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L’effet de présence et la simulation

Publié le 24 octobre 2009 par Paule @patty0green
L’effet de présence, c’est l’inverse de la simulation. J’entends ici la simulation comme "un court-circuit et à son redoublement par les signes" (Baudrillard, 1981 : p.48). L’effet de présence est donc l’inverse de ce redoublement, mais il n’en est pas le revers. La simulation est sans aucun doute la possibilité d’émergence d’un effet de présence, ou encore, l’effet de présence est la prise de conscience d’une simulation. Je m’explique.
L’effet de présence est souvent spontanément entendu comme l’effet de la présence de quelque chose. Qu’est-ce qui est rendu présent par l’effet de présence? L’effet ou la chose? On peut répondre qu'il s'agit des deux à la fois. À titre d’exemple, un portrait représentant x rend présent à la fois x et le dispositif pictural. Je ne m’y méprends guère, il y a représentation. Le modèle précède le tableau et la composition me renseigne également sur la vision du peintre. Ainsi, l’effet de présence ne serait qu’une simple représentation comme on en trouve partout. Elle se différencierait de la simulation ou du simulacre simplement parce qu’elle :
"n'a pas pour effet de nous faire croire à la présence de la chose même dans le tableau (devant un portrait fidèle à s'y méprendre...nul ne se méprendra jamais...) mais de nous faire savoir quelque chose sur la position du sujet pensant et contemplant le monde" (Marin, 1994 : p.308).

