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Etude approfondie de Seesmic : le forum discussion audiovisuelle en ligne 7

Publié le 10 octobre 2009 par Powanono

Etude approfondie de Seesmic : le forum de discussion audiovisuelle en ligne 1 2 3 4 5 6

2. Vie et mort des débats télévisuels

Après s’être appuyé sur François Jost, l’analyse sera poursuivi avec l’ouvrage Vie et mort des débats télévisés de Sébastien Rouquette. Sociologue de la communication, S.Rouquette livre une histoire du débat télévisé en France expliquée au travers du prisme économique (les effets de rentabilité et d’audience) et sémiotique (les jeux de mise en scène).Dans cet ouvrage, il essaye de comprendre pourquoi nous en sommes arrivés à une fin des débats télévisés, dont l’apothéose serait le temps des palabres, la prégnance du témoignage et la fin des polémiques. Face à ce constat des choses, Seesmic serait-il une solution aux débats télévisés qui sont dans l’impasse décrite par S.Rouquette à la fin de son ouvrage ?

Dans Vie et mort des débats télévisés, S.Rouquette dresse un portrait de l’évolution des débats en France à la télévision. Il met en relief des périodes.Dans les premiers débats, on filmait tout ce qui était en marge du plateau, pour prouver les moyens techniques mis en place pour celui-ci par la chaîne (caméra, standardiste, …), car le débat relevait encore de l’anecdotique et de l’exceptionnel. Il mentionne également la vague polémique où les statuts et les différences des acteurs participants sont exacerbés pour des débats confus et précaires mais animés (« Ciel mon mardi »). Jusqu’aux temps des palabres, où l’animateur possède un contrôle plus important sur l’émission et ses invités, tout en adoptant un ton plus décontracté et, en mettant en scène des intervenants aux paroles et aux rôles attendus par la production. Comme dit précédemment, les thèses dialogiques semblent aussi bien adaptées au media Seesmic qu’aux débats télévisés. Comme le montre Rouquette tout au long de l’ouvrage, les conditions d’échange instaurées par la production influe sur le contenu même de celui-ci. Les parallèles entre le débat télévisé et Seesmic permettront d’inscrire notre objet, soit comme un objet médiatique inédit, soit comme le résultat d’une simple évolution du débat télévisé tout en suivant la démarche didactique de P.Flichy sur l’étude des nouveaux médias et de leur soi-disante supériorité. On soulignera que l’ouvrage de Rouquette, bien que couvrant le paysage du débat télévisuel français, tire des conclusions qui ont souvent valeur d’universaux. On retrouve d’ailleurs dans l’ouvrage de nombreux exemples anglo-saxons en guise d’exemples comparatifs.

2.1 Seesmic comme solution au débat télévisuel ?

Avant de se livrer à l’inventaire des différences et des ressemblances, il faut rappeler qu’Internet, comme le souligne P.Flichy, fut bercé entre deux courants de pensée antagonistes. L’unconçoit Internet comme une nouvelle agora, fruit de toutes les imaginations des technophiles, et l’autre comme une anarchie discursive totalitaire, fruit de toutes les angoisses des technophobes.

Au premier abord, il semblerait que ce dispositif réponde à certaines limites du débat télévisé. Tout d’abord la caractéristique de constante incomplétude des débats menés sur Seesmic semble répondre au problème de la limite temporaire technique imposée par les débats télévisés. « Ciel mon mardi », par exemple, a un format bien défini où l’émission possède un début et une fin ; Dans ce cas, la clôture dépend d’avantage de la durée imposée par la chaîne que de la résolution du problème posé lors du débat. Alors qu’un sujet sur Seesmic, s’il possède effectivement un début, sa résolution ne dépend d’aucune contrainte temporelle externe, ni d’ailleurs,de la logique interne de l’argumentation, compte tenu de la possibilité de faire des hors-sujet offerte aux protagonistes par le dispositif. Toutefois, il serait nécessaire d’effectuer un travail de pourcentage et de recueil d’informations pour comprendre, plus profondément, comment un sujet « s’éteint » sur ce type de dispositif. La fin du sujet est-elle plus souvent provoquée par la résolution du problème ou par cette notion de flux qui noie le sujet au fil du temps face aux autres sujets plus récents ?

