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"Si je t'oublie, Bagdad" d'Inaam Kachachi

Par Anom Yme

 Identité meurtrie


Dans le contexte géopolitique troublé de l'après 11 septembre 2001, la jeune Zeina tangue. Irakienne immigrée aux Etats-Unis dans les bras d'un père torturé par le régime bathiste alors qu'elle n'était qu'une enfant, elle voit désormais son ancien raïs tomber.
La jeune femme, qui vient de dépasser la vingtaine, se sent dans l'obligation d'aider son peuple ; ou plutôt ses peuples. Irakienne par le sang, américaine par la vie, Zeina est en quête d'identité. Alors pour concilier ses deux parties d'elle-même, Zeina s'engage comme interprète dans l'armée. Elle parle bien l'arabe et rêve de revoir son pays natal. Elle rêve aussi d'y apporter la démocratie. Et miracle, son dossier est accepté. Candide partira, malgré les protestations d'une famille restée patriote en dépit de l'exil.
Mais l'accueil est loin d'être celui qu'elle attendait. Les regards froids désabusés remplacent les foules en liesse imaginées. Même sa grand-mère Rahma, restée au pays, n'en revient pas : sa douce petite dans l'habit de l'occupant ! Le rêve devient cauchemar : d'un côté comme de l'autre les morts se multiplient. Bavures et attentats suicides deviennent son lot quotidien. La voilà en uniforme, traduisant les paroles d'inculpés ou les demandes de remboursement de familles voulant se faire dédommager une porte fracturée lors d'un contrôle de routine un peu musclé. Mais Zeina ne se sent pourtant pas comme tous ces soldats. Elle est irakienne, née dans ce pays ! Mais qui s'en soucie ? Si l'habit ne fait pas le moine, il y contribue grandement. Et l'étiquette qu'on lui jette le plus souvent à la figure, dans la rue avec les vrais gens, est simple : collabo.
Ce second ouvrage d'Inaam Kachachi paru en français vous explose à la figure. « Si je t'oublie, Bagdad » nous emmène dans une lente descente en enfer, là où la naïveté enfantine laisse place à l'âge adulte, là où la jungle prend corps devant vos yeux ébahis. Des palais de l'ancien dirigeant sunnite aux frêles habitations des insurgés, l'Irak se vit, page après page. Le style est concis, accrocheur. Mais sur le fond ? Une formidable analyse des identités, cas pratique sociologique qui illustrerait assez facilement certains essais d'Amin Maalouf, de Jean-Loup Amselle ou encore de Serge Gruzinski *. Pourtant, comment ne pas regretter que, le masque de Zeina la candide tombé, l'auteur s'en tienne à une sorte de fin convenue, presque bien-pensante ? Pourquoi ne pas pousser la critique plus loin, s'enfoncer dans les tréfonds de l'âme de Zeina totalement désillusionnée ?
Les dernières lignes concluent sur un sursaut patriotique, remake arabisant du psaume 137. Rien de plus. Le lecteur ferme l'ouvrage, heureux d'avoir participé au voyage intérieur de cette jeune femme, forme imagée d'un pays déchiré, mais déçu de s'être fait éjecter trop tôt, de n'avoir pu continuer le trajet jusqu'au terminus. Mais ne désespérons pas pour autant : une littérature vive et éclairante, à défaut d'être totalement éclairée, se fait rare. Surtout lorsqu'elle traite de cette région du monde si sujette aux clichés et autres généralisations ethnocentristes. Cette sortie reste donc à souligner dans le grand bain de la rentrée littéraire.
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* : Lire à ce propos « Les identités meurtrières » d'Amin Maalouf, ouvrage auquel le titre de la recension fait référence, mais également « La pensée métisse » de Serge Gruzinski, et les divers travaux de Jean-Loup Amselle sur l'Afrique.
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"Si je t'oublie, Bagdad" d'Inaam Kachachi / Liana Levi  / 225 p.
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Critique publiée sur le webzine Culturopoing


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