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L'histoire commence par un anodin "Je ne sais trop pour quelle raison un incident mineur survenu cet après-midi m'a poussée à t'écrire." et dont on ne comprend la dimension dramatique qu'à la fin du roman. Et je vous avoue dès maintenant que j'ai refermé ce livre la gorge sèche, et tendue, de celle qui accompagne toute "lecture-choc".
J'ai aimé l'intensité dramatique de ce livre, "que va-t-il donc t'arriver d'irréversible, d'incontrôlable, d'inexorable …?", comme si le destin pouvait s'imposer à nous avec une force telle que nous ne puissions qu'assister vaincus à notre défaite annoncée ….
L'Amérique dépeinte ici n'est pas celle qui nourrit le "dream", c'est plutôt 'l'enfer du décor". "Il faut qu'on parle de Kevin" s'inspire du très grand émoi provoqué aux États-Unis par la fusillade du lycée Columbine
Lionel Shriver ne nourrit pas les polémiques, et laisse en l'état les nombreuses questions sans réponses certaines. L'auteur se place en tant que mère, en mère ordinaire, en mère même dévouée … Et en tant que mère, je le dis sans ambages, cela fait peur.
A aucun moment de lecture ne nous viennent les causes évidentes du drame; de même qu'à aucun moment nous ne sommes en mesure de nous dire que cela ne peut pas arriver chez nous.
Le XXème siècle s'est ouvert à la psyché, et l'individu y a gagné la responsabilité de son droit au bonheur. Revers de la médaille oblige, le XXIème consolide le pourvoi en révision de cette responsabilité individuelle grâce aux découvertes neurobiologiques. Maintenant que nous découvrons la complexité des interactions entre les facteurs de prédisposition génique et des facteurs environnementaux, cela devient tabou. Comment cela se fait-il ?
Et ici semble s'opérer comme une distinction entre victimes et bourreaux. Et pourtant … Si, à matériel génétique égal, personnalité et habileté à faire face comparable, c'était la sévérité des stress psychosociaux issus de l’environnement qui déterminerait le risque pour un individu vulnérable de développer une maladie mentale … cela pourrait revenir à dire que nos sociétés sont aussi responsables de leurs maux.
A plus petite échelle, quand la violence s'est installée dans nos petites écoles d'Europe, les réflexions, les débats, les émois ont tous mené à la même conclusion : "la violence engendre la violence".
L'adulte ignore souvent que le sentiment d'empathie n'est pas expérimenté avant l'âge de 11 – 13 ans. Focalisé sur les seules choses qu'il connaît, ses sentiments et ses sensations, l'enfant doit être protégé par l'adulte pour grandir dans la fierté d'être ce qu'il est.
Et si tout ceci revenait à rappeler que toute activité intellectuelle, et notamment philosophique, doit s'adapter à la réalité, et non l'inverse ? ….
En laissant un instant de côté le tragique dénouement de la déviance, j'ai aimé la description sans concession des pensées – taboues – des femmes actives, libres et modernes, qui enceintes deviennent "habitées", et qui mères ne sont plus femmes. Et au nombre de divorces atteint par nos sociétés libres, il serait hasardeux d'affirmer que les (+) l'emportent facilement sur les (-) …