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Brigitte Fontaine, une chatte sur un toit brûlant

Par Albrizzi
Trois ans après Libido, la reine des Kékés est de retour avec Prohibition(1), produit par Ivor Guest (on lui doit Hurricane de Grace Jones), à la tonalité plus rock que le précédent. Toujours aussi éprise de la langue, Brigitte Fontaine y provoquera en Duel Jacques Higelin pour un duo de 7 minutes.
« Brigitte Fontaine est… folle ! » Son producteur Pierre Barouh avait choisi ce titre provocateur, contre l’avis de l’intéressée pour un album en 1968. Mais ceux qui prennent l’auteur de Comme à la radio pour une hystérique sont loin de la vérité. Calme et posée : voilà telle qu’elle apparaît dans le café où elle nous a donné rendez-vous sur l’Île Saint-Louis.
Plus extravagante qu’extraterrestre, Brigitte Fontaine est une poète. Essayer d’apprivoiser un chat : la tâche est ardue, mais pas impossible. Une fois la confiance accordée « Brigitte est d’une fidélité absolue », confie Benoît Mouchart. Le directeur artistique du festival de la BD d’Angoulême fait partie, aux côtés de Jacques Higelin et Rufus avec qui elle a débuté sur les planches, de sa garde rapprochée. Jeanne Cheral, Daphné, Camille, ou encore Adrienne Pauly lui vouent une admiration sincère, mais ses vrais amis travaillent dans l’action sociale, l’éducation nationale, le design (Bonnie Colin a dessiné la pochette de son album Libido), ou sont encore étudiants. « Vous connaissez beaucoup de célébrités qui continuent à se soucier de vous ? ». Tout sauf une diva !

Fille d’instituteurs bretons anticléricaux et progressistes, Brigitte Fontaine monte à Paris en rêvant de scène alors qu’elle est timide. Antinomique ? Un verre de champagne aux lèvres, la reine des Kékés rit de ses contradictions. Cette fan de fringues, qui raffole d’Issey Miake, de Marithé-François Girbaud, a sillonné avec son mari, le compositeur Areski Belkacem, les routes cabossées de la jeune Algérie indépendante, chante à la fête de l’Huma, tout en vivant dans un des quartiers les plus chics de Paris. Ultime péché mignon : les fourrures. Alors, populaire ou élitiste ? « Elle a tourné le dos à la dictature de l’industrie discographique », écrit Benoît Mouchart dans sa monographie Brigitte Fontaine : Intérieur, extérieur. Néanmoins, la plus célèbre des Zazous est produite par Polydor, une maison du groupe Universal. Son prochain album Prohibition marque un retour à des paroles très engagées, « Je sors mes griffes» ; remontée à bloc contre le pouvoir en place, elle a écrit juste après les élections présidentielles, la chanson Partir ou rester pour Olivia Ruiz.
Paradoxalement, connue pour ses improvisations déjantées et sauvages, elle est en privé à mille lieux de cette image. « S’en tenir à ses frasques télévisuelle est réducteur », explique son éditeur Michel Archimbaud pour qui Brigitte est d’abord « un écrivain ». « J’ai une passion pour les mots », clame cette lectrice avertie — qui adule Rimbaud, prise la littérature érotique —, elle relit chaque année Les liaisons dangereuses dont elle déplore l’adaptation cinématographique « on perd toute la beauté de la langue !». Les Belles Lettres ont réédité L’Inconciliabule, adapté sous le titre Acte 2 et joué avec Areski au Lucernaire au début des années 1980. Dans Contes de Chats, recueil illustrés par des dessins de Sempé qu’elle a connu jeune « puis perdu de vue», elle se fait douce, mielleuse, séductrice, protectrice même. Au contraire, dans Rien, elle parle de la mort qui rôde, effrayante. « Je ne sais plus rire depuis longtemps./ Je ne sais plus pleurer./ Je ne sais même pas mourir.» Ce texte sur le néant, sorti d’un seul jet, et suivi de Colère noire, dévoile un être inquiet et désenchanté. Elle a écrit pour des dizaines d’artistes, Salvador, Daho, Maurane, Gréco, Bashung, -M- et a publié une quinzaine de livres (Le bon peuple du sang à paraître chez Flammarion) sans compter le théâtre et la poésie. Quand on lui demande quelle période de sa vie elle a préféré, elle répond « l’enfance », ajoutant aussitôt qu’elle ne connaît pas la nostalgie. « En fait, je suis une femelle préhistorique, j’ai 20 000 ans », glisse-t-elle, sibylline et mutine. « Elle est la seule de mes auteurs à me rendre de vrais manuscrits, c’est-à-dire à la main, c’est très émouvant», s’émerveille Guillaume Robert, son éditeur chez Flammarion. « Pythie sympathique », la reine d’Alice au pays des Merveilles, selon Jacques Higelin, n’en finit pas de se dissimuler derrière des montagnes d’excentricité. Comme tous les grands pudiques.
L’inconciliabule, Belles-Lettres-Archamibaud, 80 p., 16 euros.
Rien, Belles-Lettres-Archamibaud, 120 p., 17 euros.
Contes de chats, dessins inédits de Jean-Jacques Sempé, Belles-Lettres-Archamibaud, 120 p., 17 euros.
Brigitte Fontaine : Intérieur, extérieur, Benoît Mouchart, Panama-Archimbaud, 320 p., 20 euros.
Prohibition, sortie le 5 octobre chez Polydor.

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