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Sur l’insoutenable attente…

Par Rikmü

deux heures

Deux heures
Sylvia Rozelier

Éditions Pocket

moyen2

Première phrase // C’est dans un appartement parisien, la décoration est soignée, étudiée, on pourrait dire féminine.
Dernière phrase // La part inconsolable.

Samedi matin, 8 h 44. Le téléphone sonne. Une femme, dans les bras d’un homme, émerge lentement d’un sommeil profond. Elle répond. Sa mère au bout du fil : un avion en partance de Charm el-Cheikh s’est écrasé peu après le décollage. Elle lui demande de confirmer le numéro de vol de sa petite-fille, de sa fille à elle, qui devait rentrer d’Égypte ce matin, exactement à la même heure. Elle raccroche. Elle refuse de croire qu’il s’agit de cet avion-là. Les autres, oui, sa fille, non. Et pourtant en attendant l’annonce officielle, les minutes défilent, longues, incertaines, le doute s’installe, mûrit, devient lancinant.
Samedi matin, 10 h 43. La sonnerie du téléphone retentit…

Deux heures est un texte fortement inspiré de la catastrophe aérienne du vol Flash Airlines FSH-604 survenue le 3 janvier 2004 au large de Charm el-Cheikh.
Tout commence un samedi matin, une femme alors profondément endormie auprès de son amant, est subitement réveillée par le téléphone. Sa mère lui annonce que le vol que sa fille, accompagnée de son père, devait prendre, s’est écrasé juste après son décollage.

“8 : 47
Tu décroches le téléphone. La voix de ta mère dans le combiné, sa voix lente, altérée déjà menace tes projets de bonheur. À quelle heure rentre l’enfant ? Tu ne comprends pas sa question. Quelle heure est-il, tu demandes. Elle ne veut pas t’inquiéter. À quelle heure rentre l’enfant, elle répète. Tu les connais ses précautions, elle ne te réveille quand même pas un samedi matin à l’aube pour ne pas t’inquiéter ? Dis petite maman, ne serait-il pas possible, rien qu’une fois, une toute petite fois seulement que tu oublies la noirceur de la vie, rien qu’une fois m’en dispenser ? Que se passe-t-il cette fois, l’oncle Jean agonisant, la tante Christiane déjà froide ? Tu ironises. Et déjà tu regrettes mais qu’y faire ? Aucune résolution ne sert, aucun beau serment. Plus tu réprimes, plus les mots s’échappent, jaillissent trop brusques, méchants quand tu les voudrais les plus tendres, les plus neutres.
Elle dit non, je t’en supplie ne parle pas comme ça. Elle sait ta colère, elle ne s’offusque pas, ce matin, elle accepte, elle ne compare pas ton cynisme à celui tant éprouvé de ton père. Ce matin, elle est différente, presque gênée, conciliante.
D’accord, d’accord, tu ne diras plus rien c’est promis, que se passe-t-il ?
Elle se force. Sa parole laborieuse, hésitante, elle explique du plus calmement qu’elle peut. Elle explique qu’un avion s’est écrasé aux premières heures du jour, peu après le décollage, en Égypte, une station balnéaire sur les bords de la mer Rouge. À quelle heure devait rentrer l’enfant ?
Elle conjugue l’enfant au passé. Tu entends. Catastrophe aérienne, ton enfant dans la carlingue, la carlingue au fond de la mer. Tu comprends et tu refuses. Tu cherches dans ta tête, en même temps que le moyen de contenir son grand malheur, les mots qui l’apaiseront. Tu la sens fébrile, au bord des larmes. Tu ne supportes pas ses larmes si promptes, une mère ne pleure pas ! Tu lui en veux, tu t’en veux de lui en vouloir. Tu as mal pour elle, mal pour toi, tu ne peux pas t’empêcher d’avoir mal et de lui faire du mal. Entre vous, l’histoire sans fin, mère-fille le couple réversible qui n’arrive pas à sortir de la révolte.
Elle t’agace. L’heure exacte, tu ne sais plus, il faut que tu vérifies, tu la rappelleras. La rappeler, combien de fois cette promesse non tenue ? Mais ce matin, tu le feras, tu n’es pas machiavélique, tu ne joueras pas avec ses nerfs.”

À partir de ce moment, les minutes vont s’égrener, interminables, jusqu’à un autre coup de fil deux heures plus tard… Deux heures durant lesquelles cette mère va passer par tous les stades émotionnels. D’abord, l’espoir que sa fille ne fut pas dans l’appareil, puis le doute, puis, enfin, l’acceptation de l’inévitable.

“9 : 32
Morte, tu appelles le mot, la mort qui retient tes larmes, ton cri.
Tu attends ta mort du mot, qu’il te foudroie.
Tu le formules, tu le répètes.

Morte, morte, ton enfant morte, entends-tu ?

Tu écoutes le son du mot.
Le son cristallin, le mot transparent, négligeable.

C’est un mot qui ne fait pas assez de bruit, pas plus lourd que l’éther, c’est une erreur de la langue.
Tu le voudais épais sirupeux, tu le voudrais baroque et claironnant, à la hauteur.

Le mot épouse le sens, parfaitement, se confond avec le rien qu’il désigne.

Le mot reste mot, ne te rend pas à son évidence, à sa brutalité.
C’est une idée bouleversante, mais ça n’est qu’une idée.
Quand devient-elle la mort cette idée ?

Tu voudrais la douleur de l’instant.
Tu voudrais la souffrance qui s’éructe.
Tu ne cries pas.

La douleur est figée là, dans l’idée, indélogeable.
L’idée saisissable, la mort non, un mot, sa mélopée impuissante.
Tu as trop d’attention pour le mot.”

Tout le texte est à l’image de ces deux extraits : des phrases très courtes à la deuxième personne, des gestes et des émotions disséqués… C’est vraiment très bien écrit et l’idée est excellente et plutôt efficace, et malgré cela, je n’ai rien ressenti ou pas grand chose, en tout cas pas autant que ce à quoi je m’attendais en me plongeant dans cette lecture.
Cependant, je crois que je referai une tentative, car c’est vraiment un bon texte, original. J’ose croire que ma relation avec ce texte ne doit pas s’arrêter là ! À suivre

;)

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Sylvia Rozelier

Sylvia Rozelier
Sylvia Rozelier est née en 1971. Elle vit et travaille à Paris. Deux heures est son premier roman.
Bibliographie
2008 / Je partirai, je pars toujours
2006 / Deux heures
Deux heures
Sylvia Rozelier
Éditions Pocket, 2008
▲▲ Faites vous votre propre idée, en voici les premières pages.

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