Avec Le Marché de la tendresse / Zhifen Shichang (1933), le cinéaste chinois Zhang Shichuan met en scène le destin d’une jeune femme. Il inscrit dès lors son récit dans une démarche progressiste.
Cuifen, l’aînée d’une famille dont le père vient de décéder tragiquement trouve un travail pour subvenir aux besoins de sa famille : sa jeune sœur et sa mère malade. Elle trouve alors un emploi dans le service « emballage » d’une boutique de la ville où très vite, elle se retrouve convoité par son collègue, Qian Guo Hua et le surveillant, monsieur Lin. Ce dernier décide de la promouvoir à un poste de vendeuse non sans arrière pensée…
Le Marché de la tendresse est une œuvre qui jouit étonnamment d’un regard avant-gardiste sur la société moderne telle qu’on la connaît à cette époque. Une société chinoise qui se modernise à travers la consommation de masse dans ses premiers balbutiements et la condition de l’homme changeante qui va de paire. L’œuvre se veut dure concernant le regard porté sur les masses dirigeantes (ici la hiérarchie de la boutique) qui profitent des masses laborieuses (les employés). Plus que cette dualité de « classe » pour reprendre un terme marxiste, l’auteur Zhang Shichuan s’intéresse en particulier au sort des femmes qui en plus de subir ces inégalités sociales, subissent celles des sexes. Ainsi, la condition de la femme est beaucoup plus dure que celle des hommes puisqu’elles doivent en plus affronter un harcèlement de la gente masculine, qu’il soient moral ou sexuel. En conséquence, cette œuvre chinoise est dans son propos précurseur en la matière.
Le Marché de la tendresse narre ainsi les aventures d’une jeune femme, Cuifen (Hu Dié) qui réalise ici ses premiers pas dans la vie active. Elle est en marche vers son indépendance, son destin celui d’une jeune femme libre, une jeune femme de son temps. Pourtant, les choses ne seront pas de tout repos. Tout d’abord naïve sur les intentions des personnes qui gravitent autour d’elle, Cuifen va s’endurcir, franchir le pas vers une vie d’adulte qui lui fait prendre conscience de la réalité jusqu’à son émancipation. Zhang Shichuan réalise donc une œuvre profondément féministe. En dénonçant la condition de la femme et le parcours de l’une d’elle jusqu’à sa libération du carcan masculin. Le cinéaste chinois se place de leur côté et met en scène un plébiscite tout en leur honneur. En avance sur son temps, Zhang Shichuan réalise une œuvre atypique et toute particulière dont on ne peut que saluer et plébisciter à notre tour.
Si Le Marché de la tendresse a été conçu il y a plus de soixante dix ans, l’œuvre n’en reste pas moins agréable à découvrir et passionnante aussi. Elle fait partie de ses vieilles œuvres cinématographiques qu’on se délecte à visionner et bien qu’âgée, elle n’en garde pas moins une force et une actualité qui résonne. Pour se faire, le cinéaste emploie une légèreté de ton avec de bonnes interprétations des acteurs dont Hu Dié qui sait être malicieuse et convaincante. Zhang Shichuan emploie également dans sa narration une structure avec l’utilisation d’intertitre rythmé par le thème de Wong Fei-hung (surprenant à découvrir et surtout à attendre dans ce contexte puisque indissociable du personnage « mythique » que je connais), intertitres qui introduisent et ponctuent l’action et la mise en situation des personnages de manière légère et ludique. Ainsi, Le Marché de la tendresse reste une œuvre symbolique par son message, et de ce fait intemporelle dans cette manière de faire un cinéma à caractère social.
I.D.