A un mois de mes vacances en Corée, je commence à avoir quelques points essentiels à finaliser (l’hébergement n’étant pas des moindres). Mais en ces premiers jours de juillet, je peux toujours compter sur le Festival Paris Cinéma pour m’offrir un moyen agréable de préparer mon séjour au bout de l’Asie : voir un film coréen inédit, qui plus est en présence de son réalisateur et interprète principal. Un tout petit film d’auteur provoquant un étonnant déluge de sensations et d’émotions, et laissant, comme suggéré par le titre, à bout de souffle. Au lieu de vous parler des derniers films vus en salles le week-end dernier, je ne peux résister à l’irrépressible envie de vous parler de ce film…
Il y a trois ans déjà, Paris Cinéma avait eu l’excellente idée de mettre à l’honneur le cinéma coréen, donnant l’occasion d’un festin cinéphile difficile à égaler pour qui aime les films issus du Pays du Matin Calme. C’est dans la compétition internationale que figure cette année Breathless, première réalisation du comédien Yang Ik-Joon. A mille lieues des comédies et films d’action dans lesquels l’acteur s’est illustré, Breathless est un film qui ne peut que sortir de ses tripes, fait avec un budget que l’on devine minime mais déployant une force que l’argent n’achète pas.
L’histoire est celle de Sang-Hoon, petite frappe approchant de la trentaine qui gagne sa vie en récupérant des dettes non remboursées auprès de simples citoyens, souvent à l’aide de ses poings. C’est aussi l’histoire de Yeon-Hee, lycéenne peu passionnée par les études qui, depuis le décès de sa mère, fait office de maîtresse de maison auprès de son frère aîné et de son père. La rencontre entre Sang-Hoon, ultra violent crachant son venin à quiconque croise sa route, et Yeon-Hee, adolescente à fort caractère malmenée chez elle, va sensiblement bouleverser la vie de chacun.
Ce qui est passionnant dans le cinéma coréen, c’est que malgré l’attente que l’on développe autour (si l’on s’y intéresse), malgré l’apparente simplicité que l’on semble percevoir dans l’intrigue et les personnages de certains films, comme on peut le ressentir au premier abord avec Breathless, les lieux communs explosent, la facilité est contournée, et le résultat final (au choix) perturbe, choque, émeut, transporte. Breathless, malgré ses moyens limités et des ramifications entre les personnages si clairement établis qu’elles semblent promettre peu d’alternatives à un plan tout tracé, est sans conteste de ces films.
Le misérabilisme social pourrait guetter à chaque séquence. La détresse humaine pourrait être appuyée jusqu’au pathos le plus dégoulinant. La violence physique pourrait verser dans l’apologie jouissive. Pourtant de ces caractéristiques denses, Yang Ik-Joon tire une substance admirable, une galerie d’êtres humains meurtris, les héros en tête, mais également des seconds rôles tous justes, gamin sans père, gangster efféminé, pères fantomatiques.
La richesse de Breathless est de se nourrir de ce qui fait la force inimitable du cinéma coréen, la rupture de tons constante notamment, et de l’associer à un style vif, brut, parfois quasi-documentaire, proche du cinéma social européen, qui pousse constamment le film en avant. Le cinéaste explore chaque aspect de ses deux protagonistes, ne se contentant jamais de les montrer sous un seul visage. Il n’y a pas de problématique simpliste dans le rapport des personnages à la violence, qui est au cœur du film. Sang-Hoon n’est pas une brute sanguinaire sans relief. Justifier et adoucir ainsi ses actes n’est pas le but du réalisateur. Il affine le cogneur déblatérant les insultes à tout va, mais jamais ne le lave de son côté obscur.
Les opposés semblent indissociables sous l’œil de Yang. Violence et bonté ne sont pas incompatibles, mais en aucun cas elles ne sauraient suffire à expliquer ou définir un personnage et ses actions. Drame tragi-comique, Breathless s’affranchit de sa condition de tout petit film d’auteur (Yang est interprète principal, scénariste, réalisateur, producteur et monteur du film), portant un grand coup émotionnel aux yeux et au cœur, faisant coexister sa nette rudesse avec des touches d’allégresse et de douceur (la musique, aérienne, fait penser à du Sigur Ros).
Prix du Jury et Prix de la Critique au dernier Festival du Film Asiatique de Deauville, Breathless devrait sortir dans les salles françaises en décembre prochain.