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Le murmure de ma génération

Par Exnight

Le murmure de ma génération

Il y a quelques années de ça, j'ai eu une idée terrible et j'étais sur la bonne voie pour la réaliser. Je le suis d'ailleurs toujours, question de priorité. Totalement passionné et fasciné par le cinéma indépendant américain depuis mon adolescence, j'avais l'intention de monter un site Internet qui lui serait entièrement dédié (et un peu plus, en fait). Mais depuis quelques années, les sorties de films indé US se sont réduites comme peau de chagrin aux Etats-Unis. Alors en France, n'en parlons même pas : on est passé au début de la décennie à près de 50 films par an à une petite dizaine aujourd'hui. Même des films présentés en compétition à Deauville ne sortent pas en salles en France !
Il y a des milliers de raison à cela... La première : un modèle économique vacillant pour les plus petits films sans intérêt marketing, au profit de grosses machines facilement vendables au plus grand nombre. Ces dernières années, LITTLE MISS SUNSHINE ou JUNO en sont les exemples parfaits. Des films majeurs mais cachant la forêt d'autres films plus fragiles; La seconde : ses meilleurs auteurs vont soit rechercher gros chèques (et/ou gros budgets) chez les studios, délaissant l'indépendance qui les a rendu célèbre, soit ils n'arrivent plus à trouver les financements pour les films qu'ils voudraient faire en indépendant; La troisième : une baisse de qualité générale explicable par les deux précédentes raisons mais aussi par l'absence de nouvelles visions, de nouveaux tons (Par exemple, Jarmusch dans les années 80, Tarantino dans les 90, Wes Anderson dans les années 2000 etc.)
A moins que...
A moins qu'une nouvelle génération de cinéastes ne décide de mettre un grand coup de tatanne dans cette fourmilière et n'arrive à sortir quelque chose de vraiment frais à une époque où même les sushis ne le sont pas toujours et où tout n'est que récupération et sampling.
Comme une réaction à tous les maux du cinéma indépendant exposés ci-dessus, une bande de metteurs en scène, filles et fils de MySpace et de YouTube, ont entrepris de repartir à zéro, de revenir à 1959, à John Cassavetes et à son SHADOWS. A l'époque, Cassavetes l'acteur avait manifesté en public son dégout des productions bas de gamme d'Hollywood dans lesquelles il jouait lui-même et s'était auto-persuadé qu'il pouvait faire mieux avec l'idée simple qu'il fallait à nouveau faire des "films sur les gens". S'en suivit un film tourné sans argent (40 000 dollars) avec des étudiants en art dramatique dans les rôles de jeunes noirs errant dans les clubs de jazz new-yorkais, puis la carrière que l'on connaît (UNE FEMME SOUS INFLUENCE, OPENING NIGHT etc.)
50 ans plus tard, les frères Duplass, Aaron Katz, les frères Safdie, Lynn Shelton, Joe Swanberg ou Andrew Bujalski reprennent le flambeau et s'inscrivent dans un mouvement pas vraiment assumé (comme pouvait l'être par exemple le Dogmer 95) que la presse américaine a appelé mumblecore (ou "marmonnement"). Mais vous pourrez également lire qu'ils font du Bedhead Cinema (du "cinéma de chevet"), du Postgraduate naturalism ("du naturalisme post-fac"), du MySpace Neo-realism ou du Slackavetes (du "Cassavetes pour cancres").
Car si la plupart de ces metteurs en scène refusent d'être catalogués (normal, c'est des Artistes !), il faut quand même bien avouer que tous leurs films ont pas mal de points communs.
Le premier, ils sont tournés avec des moyens financiers dérisoires : appartements des potes pour les décors, tournage extérieur sans autorisations, aucune star (évidemment!) et équipements ultra-légers (16 mm parfois, mini-dv souvent).... Le second est une conséquence évidente du premier : ça parle beaucoup, et pas toujours de façon très claire : les personnages hésitent, marmonnent, bégayent - d'où le mumblecore. Là, clairement, ça peut en rebuter beaucoup et je peux facilement le comprendre. Mais avant de vous faire un avis définitif, il faut que je parle du troisième point commun : ils parlent quasiment tous des quelques années qui suivent la fin de l'Université. Les plus assidus diront comme ST ELMO'S FIRE et GARDEN STATE. Oui, exactement. Comme ST ELMO'S FIRE et GARDEN STATE. Ils parlent de ces quelques années où vous êtes définitivement obligé de devenir adulte, d'accepter les responsabilités et dire adieu à l'insouciance et à l'immaturité. Ces quelques années où vous devez affronter ou non l'idée de l'engagement (en amour, au travail, en amitié...).
