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Louis II de Bavière, entre légende et réalité

Publié le 21 octobre 2009 par Savatier

 « Roi vierge », « roi fou », la légende a su se montrer généreuse avec Louis II de Bavière ; le destin tragique des souverains germaniques, au Nord et au Sud des Alpes, a toujours hanté l’imaginaire romantique d’une époque qui, pourtant, ne l’était plus depuis longtemps. Et le cinéma ne s’y est pas trompé qui, entre le mièvre triptyque de Sissi et les versions non moins mièvres déclinées autour de Rodolf de Habsbourg et du drame de Mayerling (par Anatole Litvak en 1936, Jean Delannoy en 1948 et Terence Young dix ans plus tard), savait pouvoir compter sur ces thèmes pour remporter des succès populaires. A l’instar de ses cousins de la Maison d’Autriche, Louis II a, lui aussi, inspiré le cinéma où l’on retiendra surtout deux titres de 1972, Ludwig, le crépuscule des dieux de Luchino Visconti et Ludwig, requiem pour un roi vierge, de Hans Jürgen Syberberg. Les visages d’Harry Baer et, surtout, d’Helmut Berger, restent gravés dans les mémoires, qui font oublier que celui de leur modèle avait depuis longtemps perdu sa beauté juvénile lors de sa disparition mystérieuse, à l’âge, pourtant peu avancé, de 41 ans.

Un tel personnage ne pouvait qu’attirer, avec des fortunes diverses, romanciers et biographes. Roi fantasque, voire dément, dandy raté et incompris issu d’une lignée où les névropathes abondent, réfugié dans ses rêves et ses châteaux improbables, mort d’une noyade suspecte, telles étaient – et demeurent encore – les multiples facettes suggérées par le mythe. Il aurait, de nos jours, réuni toutes les conditions pour attirer sur lui la presse « people », grande pourvoyeuse de voyeurisme couronné, de scandales de cour et de pleurs dans les chaumières.

Le temps permet à l’Histoire de décanter ses légendes. Cependant, il est assez surprenant de constater que l’une des meilleures biographies publiées sur Louis II fut précisément la première, écrite par Jacques Bainville alors qu’il avait tout juste dix-neuf ans – l’âge auquel son héros était monté sur le trône. Ce texte, qui vient d’être réédité (Jacques Bainville, Louis II de Bavière, Bartillat, collection Omnia, 310 pages, 12 €), n’a rien perdu de sa pertinence, peut-être justement parce qu’il s’emploie à tordre le cou au mythe et aux idées reçues. A l’époque où il fut écrit, 12 ans seulement s’étaient écoulés depuis la mort mystérieuse du souverain. Un laps de temps trop court pour que le jeune historien se vît autorisé l’accès aux archives bavaroises par un prince régent trop conscient du rôle peu reluisant qu’il avait lui-même joué dans ce drame.

Le silence entretenu par les autorités aurait pu entraîner Bainville sur la voie dangereuse des spéculations, le faire tomber dans les pièges faciles d’une théorie du complot ou d’une vision déformée au prisme d’un romantisme toujours hasardeux. Tel ne fut pas le cas ; avec une maturité et une rigueur étonnantes, l’auteur étudia les documents publics en sa possession, réunit les témoignages de nombreux survivants, exploita le gisement, toujours riche d’informations, des correspondances. En d’autres termes, il se livra à un vrai travail d’historien. Comme le relève Dominique Decherf, spécialiste de Bainville, dans la préface de cette édition, le jeune homme se découvrit en outre « une sorte de proximité avec le jeune roi […], la capacité de se mettre à sa place, à entrer dans sa peau. » Jeu périlleux, à l’évidence, mais auquel Bainville ne se laissa pas surprendre par son modèle ; « il traita rationnellement d’un sujet romantique à l’excès. »

On a surement tort, aujourd’hui, d’avoir presque oublié Bainville, qui fut un historien de premier plan du XXe siècle. Sans doute ses opinions royalistes et sa proximité intellectuelle avec son maître et ami Charles Maurras en furent responsables. Pour autant, renoncer à le lire revient à se priver d’ouvrages remarquables, comme son Histoire de France ou son Napoléon, faciles d’accès, généreusement documentés, écrits d’une plume élégante et dénués de tout caractère partisan. En outre, il faut garder en mémoire que Bainville mourut en 1936 et que la méfiance viscérale qu’il nourrissait envers l’Allemagne ne l’inclinait pas à la sympathie envers le régime Nazi naissant. Il avait d’ailleurs, avec une étrange lucidité, prédit sans jamais les appeler de ses vœux, dès 1920 (et à l’analyse du Traité de Versailles), les événements qui devaient entraîner la Seconde guerre mondiale.