Il se différencie aussi du débat télévisé par le manque d’animateur.L’utilisateur lançant le sujet adopte le rôle de présentateur, en installant la problématique et le but de son message. Mais il n’existe aucun animateur pour ponctuer et, bien sûr, animer le débat. Ce manque d’animateur influe sur l’intégralité du débat. En outre les intervenants dans la discussion n’ont pas de rôle attribué et aucune sélection n’est opérée par le dispositif si ce n’est les règles de bonnes conduites d’échange. De plus les intervenants ont une légitimité plus souple dans ce genre de dispositif car il n’est pas nécessaire de « justifier d’une légitimité individuelle particulière propre pour être écouté ». Cette dernière phrase peut d’ailleurs résumer une grande partie des problèmes soulevés par l’autoproduction sur Internet comme par exemple la question des bloggeurs se réclamant du journalisme.

Enfin l’absence de programmation de type télévisuel sur Seesmic rend la diversité des sujets de discussion plus variable dans la journée. Pour reprendre l’exemple de « Ciel Mon Mardi », celle-ci n’aurait pu se dérouler la journée sous peine de rappel à l’ordre du CSA, mais surtout sous peine de perdre ses téléspectateurs cibles. Or, le dispositif Seesmic n’est pas soumis aux lois de programmation. Parler de sujets sensibles à 10 heures du matin est autant autorisé que de parler cuisine à 22 heures sur Internet. Néanmoins, il serait, là aussi, intéressant de chiffrer quantitativement les thèmes abordés par les internautes selon l’heure de la journée.

2.2 Seesmic : un débat audiovisuel aux normes télévisuelles

Par ces points importants relevés, Seesmic se détache-t-il assez du débat télévisuel classique pour se prévaloir d’un nouvel espace de débat audiovisuel? On constate aussi de nombreuses ressemblances entre les caractéristiques des deux dispositifs. Tout d’abord Seesmic souffre, comme tout forum de discussion, mais aussi comme tout débat télévisé, de l’exhibition des uns et de la réserve des autres. Rouquette prolonge la réflexion de Flichy à l’égard des forums de discussion : il existe « plus de candidats pour regarder cette mise en scène spectaculaire que pour y participer »[1] comme il existe plus de lecteurs que de participants sur un forum.

Dans une démarche d’explication plus large, l’auteur de Vie et mort des débats Télévisés relate des « mouvements de fond creusant les sociétés occidentales depuis plus de 20 ans ». Ainsi, par une volonté de la production télévisuelle, la scénographie est étudiée pour éviter tout dérapage et laisser plus de contrôle à l’animateur. Dès lors, le temps des palabres des années quatre-vingt dix ne fait plus se confronter les intervenants entre eux. Mais ceux-ci sont de plus en plus convoqués en tant que témoins de leurs propres vies ou objets représentatifs d’une communauté donnée plutôt que leaders d’opinion ou représentants légaux d’une communauté. Cela se traduit par une exposition de l’intimité à l’écran, « comme si les gens ne pouvaient pas mieux témoigner de leurs vies qu’en se présentant chez eux »[2]. Cette exhibition de l’intimité créé une situationne permettant pas d’installer les conditions propices au débat. La bataille d’idée au centre du débat laisse place aux temps des palabres dont les finalités consistent à prouver « la véracité d’une expérience concrète que d’une idée »[3]. Une entreprise plus facile et moins litigieuse pour chacun. De plus l’exposition d’intimité, c’est-à-dire de l’espace personnel privée de chacun, est difficilement critiquable n’étant pas remis aisément en cause par les autres intervenants selon le principe qu’il ne faut pas « faire à autrui ce qu’il ne veut pas qu’il vous fasse ».