Alors bien sûr, je suis moi-même en plein dedans et je pense que beaucoup des lecteurs de ce blog le sont aussi. C'est une des raisons pour lesquelles j'en parle et une des principales pour lesquelles ces films me fascinent et me passionnent depuis quelques mois. Dans tous et principalement ceux de mon petit chouchou Andrew Bujalski, vous assisterez aux errements de jeunes gens un peu perdus, insatisfaits de boulots "moyens", plein de doutes sur l'Amour et l'amitié, ballotés entre l'envie de s'installer et leur incapacité à grandir.
Là-dedans, on peut retrouver beaucoup du cinéma d'Eric Rohmer pour son fond (notamment sa période 80-90) et évidemment de Cassavetes pour sa forme, mais la fraicheur dont je parlais plus haut vient surtout de cette sensibilité complètement ancrée dans le 21ème siècle, reflétant grâce au réalisme de ses dialogues et situations et au naturalisme de sa mise en scène le voyeurisme/exhibitionnisme de YouTube et les nouvelles relations d'intimité provoquées par les réseaux sociaux type MySpace et Facebook. Bref, via le parcours extrêmement intimiste de tous ces 20-30 ans, c'est un miroir de notre époque que fournissent ces metteurs en scène. De la même manière que Richard Linklater (SLACKER, BEFORE SUNRISE...) ou Gus Van Sant (MY OWN PRIVATE IDAHO) avaient par exemple offert son miroir à la Génération X.
Conçus sans pression commerciale, sans autre but que d'exprimer et partager un peu des angoisses de leurs auteurs, tous ces films deviennent ainsi des sortes d'îlots de créativité, des petits moments de mélancolie figée dans le temps, des bulles d'air flottant dans un océan de cash et de bling-bling.
Maintenant que cela est dit, j'espère vous avoir "un peu" donné envie. Comment voir ces films alors ? Parce que je vous le dis direct (mais vous vous en doutez), c'est pas facile. En France, deux films du "mouvement" sont sortis en salle : Le premier, c'est THE PLEASURE OF BEING ROBBED de Joshua Safdie ou les errements à New York d'une jeune fille dérobant les effets personnels d'inconnus dont elle aime découvrir la vie grâce à des appareils photo numériques ou des clés de voiture. Le second, c'est HUMPDAY de Lynn Shelton ou le pari fou de deux amis de fac décidant de tourner un film porno ensemble. Peut-être bientôt en DVD donc...
Mais si vous voulez voir les vrais petits chefs d'oeuvre que sont FUNNY HA HA et MUTUAL APPRECIATION d'Andrew Bujalski, il faudra vous tourner vers l'Angleterre ou les Etats-Unis pour commander les DVD. C'est ce que j'ai fait et ça ne m'a pas coûté plus de 35 euros pour les deux ! Par contre, non-anglophones s'abstenir vu la quantité de dialogues et l'absence de sous-titres...
Vous pouvez également guetter les différents festivals de cinéma (à Paris ou en province), où ces films sont régulièrement programmés. C'était le cas par exemple de GO GET SOME ROSEMARY des frères Safdie que j'ai pu voir à la Quinzaine des Réalisateurs.
Et pour les plus curieux, il faut vous pencher sur THE PUFFY CHAIR des frères Duplass, DANCE PARTY USA d'Aaron Katz ou MEDECINE FOR MELANCHOLY. Mais là, ça va vraiment être difficile pour les voir. Moi-même, je n'ai pas encore trouvé...
Alors vraiment, si vous avez l'occasion, tentez votre chance... Soit, au pire, vous vous ennuierez un peu pendant 1h30, soit, au mieux, vous aurez l'occasion d'assister à l'éclosion d'un cinéma nouveau qui vous mettra des papillons dans le coeur...


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