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Ce fondamentalisme qui nous saisit

Publié le 16 octobre 2007 par Argoul

Ecologie, manger bio, se soigner par les plantes, tests ADN, principe de précaution, retour aux valeurs « morales », renaissance du religieux, quête de l’authentique, repli sur la famille et le « mariage » – il me semble que, dans l’air du temps, tout cela soit apparenté. J’appellerais ce mouvement la recherche du fondamental. Le socle fantasmé comme un refuge, une plaque solide dans ces sables mouvants du global qui va trop vite. C’est en réalité une régression due à la peur.

Tout se passe comme si, sur une mer qui se creuse, les passagers préféraient s’arrimer au bateau plutôt que d’utiliser leur savoir-faire marin pour tenir la barre, sentir le vent et régler les voiles. En bref ils désirent rester passifs, ancrés dans leur identité mythique, au lieu d’être actifs, de prendre leur destin en main avec ce qu’ils sont et ce qu’ils savent.

Les sociétés jeunes sont emplies d’énergie, elles vivent le présent avec indulgence et regardent l’avenir avec optimisme ; le passé n’est pour elles qu’un acquis sur lequel bâtir du neuf. A l’inverse, les sociétés vieilles sont fatiguées, elles subissent le présent avec aigreur et tout changement comme une agression, regardant l’avenir avec noirceur ; le passé est pour elles un asile, voire un « âge d’or » regretté. Or, si les années post-68 ont eu leur lot d’infantilisme et de dérives anarchiques, elles avaient au moins le mérite d’être d’un optimisme à tout crin, même pendant l’horrible guerre du Vietnam, même après les deux crises du pétrole. Qu’est-ce qui a cassé ?

Je ne sais si c’est l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981 ou si c’est le vieillissement démographique, toujours est-il que les deux ont coïncidé. N’évacuons pas quand même la politique. Les économistes Argan et Cahuc viennent de faire paraître un rapport dont le titre a inversé celui d’Alain Peyrefitte : « La société de défiance ». Si le mouvement de moindre optimisme est général dans les sociétés occidentales, plus que les autres la France est touchée.

Certes, l’ouverture du monde après la chute du mur de Berlin, la conversion chinoise au capitalisme et la réémergence des Etats-Unis comme puissance mondiale, ont relativisé la place d’un pays moyen comme la France. Puissance militaire faible faute de crédits, croissance molle faute de réformes, budget en déficit systématique pour cause de vieillissement, la France a été touchée – mais comme les autres.

Or il y a pire : les Français ne se font pas confiance entre eux, montrent Argan et Cahuc au travers de multiples enquêtes. Ont-ils confiance en eux-mêmes ? Même pas, montre Védrine dans son rapport sur la France et la mondialisation.

De quand date ce divorce croissant entre les citoyens et l’Etat, les salariés et les patrons, le secteur privé et les fonctionnaires ? « Des années 1980 », selon les deux économistes. « Mais déjà après 1945 », précisent les auteurs. Ils y voient la trace de la lâcheté des élites en 1940 et des dénonciations de clochers durant l’Occupation – où l’égoïsme s’appelait « marché noir ». Mais l’après 1945 voit aussi cette socialisation corporatiste de la société française qui dresse « ayant droits » contre « exclus » pour un peu tout : sécurité sociale, chômage, accès syndical à certains métiers (ex. le Livre), niches fiscales, statuts protégés, etc. La France « classes contre classes » est le pays occidental où la fraude est considérée comme moins « immorale » qu’ailleurs – et où le gauchisme, « cette maladie infantile », fait encore le plus recette. Le Français est celui qui se méfie le plus des autres.

Dans une société de défiance, le pays est une jungle et l’homme est un loup pour l’homme. D’où ces comportements de clans, cette société de cour autour des « célèbres » (qu’ils soient politiciens, footeux, histrions de média ou acteur-chanteur-fêtard), et ce repli sur la cellule familiale. La crainte envers tout ce qui change, tout ce qui vient d’ailleurs, tout ce qui n’est pas reconnaissable, engendre angoisse et comportement de fuite. On réclame des lois, du flic, du contrôle. 

Que le maïs soit racialement pur et pas manipulé, que les sans-papiers soient analysés ADN parce que les faux-papiers circulent trop facilement, que l’économie soit contrôlée parce qu’elle va « dans le mur » ou « de crise en crise ». Cela comme si l’avenir n’était jamais autre chose qu’un « pari », comme si tout pari n’exigeait un minimum de confiance en soi. Après tout, mettre au monde un enfant, accueillir un étranger, planter de quoi se nourrir, investir des capitaux : mais qu’est-ce donc d’autre qu’un défi à l’avenir ? Il faut avoir la foi en sa propre énergie pour supporter de voir croître et s’épanouir un être, une plante, une idée.

Il semble que les Français n’aient plus cette foi en eux-même, plus de ressort. Leur énergie vitale disparaît, leurs comportements sont ceux de vieux, avec ces remugles des années 30 qui remontent même à gauche : chez Bové l’anti-moderne, adepte de la pureté génétique des maïs ; chez Le Foll et les lefollistes qui crient aux chambres à gaz quand on prononce le mot « détail » ; chez les agités de l’extrême qui font de Che Guevara le néo-Christ, pur et sans tache, d’une révolution sans cesse à venir – alors qu’elle est bel et bien venue cette révolution, à Cuba, et qu’on voit très bien ce qu’elle a donné ; chez les sectaires religieux, pour qui il faut revenir à la Lettre et se garder de tout, réfugiés en ghettos ; chez les parents déboussolés qui en reviennent aux bonnes vieilles méthodes et réclament le b-a ba pour la lecture ou la pension disciplinaire pour les ados.

Donc l’époque est au repli, à la crainte, aux repentirs. Repentez-vous d’avoir colonisé il y a trois générations ; repentez-vous d’avoir « exploité la nature » depuis le néolithique ; repentez-vous d’être vous, Français minables intoxiqués d’Etat, dans un monde qui valorise l’initiative, l’originalité, l’individu ! Dans la confusion ambiante, les fondamentalismes de tous bords semblent avoir de belles heures devant eux.

Alors que l’identité n’est pas honteuse, elle doit « servir » plutôt qu’être un ghetto.

Two attitudes facing the future: 1/ to be a sailor using his knowledge to observe winds and drive his boat; 2/ or to be a shipwreck person only able to grasp a piece of wood. It seems that French people are choosing the second way, the passive one. They are afraid of future, afraid of this young new world. They don’t use their knowledge, don’t operate their values; instead, they take refuge in DNA genetic, organic food, old education methods and so on.


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