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Nike storytelling

Publié le 15 septembre 2009 par Fric Frac Club
Nike storytelling

Peut-être la Grande Banlieue de notre Belle République vient-elle enfin d'accoucher de son meilleur scribe (cette question reste malgré tout encore en suspend car je n'ai pas encore réussi à savoir si Félix Jousserand y avait passé sa tendre enfance lui qui a ciré les bancs de sciences po), en tout cas de l'un de ses meilleurs textes (ceci ne fait pratiquement aucun doute). Faïza Guène peut donc prendre des vacances bien méritées, le béton brut vibre partout ailleurs & c'est assez fascinant. Alors il y aura toujours des petits malins pour venir me dire que c'est de la pose pure & simple, qu'on s'en fout de ces histoires de baskets à la mords-moi le nœud & je dirais oui oui, peut-être. Le truc c'est que ce Basketville-là est plein d'un souffle mutant qui traverse sans vergogne tout un pan de notre culture orale & écrite sans pour autant t'envoyer du sable dans les yeux ni renier, dans la forme (ou du moins dans son évocation), ce qui fit de notre langue un instrument littéraire formidable. Ça c'est dit.

Je dois avouer que j'ai ouvert ce court livret (75 pages sans majuscules – détail sans conséquences qui fera néanmoins plaisir à un des membres du Club – au format d'un plan de métro) avec quelques appréhensions. Appréhensions qui ne se sont pas dissipées à la lecture de la bibliographie de Jousserand où il est fait mention d'une anthologie de slam & alors tout de suite l'imposante silhouette bancale de Grand Corps Malade dont on connaît tous au moins une personne qui aura affirmé sans sourciller : « Attends, je sais ce que tu vas me dire, mais ses textes sont trop géniaux » ou encore : ce souvenir d'un retour en métro avec d'autres chums après un Fric-Frac Banquet bien arrosé à Montmartre où un jeune rocker (MGMT style) débile & totalement ivre de 15 ans, luttant contre les lois impartiales de l'attraction, a brutalement fini par embrasser une calandre de bagnole bien solide – un retour en métro donc qui nous offrit, à chaque station, les reliquats d'un concours de slam organisé par la RATP. Il est fort possible que même sans avoir bu une seule goutte d'alcool nous aurions ri quand même mais BREF ! Tout ça pour dire que j'étais sur la défensive au moment de pénétrer dans Basketville.

Nike storytelling

C'est d'abord déroutant – une langue hachée & instable, confise d'images à double tranchant que j'imagine aisément en incarnation de la précarité du coin & d'une oralité hip hop balancée à ta face de jeune blanc bec, genre : le roi Heenok te parle d'hydroponie & de bouffe bio. Mais si le rappeur québécois nous faisait rire parce qu'il a, à un moment donné, lâché complètement l'affaire & qu'on est en droit de se demander s'il se souviendra un jour de toutes les perles absurdes qu'il a offertes à une humanité francophone, ici, l'humour est un calibre qui vise au millimètre près histoire de bien faire mal. Sans s'armer de cette agressivité coutumière du milieu qu'il décrit, qui en a un gros sac à raconter sur la vie en banlieue, les deals foireux, le shit commercial, les contrôles d'identité au faciès & les chagasses qui se trimballent en bande, Jousserand écrit de façon remarquable une langue (orale oui, mais c'est tellement évident & publiée dans la collection Vox... tout un programme) où l'ironie infuse jusqu'à votre manière de penser & d'appréhender le phénomène. Outre l'agréable sensation de fraîcheur primitive qui vous parcourt les synapses en lisant ce phrasé si singulier chacun doit s'attendre à emprunter quelques chemins de biais. Il retourne, sans en faire des caisses (& peut être ne le voulait-il même pas après tout... faut bien tirer quelques choses de ces 75 pages), vos belles idées de petits français bien calés &, par dessus tout, relativement indifférents (les vacances à la mer payées par une association, parrainée par une chanteuse à l'accent québécois, auxquelles on préfèrerait largement une bonne paire de Nike ou encore ce passage étonnant qui raconte la destruction d'une vieille tour délabrée & qui met à plat toutes les images d'Epinal politiques & médiatiques qui serpentent à longueur de JT). C'est donc bien un évitement magistral d'une caricature annoncée auquel on a droit. Il n'y aura pas de langage 2 rue dans ce petit machin, il n'y aura pas de guerre entre NTM & IAM, il n'y aura pas d'encensement confus & guttural de la street life ni de casquettes Lacoste portées sur d'absurdes shorts de bain à fleurs (Villebrequin) ni le Grandmaster Flash en bande son historique. Non. Par contre, pour les curieux de formes romanesques discrètes, portés sur les petites trouvailles insignifiantes mais qui font la joie de certains ufologues littéraires, on y trouve, d'après ce que j'en sais, une utilisation parfaite & idoine des tirets tel que Kerouac en avait recommandé l'utilisation dans ses Principes de Prose SpontanéeMETHODE – Pas de points séparant les phrases-structures déjà arbitrairement minées par la fausseté des deux points & des timides & généralement inutiles virgules – mais vigoureux tiret coupant la respiration rhétorique (comme le musicien de jazz reprenant son souffle entre les phrases expirées) - « pauses mesurées qui sont les principes de notre parole » - « divisions des sons que nous entendons » - « le temps & comment le noter » p. 699 Kerouac, Sur la route & autres écrits, Gallimard/Quarto). Référence aux aînés. Connaissances historiques actives & savamment infiltrées dans un papier, tel celui-ci... c'est toujours ça de pris.

Alors oui, les baskets comme point d'appui d'une métaphore du consumérisme moutonnier c'est un risque relativement restreint au niveau de la démonstration & de l'écriture, l'ethno-sociologie identitaire en béton armé n'en est pas à ses premières rafales, le clivage entre le fond & la forme est un grand classique remixé depuis la nuit des temps mais ça n'est pas vraiment important ici puisque le discours tient tout seul sur ses deux papattes & s'en sort plutôt bien. Mais faudrait pas nous faire le coup deux fois...


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