Ma chère Holly golightly, que j’aimerais tant suivre dans les soubresauts d’intelligence, de pertinence et de contre-courant, m’avait appâtée. Et Lily m’avait harponnée là. L’opération Masse critique de Babelio a fait le reste. J’ai lu "Mon chien stupide" de John FANTE à la volée, pas de cette vitesse sans intérêt mais bien rapidité de sens, d’inspiration, de compréhension. Et j’ai mis un mois avant de faire un billet.
J’ai aimé ce style vif, claquant, à propos. Nous suivons une courte période de la vie d’un écrivain médiocre, dans sa villa au bord de la mer. L’arrivée d’un chien lubrique semble être pour le narrateur, l’écrivain raté, l’avatar de FANTE, comme un nouvel ami permettant de sortir de relations difficiles aux siens. Il n’en est rien, il sera bien plus un déclic.
Molise, la cinquantaine, voit en ce chien-ours lubrique, un akita inu prêt à sortir de son fourreau sa carotte pour chevaucher une jambe ou un chien (de préférence mâle), un pied de nez sordide aux normes de la victoire et de l’échec dans l’existence. Ce chien surnommé « Stupide » mais au doux nom de « Tu le regretteras » ne répond pas aux offres et demandes environnantes mais bien à son envie de jouir de la vie. Et cette obscénité animale entraine au cours du livre une autre, bien plus sourde et déprimante : celle de la parentalité.
*cette couverture de livre n'a que la vocation de montrer l'ours déchu mais aussi l'homme dans son obscénité.
L’éducation est une suite de compromis, d'efforts. Le don contre don est une perversion de l'esprit parental. Les parents, Henry et Harriet, se confrontent à des enfants ingrats, ils réclament une reconnaissance. Seulement cette envie ne devrait pas avoir lieu d'être : une forme d’injustice devrait être principe de base. L'éducation, nos actes à soutenir et permettre à nos enfants de devenir grands, se doivent d’être gratuits, aucune reconnaissance n’est exigible, l’ingratitude est de mise quand les parents souhaiteraient que leurs actes soient encensés.
Nous sommes ici loin d’un foyer idyllique, le père a choisi la stratégie et le calcul, la mère une fuite vers de doux sentiments de filiation, d'affection légitime. Mais rien n'est moins légitime. Les enfants, eux, attendent une compréhension. La promiscuité est difficile, ne va pas de soi. Avec le temps, la demande de confort est plus présente, tout est un épuisant processus : les réconciliations d’avec sa femme, les discussions avec ses enfants, l’arrivée des pièces rapportées.
Le narrateur nous livre n’avoir pas fantasmé la vie de ses enfants, pourtant il a pêché par un autre vice, croire connaître ses enfants et, pire, les étiqueter : considérer l’un abruti, l’autre garant de sa retraite et sans surprise, l’autre chat sauvage et théâtrale… L’amour parental n’est pourtant pas remis en cause. C’est juste une remise en place de ce pessimisme, de ce cynisme. L’aigreur ne fait pas l’éducation : « - Ca recommence, tu t’excuses encore. Tu t’excuses toujours après avoir insulté quelqu’un. Tu te débrouilles d’abord pour l’insulter comme du poisson pourri, et puis tu t’excuses.
- J’essaie d’être honnête.
- Honnête ! Tu es tortueux comme un serpent, tu ruses et tu magouilles pour que tout le monde file doux. Tu es le pire faux jeton que j’aie jamais rencontré. »
John FANTE nous réaffirme, à juste titre, que même si le temps passe vite, les enfants sont aussi des êtres squatteurs, un peu parasites de la vie du couple. La promiscuité ne va pas de soi, ni entre différentes générations, ni entre femme et mari. L'irritation est là même si le manque, après, peut apparaître.
L’obscénité va aussi plus loin. Oui je suis d’accord avec John FANTE : devenir parent est un acte égoïste. Nous décidons de faire entrer un être dans ce monde vile, non choisi, avec nos valeurs et non les siennes. « Merci de l’avoir engendré sans lui demander la permission. » Et oui c’est difficile d’être parent. L’homme est là pour engendrer mais l’acte de survie en présence d’autrui, à côté d'un être faible, sans défense, est toujours un acte fort, douloureux : « Les hurlements d’un enfant ! Faites-moi avaler du verre pilé, arrachez-moi les ongles, mais ne me soumettez pas aux cris d’un nouveau-né, car ils se vrillent au plus profond de mon nombril et me ramènent dans les affres du commencement de mon existence. »
Même si une réflexion sur le penchant sexuel (pour le même sexe) du chien envahie le narrateur (théorie de la souffrance enfantine, première expérience sexuelle désastreuse ou choc des cultures d’une bâtardise congénitale entre un chien allemand et un autre japonais), c’est bien une réflexion sur sa façon d’être au monde, à sa femme, à ses enfants qui apparait tout du long entre les lignes. L'insouciance ou les choix pris si irraisonnablement (est-ce si vrai?), que le narrateur envie, sont bien une force, une énergie de vie de la jeunesse. Avec l'absurdité des circonstances, Molise découvre que laisser le choix à ses enfants de porter leurs croix est un acte fondateur de parent et aussi que les gestes et les mots doux d’après restent au travers de la gorge de ne pas avoir été dits à propos. L’absurdité de la vie du chien, stupide ou non, ramène à l’absurdité de regarder les défauts des autres et de ne pas voir qu’ils sont les nôtres.
La petitesse humaine apparait alors, au scalpel : l’envie d’un retour à la vi(ll)e idéale, l’abus de substances illicites pour fuir le quotidien ou pour s’armer contre la souffrance, le viol ordinaire, les petites thérapies possibles (avoir un chien pour donner du sens à son existence ou prendre un amant). Et puis la vie qui s’échappe, la fuite, différente selon les âges, le vide laissé par les quatre enfants autour d’un « cercueil de lasagnes », de petites occupations médiocres, des amitiés brisées parce que non fondatrices, des chambres vidées, égrainées au son de « quatre moins un égale », « quatre moins deux », « moins trois », « moins quatre »… Et ces positions sans arguments que nous portons en nous, ce fascisme quotidien, ce racisme primaire, cette honte de la mesquinerie héritée de soi et ce dégoût d’un altruisme que nous n’avons pas pu engendrer nous-mêmes.
Au travers de la lecture, aussi, une prise de position sur l’acte d’écrire, sur ce monde si cruel des scénaristes, rempli d’ambitions nauséabondes. L’acte d’écrire comme un acte de jeunesse ou d’insouciance mêlée de connaissance : « Pour écrire, il faut aimer, et pour aimer il faut comprendre. »
L’homme est face à la vie comme ce chien face à la baleine naufragée, inoffensif et en danger permanent ! Deux solutions : la fuite et une idée de liberté (en solitaire), le choix d’être heureux ensemble, avec nos petits moyens.
D’autres voies de lectures ici et là. Malice a été aussi conquise et un très beau billet nous dévoilant aussi les trames de lieux si importantes dans ce roman, et ce chien dans un jeu de familles, ici chez Sébastien.