Dans cette biographie, Bainville décrit la lignée chargée de Louis II, son éducation sévère et rêveuse qui ne l’avait guère préparé à régner. Il dénonce un cliché, cette « atmosphère de sentimentalité germanique un peu niaise qui l’entoure, à laquelle il serait sage de ne pas se fier. » Certes, on se heurte à bien des niaiseries dans les lettres enflammées que le jeune monarque écrivait à un Wagner dont il avait été la providence (« Mon profondément aimé », etc.) Mais ce serait oublier que, lorsqu’il dut choisir entre le musicien et son trône, c’est l’ami que le roi sacrifia. Inconstance ou sens de l’Etat ? Les éléments rassemblés par l’auteur militent en faveur du second sentiment. Car ce n’est pas l’un des moindres mérites du livre que de mettre en lumière l’intelligence politique de Louis II. Son attitude lors de la guerre de 1870, puis de l’unification de l’Allemagne, en fournit la preuve. Loin de se montrer velléitaire ou veule, naturellement méfiant envers la Prusse, le souverain sut faire montre de pragmatisme : face à un Bismarck omnipotent, « la politique du roi, souligne Bainville, se révélait comme une politique de bon sens, de prudence et de salutaire résignation. » De même, s’il s’entichait parfois de favoris jusqu’à la démesure, il savait sans ménagement leur rappeler leur place lorsqu’ils se risquaient imprudemment à intervenir dans le domaine réservé de son pouvoir.

Déroutant, misanthrope, misogyne (subit-il, sur ce point, l’influence de Parsifal, souffrait-il d’impuissance ?), si obsédé par la beauté qu’il fermait sa porte à quiconque avait le malheur d’être laid, ce dandy n’en était pas vraiment un, puisqu’il se passait fort bien d’un public, pourtant indispensable à cette démarche. Et Bainville, une fois encore, détruit l’idée reçue d’un prince esthète. Peu averti en matière d’art, il négligea ses musées, ne concentra son attention que sur l’épopée germanique wagnérienne et le XVIIIe siècle français et fit construire des châteaux qui ne devaient refléter que l’ombre de ces thèmes exclusifs : « Peu importait à Louis II que ses artistes ordinaires fussent médiocres, leur peinture pauvre et sans idée. Il lui suffisait que la légende fût exactement et fidèlement rendue et que les costumes fussent strictement de l’époque. » L’émotion l’emportait sur le goût : ses demeures imposantes et dispendieuses pouvaient donc s’orner de décors de carton-pâte, ce qui comptait résidait moins dans la valeur artistique d’une œuvre que dans l’invitation à la rêverie qu’elle lui suggérait.

Enfin, l’historien consacre de belles et intéressantes pages à l’énigme que constitue à lui seul le roi de Bavière, destitué pour aliénation mentale et tenu à résidence au château de Berg. Etait-il fou, et qu’est-ce que la folie ? Les rapports des psychiatres n’emportent guère la conviction des historiens. Est-ce une démence, ou une simple excentricité, de faire jouer pour soi seul un opéra ou une pièce de théâtre ? Est-ce une folie de déserter son cabinet de travail pour s’isoler dans un refuge montagnard ? Se posent alors d’autres questions, pertinentes et dérangeantes : comment Louis II est-il mort et qui avait intérêt à le faire disparaître, ce 13 juin 1886 ? Sans fioriture, de manière factuelle et précise, Bainville apporte des éléments de réponse. Qui, cependant, peut aujourd’hui assurer détenir la vérité sur ce monarque atypique et sur sa fin tragique ? Ne le disait-il pas, d’ailleurs, en médecin légiste de sa propre personne ? « Je veux demeurer un mystère pour les autres comme pour moi-même. »

Illustrations : Jacques Bainville - Louis II, portrait par Ferdinand von Piloty, 1865 - Louis II, photographie de 1886. 


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