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Pour une Académie européenne, par Daniel RIOT

Publié le 20 octobre 2007 par Danielriot - Www.relatio-Europe.com

EDITORIAL RELATIO-L’Europe, c’est d’abord un Esprit. Une culture. Un bouillon de cultures. Fruits de croisements, de frottements, d’échanges, de mélanges, d’alliances des contraires. Que n’a-t-on pas dit et écrit sur ces thèmes sans aller au bout de la logique des constats et des analyses faits.

bafd4b1c2bc76183fd4c6ac45fa68699.jpg« Il nous faut créer l’Europe de l’Esprit », exhortait Pierre Pflimlin. « Notre armes absolue, c’est le cerveau », lançait Louis Weiss. Deux phrases lancées, entre autres, dans l’hémicycle du parlement européen. Combien d’autres, de la même veine, ont été prononcées par d’autres esprits éminents et pertinents dans l’enceinte du Conseil de l’Europe depuis 1950 ?

Je sais. Je vois d’ici quelques têtes « cocalisées », « macdonalisées », « TFunisées » crier à la ringardise. L’académisme est crucifié quand le conformisme est vénéré…Et les Académies telles qu’elles fonctionnent sont plus des salons de « couronnés » que des assemblées de personnalités audacieuses, susceptibles de secouer les idées poussiéreuses. Capables de mieux définir cet "Esprit d'Europe" si indispensable pour que nos valeurs, nos principes d'humanité, nos idéaux démocratique résistent aux effets pervers de la globalisation, aux "chocs des cultures", aux poussées des anti-valeurs. Résistent, et s'épanouissent!  

Jacques Delors, avec ses moyens de Président de la Commssion avait tenté de constituer une cellule académique chargée de « penser l’Europe ». Cela a donné quelques colloques intéressants mais trop confidentiels et quelques publications très riches, mais pas assez lues. Cela surtout n’a pas été suffisamment développé. Et trop limité, dans le temps et dans l’espace. L’Europe, ce n’est pas que l’Union. L’Europe c’est toute cette « eurosphère » qui dépasse largement les frontières des 27, même s’ils deviennent plus demain.

Cette « eurosphère » (riche de près d’un milliards de personnes) reste trop cérébralement morcelée, avec des mémoires, des ignorances, des savoirs, des réflexes et des repères trop cloisonnés qui engendrent des visions du présent et de l’avenir trop divergentes.

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« L’Homme européen » est divers et varie par définition, mais l’Europe doit être pour lui une « Heimlichkeit », comme on dit en allemand, un « chez soi ».

« Nous, les Européens » : cette formule de Francis Bacon date de 1623. Elle ne trouvera tout son sens que si « l’héroïsme de la raison » exhorté par Husserl devient une priorité politique majeure. Relisons « La philosophie et la crise de l’humanité européenne », le texte de sa conférence donnée à Prague en 1935. Les « vents mauvais » d’alors ont provoqué la tragédie que l’on sait. Aujourd’hui, d’autres « vents mauvais » balaient la planète et secoue une Europe où « le plus grand danger » reste « la lassitude ». Et où la "fin de l'Histoire" n'est n pour aujourd'hui, ni pour demain.

Au moment où les Académies d’Europe se réunissent à Paris, c’est l’idée d’une Académie européenne qu’il faut relancer. Dans le cadre du Conseil de l’Europe, bien sûr. Avec le soutien de l’Union européenne, évidemment. Et dans la plus belle des perspectives : réunir, dans tous les secteurs, les meilleurs cerveaux d’Europe de toutes les disciplines, pour leur faire accomplir ce que Jorg Semprun appelle avec pertinence le « devoir de culture ». Pour qu’ils nous aident à être pleinement « européen », c’est-à-dire comme disait Paul Hazard, doté d’une « pensée qui ne se contente jamais »…

Daniel RIOT

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Pour une Europe des académies

par Gabriel de Broglie, chancelier de l'Institut.

