreuves parce qu'il avait compris «... que dans tout ce qu'il avait vécu il n'y avait de vrai que ce ciel regardé, le même jour, peut-être au même moment, par deux être qui s'aimaient. » (p.244)
La vie d'une homme inconnu, Andreï Makine, Seuil 2009.
Image - Merlus

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Chroniqueur 55 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazine