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CINEMA/ AVANT-POSTE d’Emmanuel Parraud, suite 1

Publié le 10 octobre 2009 par Adelinew
la scène dite

La scène dite "de la fourchette en plastique"

AVANT-POSTE, long-métrage d’Emmanuel Parraud – Sélection ACID*-Cannes 2009 – a été projeté au Cinéma des Cinéastes à Paris le 26 septembre, au Ciné 104 à Pantin le 1er octobre, au cinéma François Truffaut à Chilly-Mazarin le 7 octobre. Ces projections se faisaient dans le cadre de la reprise de la programmation ACID Cannes 2009.
Trois projections-rencontres donc, pour montrer un film qui n’a pas (encore ?) de distributeur.
Je suis allée à Chilly-Mazarin voir le film et voir aussi comment se passe une projection de l’ACID dans une salle subventionnée «art & essai» de la grande banlieue parisienne.
Une chose est sûre : il y avait peu de monde, l’orage ayant peut-être découragé les hésitants. La directrice du cinéma est une jeune femme pleine d’énergie mais qu’on sent légèrement démoralisée par le manque de résultats obtenus malgré ses efforts. On discute tous un peu avant la projection avec le réalisateur, les deux représentants de l’ACID (dont Dominique Boccarossa* qui est le «parrain» du film) et les quelques personnes qui viennent voir le film : comment on bâtit une programmation pour un cinéma de petite ville, en banlieue de surcroît – donc avec la concurrence de Paris –, le rôle de l’association des «Amis du cinéma François Truffaut», la baisse des subventions comme partout etc.
A la fin de la projection, une personne s’enfuit avant le débat (pressé, pas aimé ???) et la conversation s’engage de manière très cordiale et intéressante. Je suis souvent épatée (moi qui dois réfléchir 3 heures avant de formuler une remarque !) par la pertinence de certaines questions, par l’attention portée au film, la rigueur de la réflexion de la part de spectateurs qui ne sont ni critiques de cinéma, ni «professionnels de la profession» mais qui revendiquent fièrement leur statut de «public». Un public qui ne rechigne pas devant un cinéma d’auteur, curieux, désireux même d’être parfois malmené contrairement à ce que pourraient nous laisser croire les sempiternelles enquêtes sur nos habitudes culturelles.

* ACID : http://www.lacid.org/

* Dominique Boccarossa, réalisateur (La Vie nue, Bleu le ciel, Stabat mater – filmographie sélective)

A la suite de ces trois projections, Emmanuel Parraud a reçu des mails de spectateurs (amis, confrères, connaissances ou inconnus) qu’il a bien voulu me transmettre. Les voici…


Ce qui est sûr c’est que c’est un film qui m’a touché et que je suis sensible à son âpreté comme à son écriture elliptique, impressionniste, l’opacité qui laisse passer malgré tout des fulgurances. Beaucoup de séquences et d’images sont très fortes : la scène de baise, l’attaque à la fourchette en plastique, Gênes et la valise, le plan final. Et l’errance de Paul dans Alger. Et les visages des jeunes détenus à la prison. Tout ces moments, sans chercher à s’expliquer plus que nécessaire résonnent entre eux, parfois mystérieusement parfois avec une évidence limpide. J’ai, sans doute, deux trois réserves, le sentiment que d’autres moments sont plus hésitants, inaboutis… Mais vraiment ce n’est pas grand-chose à côté de ce que le film tente et réussit… Merci. P. C.

Pour revenir sur ton film et comme je te le disais dans mon précédent mail il pose plus de questions après, pendant ce sont plus les émotions qui guident la “lecture”. Dans une posture professionnelle il me semble qu’assez automatiquement on se place dans une position pour recevoir un message de type documentaire, en fait à ma connaissance je ne vois pas d’autre film en dehors de documentaires qui traite le thème du travail social. Et par ailleurs comme ton scénario et ton style ne prennent pas par la main le spectateur pour l’emmener passivement vers un dénouement, il est ainsi pas facile de se repositionner. Première conclusion il faut surtout pas le regarder en professionnel du travail social, mais en revanche ça intéresse beaucoup le travail social et c’est de cette apparente contradiction que je voudrais te parler.
Quant tu m’as donné la parole je me suis surpris à évoquer la question existentielle que l’acteur principal faisait ressortir, surpris car j’ai réalisé après coup que ce type de questionnement n’est jamais abordé en milieu professionnel. Il arrive parfois que l’on voit des collègues se taper de grosses déprimes, voire dépression quand il ne s’agit pas de décompensation et l’institution dans ces cas fait le constat d’une faiblesse passagère du professionnel ; normalement pour ne pas en arriver à ces extrémités le psychologue est là pour s’occuper de tes doutes et autres interrogations, mais la réponse reste technique. En aucun cas l’institution, les professionnels ne s’apitoient sur les dégâts que peuvent provoquer sur des éducateurs les effets du sort de ceux dont ils s’occupent, à chacun de gérer ses questions existentielles, quand on en peut plus on passe le relais avant de sombrer.
Là où ça intéresse le travail social c’est qu’en première lecture on pourrait se dire que ton film montre l’impasse du travail social quant à l’amélioration des conditions de vie, d’existence des populations ciblées et qu’il est donc fortement déconseillé de faire ce boulot avec trop de tripe au risque d’être déçu voir cassé. Or s’il y a un travail que tu ne peux pas faire sans investissement personnel c’est bien celui-là, alors cet investissement est-ce simplement le carburant pour tenir et quand il n’y en a plus la machine s’arrête ou faut-il épouser l’idéologie actuelle qui laisse entendre que ceux qui sont dans la merde ont leur part de responsabilité et que leur situation ne mérite pas autre chose qu’un traitement administratif. La question existentielle du professionnel face à ces gens pose aussi la question du supportable dans une société qui se dit avancée et du minimum d’idéal à mobiliser pour faire ce travail social.
Je me dis qu’à côté des matières de psycho-péda, sociologie, la philosophie aurait toute sa place dans les formations de travailleurs sociaux et encore plus dans la période actuelle.
J’ai bien apprécié lorsque tu as évoqué l’énigme que représentaient les jeunes dont on avait à s’occuper. En effet l’absence de perspective, le poids des incertitudes par rapport à ce qui pouvait arriver à tout moment à certains d’entres eux, la limite était tellement ténue, fragile qu’il était finalement impossible de travailler autrement que dans « l’ici et maintenant » contrairement à ce qu’on pouvait en penser à l’époque.
Je serais curieux de voir les réactions d’élèves éducs en regardant ton film, serait-ce les décourager de faire ce travail ou leur faire intégrer dès la formation, un nouveau paramètre, le risque de désillusion !
Pour finir, faire terminer le film sur cette nouvelle situation, s’occuper de détenus sur une île c’est un cas de forclusion. Maintenant que je ne suis plus sur le terrain ni trop dans le social j’évalue plus la part de refoulé des citoyens ordinaires vis-à-vis du travail social, des handicapés, moteurs, cérébraux et autres gens dans la merde, personne n’a envie de s’arrêter là-dessus, moi-même je me surprends à me dire qu’ils ont bien du mérite ces professionnels, mais que je n’ai plus le temps ni l’énergie de m’y arrêter, on passe son chemin… P. V.

à suivre


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