La semaine dernière s’achevait le Festival International du Court Métrage de Lille. Avec près de 71 films en compétition et de nombreuses soirées thématiques (dont la théma “Zygomatiks” dans un Hybride chaleureux et systématiquement plein à craquer), la programmation était pour le moins éclectique. Malgré le côté “zapping YouTube” de l’exercice et des moyens modestes, la manifestation a enthousiasmé le public de par les nombreuses (re)découvertes qu’elle a suscitées. Retour ici sur le palmarès et quelques-unes des œuvres qui nous ont marqués (dont beaucoup sont d’ailleurs visionnables en ligne) !
- “A bit on the side”, de Steve Sullivan
Certains collectionnent les timbres, les échantillons de parfum, ou encore les fèves de galette des rois. Tony, lui, a pour hobby obsessionnel d’emprunter autant de perceuses que possible. Bien évidemment, il ne les rend jamais à leur propriétaire, ce qui dans sa petite banlieue britannique peut lui valoir quelques problèmes de voisinage.
Avec près de 600 “emprunts” à son actif, le personnage se livre à la caméra dans ce court métrage en forme de reportage sociologique, à la fois absurde et tendre. Un mélange réjouissant de Groland dégraissé et de Ken Loach euphorisé, déjà primé dans ce même festival lillois en 2006.
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- “La révolution des crabes”, d’Arthur de Pins
“La révolution des crabes” raconte la triste histoire de cet accident de l’évolution que sont les Pachygrapsus Marmoratus. La nature ne leur ayant pas donné la possibilité de tourner, ces crabes repoussants sont condamnés à suivre la même trajectoire tout au long de leur existence.
Du poids de la naissance à la pression des pairs qui ne pardonnent pas l’anti-conformisme : tout y est. Avec cette histoire au ton caustique, le français Arthur de Pins dessine en creux le chemin tout tracé que beaucoup d’hommes suivent sans l’avoir choisi, et sans le remettre en cause. Le tout sans tomber dans l’excuse : “si on ne tournait pas, ce n’était pas à cause de notre carapace, c’est parce qu’on était trop con”. Un délice.
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- “Intolerance I”, de Phil Mulloy
Dans “Intolerance I” la métaphore animale cède la place à une rencontre de troisième type. Des chercheurs tombent par hasard sur un film montrant les us et coutumes d’un peuple venu d’une autre planète. Semblables aux humains, les Zogs présentent néanmoins une particularité : leurs parties génitales et leur tête sont inversées.
Partant d’une idée loufoque mais relativement simple, le britannique Phil Mulloy confronte l’humanité à un peuple dont la seule existence remet en cause ses règles, sa morale et ce qui est sexuellement acceptable. Comme son nom l’indique, il s’agit d’un pamphlet contre l’intolérance, visant tout particulièrement celle qui s’appuie sur la religion pour défendre sa raison. Ce court métrage se joue de la morale sans chercher à cacher la sienne, à savoir l’acceptation de la différence. Si la fable ne fait pas dans la subtilité, au moins évite-t-elle le discours pontifiant.
Si vous avez aimé, on vous conseille le long métrage de tous ses courts “Mondo Mulloy” (sorti en salles en 2004) ou tout simplement la suite, logiquement intitulée “Intolérance II”.
- “Brother”, “Cousin” et “Harvie Krumpet”, d’Adam Elliot
Dans “Brother” et “Cousin”, Adam Elliot braque une lumière crue sur les souvenirs d’enfance. Avec “Harvie Krumpet”, considéré comme une référence en matière de stop-motion et de courts en général, le réalisateur australien nous conte l’histoire d’un homme ordinaire.
Ces trois films ont deux choses en commun. La première est qu’ils traitent tous avec une ironie touchante des tristes et parfois tragiques destins de personnages que la vie n’a décidément pas gâtés. La deuxième est qu’ils incarnent les ancêtres avérés de “Mary and Max”, sorti cette année. Comme dans “Foutaises” en ce qui concerne Jean-Pierre Jeunet, beaucoup d’ingrédients sont déjà présents : la musique est composée principalement de morceaux connus (Que Sera Sera dans “Mary and Max”, le Canon de Pachelbel dans “Harvie Krumpet”), la folie et le handicap sont des thèmes omniprésents, le travail et la religion sont vus comme aliénants, les coqs sont des animaux de compagnie, les personnages collectionnent les rognures d’ongle etc. Que l’on ait aimé ou non “Mary and Max”, ces trois courts-métrages sont indispensables pour connaître la genèse de son univers.
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- “Logorama”, de François Alaux, Hervé de Crécy, Ludovic Houplain
Archi-buzzé depuis sa première projection, qui a eu lieu à Cannes cette année, Logorama est le dernier projet du collectif français H5, déjà célèbre à plus d’un titre et notamment pour ses clips (Massive Attack, Röyksopp, Air…). Le film part d’un constat qu’Etienne de Crécy résume ainsi : “Aujourd’hui on peut se permettre de caricaturer le Pape, le Président ou Mahomet, mais par contre un logo d’une marque existante… il n’y a pas plus protégé !”
“Logorama”, le film dont les héros sont… les logos. S’il est construit selon un schéma narratif de film policier / catastrophe on ne peut plus banal, l’intérêt réside bien cette transgression implicite de tous les instants où Ronald MacDonald devient un clown psychopathe et le bibendum Michelin un flic modèle, où le petit Haribo est un sale gosse et Monsieur Propre un brin efféminé. International oblige, de nombreuses marques détournées sont néanmoins américaines et peu connues du public français : qu’à cela ne tienne, son audace et son humour ont valu au film le Prix du Public.
Les dates de projection sont disponibles sur le site officiel (projections à venir à Lille et Paris).
Grand Prix international : Um Dia Frio, de Claudia Varejao (visionner la bande-annonce)
Grand Prix national : Mei Ling, de Stéphanie Lansaque et François Leroy
Prix du public : Logorama, de François Alaux, Hervé de Crécy et Ludovic Houplain
Prix des très courts : Post-it love, de Simon Atkinson et Adam Townley
Prix du jury jeune : The Ground Beneath, de René Hernandez
Mention du jury jeune : Muto, de Blu
Prix de l’innovation technique : Dix, de Bif
Prix de la musique originale : Strata #2, de Quayola
Prix de l’image : Danse Macabre, de Pedro Pires (visionner la bande-annonce)
Prix du film expérimental : Dropping Furniture, de Harald Hund et Paul Horn
Prix du film d’animation : Muto, de Blu
Prix du film de fiction : Echo, de Magnus Von Horn
Crédits photos : © International Distribution