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Regarde les hommes monter…

Publié le 27 septembre 2009 par Boustoune

Au début, Un prophète inspire une certaine méfiance : le récit du jeune homme paumé et asocial qui se retrouve soudain plongé dans un milieu carcéral violent, on a déjà vu ça cent fois. Et comme il est d’origine maghrébine, on craint, au vu du titre, que le scénario ne dérive vers une sombre histoire de manipulation par des réseaux islamistes installés au cœur de la prison, pas plus novatrice et hautement scabreuse.
Mais on est très vite rassurés par les intentions de Jacques Audiard et surtout par la maestria de sa mise en scène. Le réalisateur de De battre mon cœur s’est arrêté et de Sur mes lèvres maîtrise mieux que quiconque les codes du film noir et sait en jouer sans jamais sombrer dans le cliché ou la facilité, les détournant même quand il le faut, afin d’y greffer ses propres thématiques.
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Un prophète est plus qu’un simple film carcéral. C’est un récit initiatique. L’incroyable tinéraire de Malik El Djebena (Tahar Rahim), un jeune marginal de 19 ans, inculte, sans famille ni amis, qui, entré en prison avec tout juste 50 francs en poche, en sortira instruit, polyglotte, doté d’un solide réseau relationnel, d’une famille et d’un butin confortable…
Le film raconte comment le jeune homme a su s’adapter à l’univers très dur de la prison, d’abord pour y survivre, puis pour s’en servir comme d’un tremplin social.
Quand il débarque dans les lieux, il est isolé et un peu candide. Une proie facile pour les détenus les plus violents. Il comprend dans la douleur qu’il ne restera pas longtemps en vie sans la protection de l’un des deux clans rivaux qui règnent sur la prison, les corses et les arabes. Contre toute attente, Malik entre au service du parrain corse, l’influent César Luciani (Niels Arestrup). Acceptant sans ciller les tâches les plus ingrates, subissant en silence les humiliations des caïds du groupe, le jeune homme observe et apprend. Il gagne progressivement la confiance de Luciani, et une curieuse relation s’installe entre les deux hommes, mélange d’affection réciproque et de haine, d’admiration et de dégoût.
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Jacques Audiard filme avec un intérêt très particulier le lien qui se tisse entre les deux hommes. Et pour cause : ce lien s’apparente beaucoup à une relation père-fils, le thème de prédilection du cinéaste. Le duo Rahim/Arestrup évoque en effet les binômes de Regarde les hommes tomber et de de De battre mon cœur s’est arrêté. Dans le premier, Mathieu Kassovitz suivait aveuglément Jean-Louis Trintignant, son père de substitution, et cherchait absolument à lui ressembler. Dans le second, Romain Duris cherchait au contraire à s’émanciper, à s’affranchir de l’écrasante autorité paternelle, incarnée, déjà, par Niels Arestrup, et de son univers médiocre. Ici, il y a un peu des deux. Malik s’inspire de Luciani, de son charisme, de son sens de l’organisation, mais il ne désire certainement pas lui ressembler. La prison lui a redonné le goût de la liberté et lui a inculqué une certaine sagesse. Il a compris qu’il vaut mieux faire profil bas et user de diplomatie que de jouer les tyrans dominateurs, et que Luciani est une espèce en voie de disparition. La suite lui donnera raison. Une fois privé de ses fidèles lieutenants, le parrain corse ne sera plus rien d’autre qu’un vieillard pathétique et solitaire…
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Les trajectoires des deux personnages sont totalement opposées. Luciani est, sans le savoir, sur le déclin, tandis que Malik, lui, est en pleine ascension. Voilà un homme à qui la prison est profitable ! Sans la condamnation qui lui a été infligée, il est probable que Malik n’aurait jamais pu apprendre aussi rapidement, ni rencontrer les truands qui vont lui permettre de construire sa nouvelle vie. Une reconversion modèle ? Pas vraiment, puisqu’elle repose sur des activités criminelles et n’est donc pas franchement morale…
Mais peut-il en être autrement ? Pour survivre en prison, le jeune homme a dû payer le prix fort. La protection de Luciani n’était garantie qu’à condition que Malik accepte de tuer un de ses codétenus devenu gênant pour les corses. Un acte déchirant, traumatisant, qui a éteint en lui toute forme d’innocence. A partir de ce moment-là, il est condamné à vivre avec ses fantômes et un inextinguible sentiment de culpabilité. Il est définitivement passé de l’autre côté de la barrière, sans retour possible. La seule chose qui lui reste à espérer est de n’avoir pas commis ce crime pour rien. C’est l’acte fondateur de sa nouvelle destinée, celui qui le rend à la fois fort et vulnérable.
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Cette dualité permet à Jacques Audiard de composer un personnage d’une complexité passionnante, mi-Candide, mi-Rastignac, gueule d’ange à l’âme souillée, et donne l’occasion au jeune Tahar Rahim de révéler toute l’étendue de son talent. Face à lui, Niels Arestrup est également au sommet de son art, s’investissant corps et âme dans le rôle de César Luciani et en faisant une figure à la fois attachante et inquiétante, charismatique et pathétique.
Mais ce formidable duo n’éclipse pas pour autant les performances des autres acteurs, Audiard ayant su conférer à chaque personnage la même densité, la même ambiguïté.
Outre ce scénario bien construit et cette direction d’acteurs sans faille, le film bénéficie également d’une mise en scène impressionnante. Avec un sens du rythme quasi parfait et un montage nerveux, Audiard parvient à insuffler au récit une tension constante. Si bien qu’on ne s’ennuie pas une seconde malgré la durée de l’œuvre (2h35) et le quasi huis-clos imposé par le genre… Une sacrée performance…
Un mot sur le tire du film, Un prophète. On peut le voir comme une référence au détenu assassiné par Malik, homme de foi transformé en martyr “pour la bonne cause”. Ou bien associer le terme à Malik, modèle de réussite sociale pouvant servir d’inspiration aux plus faibles, aux exclus, à tous ceux qui sont au ban de la société. Un modèle qui s’inscrit bien dans l’air du temps, fondé sur un individualisme forcené dans un monde en proie aux montées de communautarisme…
Avec Un prophète, Jacques Audiard signe son film le plus abouti et s’impose comme l’un de nos meilleurs cinéastes. Une réussite majeure qui a été saluée comme il se doit lors du 62ème festival de Cannes, où le film a été longuement applaudi et a remporté le Grand prix du jury.
A découvrir d’urgence…
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Un prophète

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