RELATIO reprend ici la tribune publiée dans LE FIGARO de ce jour à propos de la réunion des académies d’Europe. Une réunion qui pourrait être une étape sur la route pouvant mener à la constitution d’une Académie européenne…

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« Depuis longtemps, les cinq Académies qui composent l'Institut de France entretiennent des liens étroits et fructueux avec les académies étrangères et tout particulièrement avec les académies européennes. Alors que nous correspondons avec régularité depuis souvent plus de trois siècles, nous n'avions jamais envisagé de nous réunir et de débattre ensemble. C'est ce que nous ferons, les 22 et 23 octobre, grâce à la venue à Paris d'éminents représentants de plus de soixante académies européennes invités à s'exprimer sur le rôle des académies en Europe au XXIe siècle.

Accueillir à l'Institut la Rencontre des académies européennes est une satisfaction profonde, preuve à mes yeux que l'esprit académique est toujours vivant, et avec lui le goût du débat qui le caractérise.

Mon initiative pourra surprendre et l'enthousiasme qu'elle a soulevé ne fera pas taire aussitôt les sceptiques. Il a toujours été de bon ton à Paris de se méfier de l'esprit académique assimilé, avec mauvaise foi, à l'académisme. Et, reconnaissons-le, nous avons tous souri au bon mot de Mme de Linange : « Les académies sont des sociétés comiques où l'on garde son sérieux. » Va pour le comique, s'il est perçu comme tel de se réunir chaque semaine pour « limer et frotter sa cervelle à celle d'autrui », parfois en habit vert brodé et au son du tambour !

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Mais le sérieux ? Nous le gardons précieusement, nous veillons à la tâche essentielle qui consiste à donner plus de force aux idées qui font, à un moment de son histoire, la cohésion d'une nation. Or cette nation aujourd'hui, c'est l'Europe. Il me semble qu'il nous incombe d'abord, à nous autres académiciens, d'entretenir les outils qui permettent à une certaine idée de l'Europe d'être encore pensée, articulée, défendue.

Quand je parle de l'Europe, je n'envisage pas seulement une définition géographique ni historique ou politique. Paul Valéry estimait que pouvaient se considérer comme européens les peuples « qui ont subi au coeur de l'histoire, trois influences : (...) celle de Rome (...), modèle de la puissance éternelle et stable, celle du christianisme (...) et enfin, l'apport de la Grèce ».

Ajoutons à la vision méditerranéenne de Valéry la civilisation anglo-saxonne à qui l'on doit les bienfaits de la société de confiance, chère à Max Weber et à Alain Peyrefitte.

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Il me semble pourtant que la géographie, l'histoire, l'espace ne doivent pas fixer l'Europe, qu'ils ne la contiennent pas entièrement, car l'Europe peut se penser aussi en termes de civilisation.

Je dirais que l'Europe se définit comme une disposition d'esprit : une capacité à assimiler l'évolution des sociétés humaines, à accumuler le savoir et à se développer par la foi dans le progrès. De là découle une vision du monde, une conception de l'homme et de sa relation avec la création qui est commune à tous ceux qui défendent l'Europe.

Il nous faut pourtant reconnaître que cette idée de l'Europe ne s'est imposée que parce qu'il existait sur place une Europe des idées. Nous sommes les conservateurs de cette Europe des idées, mais notre lecture reste libre et l'on peut s'étonner que les pouvoirs ne se tournent pas davantage vers les académies plutôt que de s'entourer uniquement de leurs propres experts. Les académies se composent de penseurs libres, gardiens de la tradition et sourciers du progrès.

Quand les académies européennes se réunissent à Paris, elles entretiennent la flamme du savoir qui toujours attise le feu de la curiosité. Cela n'est pas autre chose que faire le lien entre la tradition et le progrès.

Puissent les académies européennes, en réfléchissant ensemble à leur situation au XXIe siècle, se persuader mutuellement de leur perpétuelle jeunesse ».

Gabriel de Broglie


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