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Pascal Henry, le gastronome en série, passe à confesse

Par Estebe

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Sa disparition
, un soir de juin 2008 après un repas chez El Bulli, avait fait les choux gras des gazettes. Il faut dire qu’on avait là une drôle d’histoire. Et un drôle de bonhomme avec. Souvenez-vous: le Genevois Pascal Henry avait entrepris un marathon gastronomique consistant à visiter, en 68 jours, 68 tables triplement étoilées au Michelin. A la quarantième étape, le serial gastronome pète un plomb. Et s’évanouit dans la nature. Avant de réapparaître, la queue entre les jambes, quatre mois plus tard.


Voilà pour le fait divers. Reste qu’au-delà de ce défi insensé, Pascal Henry mérite d’être entendu. C’est un type aux manières simples et aux idées claires, sincère et vif, plein de bon sens et d’enthousiasme. Un vrai passionné, qui tutoie la grande cuisine, et les grands cuisiniers, comme peu de gourmets peuvent s’en enorgueillir. Et causant avec ça. Tiens justement, l’autre jour, on est allé boire une bière avec lui…


L’initiation
«J’ai toujours été gourmand. Pas le genre qui laisse la moitié de son assiette, avec le petit doigt en l’air. Non, gourmand. Ma mère cuisinait comme une pive; ma grand-mère, en revanche, faisait des trucs simples mais vraiment bons: le biscuit roulé ou la confiture de coing. J’ai essayé de refaire ses recettes, au millimètre, sans jamais parvenir à en retrouver le goût. A vingt ans, pour fêter l’obtention de mon bac en France, mes grands-parents m’ont offert Girardet. Ç’a été le déclic: le ballet des serveurs, la découpe au guéridon et puis, surtout, le goût. Tout est parti de là.»

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La passion

«Pendant des années, j’ai pas mal gagné ma vie comme coursier indépendant. Voilà comment je dépensais mes sous. Je ciblais une table dans une région, puis j’en greffais d’autres autour. Il y a clairement une forme de démesure, de frénésie, chez moi. Certains ont la passion des bagnoles, de la hi-fi ou de la peinture. Moi, c’est la gastro. Ce que je cherche ? L’émotion. Autant dans une sardine que dans un homard ou un turbot. Et les cuisines signées, personnelles. Les musiciens ont sept notes; les peintres les mêmes couleurs. Pareil pour les cuisiniers. Avec un nombre restreint de produits, certains composent, interprètent, et arrivent à nous embarquer dans un truc fou.»
Les chocs
«En gastronomie, les vrais chocs sont rares. Si tu fais une table référencée par le Michelin, t’es prêt à recevoir un coup. Et un coût, aussi. L’émotion et l’addition, quoi. Mais quand tu ne t’attends à rien de particulier, ça peut devenir vraiment intense. Ça m’est arrivé à l’Astrance, à Paris. Ce type, Pascal Barbot, c’est le Mozart de la rue Beethoven, un virtuose. Idem au Mirazur à Menton. J’y suis allé un peu par hasard, j’ai été foudroyé. En février dernier, sur un coup de tête, je suis redescendu en moto pour vérifier que je n’avais pas rêvé.»

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Les grands plats
«Les tables gastronomiques, globalement, c’est toujours bon. Mais on vient y chercher un peu plus que ça. Parfois, il y a des plats qui te font vraiment décoller. Et entre un bon plat et un grand plat, il n’y a rien, pas grand-chose, une alchimie, une épure, une lisibilité, un sens. La cuisine, c’est de l’horlogerie, il faut que ça donne l’heure juste. Parfois, ça ne fonctionne pas, sans que je sache d’abord pourquoi. Plusieurs jours plus tard, il m’arrive de piger. Là, je téléphone au chef pour lui raconter. Un grand plat, quand il débarque à table, je me dis: «ça, ce n’est pas appris». Sans pour autant chercher à l’analyser ou à le décortiquer, ce n’est pas mon truc.»
Les agacements
«En général, je trouve les chefs assez peu légumiers. Pour un Passard ou un Bras, combien traitent les légumes comme des garnitures, par-dessus la jambe, sans chercher à les cuisiner comme de vrais produits. L’autre chose, c’est le prix des boissons. De l’eau, en particulier. Ils t’assaisonnent. L’autre jour, dans un resto à Genève, je leur ai dit qu’à 7,50 fr. l’Henniez, ça faisait 15 000 fr. le m³ de flotte. Il faut arrêter. Et puis, il y a le «menu servi uniquement à l’ensemble de la table». Ça m’énerve. Quand on est quatre, deux bons mangeurs, deux petits appétits, ça fait deux frustrés. Ils ont des brigades pour ça. Si tout le monde prend 50 trucs à la carte, là, ils sont vraiment dans la mouise.»

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La cuisine moléculaire
«Il faut que la technique soit au service du goût. Quand elle devient une fin en soi, ce n’est plus de la cuisine, mais de la prestidigitation. Il faut avoir mangé une fois chez Denis Martin, mais pas plus. Quant à Ferran Adrià, c’est un grand cuisinier, mais il ne fait pas de la cuisine, au sens étymologique du terme.»
Les chefs et les clients
«Quand les gens vont au resto, il faut qu’ils aient faim et qu’ils se montrent curieux. Disponibles mentalement, prêts à l’aventure gourmande, et critiques aussi. Après tout, c’est eux qui payent l’addition. Trop souvent, quand le chef passe en salle à la fin, personne n’ose lui faire la moindre remarque négative. Bon, t’es assis, lui debout, tu le regardes par en dessous; c’est compliqué. Mais moi, je leur dis, tout: mes émotions comme mes déceptions. Ça les fait avancer. J’ai grondé Anne-Sophie Pic récemment. Mais gentiment, attention.»

La solitude

«Les gens pensent que je mange seul pour la concentration ou je ne sais quoi. Ben non. Je mange seul, parce que je vis seul. Si j’étais marié, les choses seraient différentes. Et puis, ils ne sont pas nombreux ceux qui peuvent me suivre midi et soir.»

Bavard, le gaillard. Mais palpitant, non?

Tchou!


NB: Les photos sont de Steeve Iuncker; l’interview de mèzigue.
NB 2: Une autre interview du phénomène, à lire sur le blog de Maître Perrin (clic).


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