A ce stade, il est déjà possible de voir les rapprochements que l’on peut effectuer entre Seesmic et l’évolution des débats télévisés. Les Seesmiqueurs se filmant dans leurs intimités, généralement en plan rapproché, évoquent leurs quotidiens et témoignent le plus souvent de leurs propres vies. A l’instar des débats TV, cela a pour conséquence de ne provoquer que peu de polémique entre les utilisateurs. De plus, chaque utilisateur de Seesmic a pour seule légitimité d’intervention sa propre vie, en tant qu’expert de celle-ci. Ils sont aussi experts de leurs monstrations à l’écran. Le dispositif, bien que strictement technique, n’est donc pas si innocent, si neutre. La webcam révèle l’intimité de l’internaute, sa vie, et le met en premier plan et donc influe sur les sujets abordés.

L’internaute instaure alors une scénographie où il se présente dans son intimité ou dans un endroit de son choix. Il ne partage d’ailleurs pas le même espace avec son interlocuteur à l’instar de ce qui se passe dans les débats télévisuels. Alors que les émissions de palabres comme « Ca se discute » font le choix de ne plus mettre en confrontation visuelle les intervenants, le dispositif Seesmic ne les met même plus au même endroit. Le dispositifparticulier émanant de Seesmic semble corroborer l’évolution des débats télévisés,en installant une logique journalistique où « tout est fait pour privilégier le flot d’information, jusqu’à la frénésie par le nombre de participants, par le panel des thèmes abordés »[4] et où l’interaction essaye d’être mise au premier plan. Finalement le dispositif ne joue-t-il pas le rôle d’un animateur devenu machine? Il faut donc revenir à la nécessité d’adopter une démarche à la P.Flichy en considérantla machine non pas comme une simple construction technique mais aussi comme une construction sociale résultant de choix influencés par le contexte du moment. Dans ce cas-ci la compréhension et l’analyse de Seesmic passe par l’étude de l’évolution des débats télévisés pour comprendre certaines conceptions entourant ce dispositif Internet.

En conclusion, difficile de déduire si Seesmic est une évolution ou une simulation du débat télévisé à destination des internautes, sans les mêmes appuis statistiques utilisés que S.Rouquette. Néanmoins, ce dispositif Internet semble bien emprunter le chemin tracé par la télévision qui « est régi par les règles de la concurrence, de la rentabilité des programmes et de la satisfaction du grand public, plus la recherche effrénée de rythme et la volonté forcenée de contrôle qui en découlent ici aboutissent à renforcer une vision très sélective de la société »[5]

Seesmic est donc un espace discursif particulier, s’inspirant et empruntant à nombre d’autres médias où la caractéristique commune des intervenants sur cette plateforme est d’exposer leurs vies professionnelles et leurs vies privées. Maintenant on peut interroger l’identité de ces intervenants échangeant dans cet espace. Espace du forum de discussion qui trouve sa parfaite métaphore dans le titre de l’ouvrage de Brenda Laurel Computers as theatre. Car selon elle, ce « système permettrait à une personne de participer à une action dramatique de façon relativement libre, d’influencer le déroulement en exprimant ses choix et le jeu des personnages grâce aux interactions avec les acteurs »[6]


[1] ROUQUETTE, Sébastien - Vie et mort des débats télévisés 1958-2000. - Bruxelles : INA/De Boeck, 2002. - 251 p.. (Coll. Médias Recherches, série Études)

[2]Ibid., p.73.

[3]Ibid., p.76.

[4]Ibid., p.77.

[5]Ibid., p.208.

[6]LAUREL, Brenda - Computers as Theatre. - Californie : Addison-Wesley, 1992. - 256p.,p.205.

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Seesmic : un forum de discussion audiovisuelle by CONSTANT Arnaud est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Paternité-Pas de Modification 2.0 France.


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