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commandos cyclistes

Par Jmlire
commandos cyclistes" Par dessous mon bandeau, de part et d'autres de la piste que nous longions, j'avais entrevu furtivement les éléments d'une division motorisée nord-vietnamienne, dont les hommes en uniformes verts se taisaient à notre passage, laissant seulement échapper par instants quelques bruits fortuits...
  Pareille concentration de forces armées dissimulées en pleine brousse représentait une prouesse logistique, et montrait à quel point la détermination du Vietnam était arrêtée. Mais la machine de guerre communiste avait d'autres atouts, plus dangereux encore pour le commandement américain que ce rassemblement dont les B52 ou les F111 ne feraient qu'une bouchée. Quelques jours auparavant, le lendemain de mon arrestation, sur la piste qu'on m'avait fait suivre jusqu'au village de Ta Mok, notre petit groupe avait croisé, au sortir d'un veal, quelques éléments d'un dispositif militaire beaucoup plus impressionnant : une unité de cyclistes, espacés les uns des autres d'une cinquantaine de mètres, en file le long de sentes à peine marquées sous les arbres. C'était le fer de lance de toutes les offensives. Silencieux, mobiles, indécelables, ces hommes d'âge mûr - ils avaient entre quarante et cinquante ans - semblaient imperfectibles. Les actions rapides, le camouflage, l'attente entre les opérations, constituaient leur quotidien depuis des décennies. Ils portaient tout sur eux : kalachinkov dans le dos, ficelé avec soin pour ne pas tourner ou basculer, chargeurs et grenades attachés aux bretelles, sac de riz sur le ventre, minuscule réchaud, allumettes et ustensiles divers ( bouts de ficelle, fils de fer trouvés en chemin...) dans une musette, photos porno ( recues officiellement ) dans la poche de la chemise, le tout protégé sous une pèlerine à capuche en nylon. Chaque vélo, dont le guidon rouillé et la fourche arrière étaient armés de plaques soudées et de fer à béton, transportait un mortier ou un B40 maintenu au cadre par des élastiques ou du vieux fil électrique ; les munitions étaient fixées sur le porte-bagages à l'aide des chambres à air de rechange, à côté du hamac règlementaire pour la nuit. Celui-ci était pourvu d'une toile de tente imperméable qui permettait de dormir sous la pluie... Chacun de ces combattants était un modèle d'adaptation, de simplicité, d'efficacité : puissance d'attaque, invulnérabilité, coût pour ainsi dire nul. Des professionnels, sans illusions, sans audace, sans autre projet que l'action du lendemain - leurs femmes et leurs enfants restaient un souvenir cher mais lointain -, qui apportaient une réponse fascinante à l'engagement extravagant de l'Oncle Sam dans la région...
  Si les jeunes gens qui me conduisaient n'avaient pas été à cent lieues des axes de la propagande antiaméricaine jouant sur la naiveté des nations les plus riches, les chefs khmers rouges n'auraient jamais pris le risque de laisser partir le témoin de preuves aussi édifiantes  de la présence nord-vietnamienne et de son organisation de guerre en territoire cambodgien.
  Cela dit, les Lacouture* avaient encore de belles années devant eux, car on ne change pas facilement un courant de pensée, si peu fondé soit-il...
François Bizot : extrait de Le Portail Ed La Table Ronde, 2000

(*journaliste spécialiste de la région à l'époque, Jean Lacouture niait ou minimisait dans ses articles la présence des nords vietnamiens au Cambodge.

En novembre 1978, Jean Lacouture reconnait ses erreurs sur ses présentations du Viêt Nam et des Khmers rouges. Dans un entretien à Valeurs Actuelles, il déclare :

« avoir pratiqué une information sélective en dissimulant le caractère stalinien du régime nord-vietnamien. Je pensais que le conflit contre l'impérialisme américain était profondément juste, et qu'il serait toujours temps, après la guerre, de s'interroger sur la nature véritable du régime. Au Cambodge, j'ai péché par ignorance et par naïveté. Je n'avais aucun moyen de contrôler mes informations. J'avais un peu connu certains dirigeants actuels des Khmers rouges, mais rien ne permettait de jeter une ombre sur leur avenir et leur programme. Ils se réclamaient du marxisme, sans que j'aie pu déceler en eux les racines du totalitarisme. J'avoue que j'ai manqué de pénétration politique. » http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Lacouture )

http://www.lexpress.fr/actualite/monde/asie/il-a-vu-mourir-le-
cambodge_493790.html


http://www.lescribe.com/romans10.php3?Id_livre=28

http://ecrits-vains.com/points_de_vue/portail.html

http://pascal.ledisque.free.fr/wordpress/?p=1543

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