La notion d’effet de présence serait ainsi décomposable et ses éléments seraient remplaçables : effet = dispositif pictural, présence = modèle représenté. J’appelle plutôt cela un effet de réel. Le propre de l’effet de réel barthien repose toutefois dans cette idée que la médiation humaine (le peintre) disparaisse dans l’expérience du spectateur, engendrant ainsi une vraisemblance qui est de l’ordre du calque de la réalité. L’effet de réel peut toutefois être interprété, en arts visuels, selon l’effet de la nature tel qu’évoqué par Pline. Dans ce cas, il y a vraisemblance (réel), mais encore perception du dispositif qui permet une certaine conscience de la médiation humaine : une « conscience d’image » dans les termes d'Husserl.
Toutefois, il y a une différence entre l’expérience d’un tableau qui rend présent, par ressemblance, une personne, et l’expérience d’une œuvre (et de son dispositif) animée par une présence humaine. Le modèle, dans ce dernier cas, ne précède pas l’œuvre dans le temps et dans l'espace. Il se présente de manière actuelle et contigüe au dispositif médiatique et celui-ci est indissociable de la présence. En fait, il n’y a pas de modèle, il y a simplement le tableau qui ne renvoie à rien d’autre qu’à cette présence en lui-même. Comme ce tableau animé, l’ « effet de présence » est pour moi un terme indivisible dont les composantes sont irremplaçables! C’est un paradoxe pragmatique qui ne se résout pas de manière logique. Je ressens une présence, j’ai conscience du dispositif, mais c’est dans celui-ci qu’il y une présence (et non par celui-ci).
On pourrait alors se demander (je prévois une objection) ce que l'on pourrait dire d'une figure humaine qui provient entièrement de l'imaginaire du peintre. Il peut y avoir précession du modèle au niveau mental. L'expérience de l'effet de réel est celle d'une distanciation entre cette figure et un modèle préalable qui peut trouver son principe de réalité dans l'imaginaire. Dans cette mesure, nous expérimentons un effet de réel. Mais dans la mesure où nous expérimenterions un tableau animé, il y aurait effet de présence. Cela repose entièrement dans l'expérience du spectateur.
Si l’on entend la représentation comme l'acte de " porter en présence un objet absent, le porter en présence comme absent" (Marin, 1994 : p. 305), l’effet de présence n’est donc pas une représentation!
Si on perçoit l’effet de présence telle une représentation, soit on parle plutôt d'effet de réel, soit on tombe dans le jugement normatif de la bonne représentation ou de l’illusion. Dans cette perspective, qui n’est pas la mienne, l’effet de présence est plus fort au fur et à la mesure que son dispositif médiatique s’efface. Un trompe-l’œil, en quelque sorte. Il s’agit là d’une toute autre modalité de l'expérience esthétique que je ne vais pas étayer ici, mais elle répond à une erreur de perception. J'affirme, au contraire, que l’effet de présence n’est pas une notion intermédiaire qui permet de parler de l’expérience de la présence à travers les dispositifs médiatiques. Elle ne pose pas la question de l’erreur de perception, de l’illusion. Il n’y pas d’illusion. Cette idée d'illusion est justement ce qui engendre, dans la recherche sur l’effet de présence, des jugements normatifs, d’une part, mais aussi une course « scientifique » pour le fantasme de la présence. L’hologramme, dans cette perspective, serait l'effet de présence par excellence. Une représentation en trois dimensions dont on peut faire le tour serait tout près de la présence (probablement que l'on parle de présence physique, mais la présence n'est pas un phénomène purement physique!).
Pour reprendre les mots de Baudrillard :"L'hologramme, image parfaite et fin de l'imaginaire." (Baudrillard, 1981 : p157). Qui dit fin de l’imaginaire, dit fin de l'effet de présence! Si on enlève l’effet, il ne reste que la présence. L’effet de présence repose dans l’investissement d’un spectateur et de son imaginaire. L’hologramme, c’est un effet de présence affaibli et non plus fort. La présence physique en trois dimensions n'est pas une condition de perception de l'effet de présence.
L’hologramme permet toutefois de comprendre un aspect important de l’effet de présence : les choses n’ont pas besoin d’être réelles pour être présentes. Plus encore, contrairement à l'"idéologie" de l'hologramme, les choses n’ont même pas besoin de correspondre au principe de réalité. L’effet de présence est justement ce qui rend à l'esprit l'idée que tout est une question de perception, même le réel. Le réel, dans l’effet de présence, se présente sous forme de simulation. C’est en tant que simulation que le réel agit comme toile de fond pour l’émergence de l’effet de présence. L’effet de présence révèle non seulement son dispositif médiatique, mais la possibilité de sa non réalité. En révélant cette possibilité, il évacue la question de la croyance, la question « est-ce réel? » disparaît, alors que la présence persiste. L'effet de présence dit : "je ne suis pas réel, mais je suis pourtant bien présent". En ce sens, il ne tente pas de nous faire croire quelque chose en pointant en la direction de ce quelque chose, il pointe vers nous et nous en tant que sujet pensant. L’effet de présence est un accroc dans notre représentation du monde, un paradoxe qui nous propose à chaque fois de faire le « deuil du réel ».
Faire le deuil du réel, c'est aussi, faire le deuil de ses représentations catégoriques. Puisque je m'intéresse à l'effet de présence dans les œuvres d'art, je fais le deuil de l’histoire de l’art, en elle-même grande catégorie du réel qui entend répondre à son principe par d'autres classements. L’œuvre hypermédiatique me révèle qu’il n’y a pas d’art Web, de Net Art ou d’œuvre hypermédiatique. Il faut donc y aller avec des singularités : l’œuvre Inanimate Alice de Chris Joseph et Kate Pullinger, par exemple et parce que j'y expérimente un effet de présence, me révèle son absence d’origine catégorielle. Elle pointe vers un réel simulé. Ce sont de telles œuvres qui indiquent qu'il est complètement absurde d’inscrire, avec des caractéristiques spécifiques, une œuvre dans un courant donné (art Web) et de créer son histoire à partir de cette origine spécifique. Cette origine spécifique qui répond au principe de réalité appartient à ce que j’appelle une histoire simulée. Il y a l’histoire simulée (qui rend l'enseignement de l'histoire de l'art possible, mais dont j’essaie de me débarrasser) et l’histoire de l’effet de présence, un accroc dans l’histoire simulée, la présence sans prétendre au principe de réalité! Il y a encore tant à faire, ou plutôt, à défaire...
À suivre…dans ma thèse ou ailleurs ;)

Références :
Barthes, R. (1968). "L'effet de réel." Persée 11(1)
Baudrillard, J. (1981). Simulacres et simulation. Paris, Galilée.
Husserl, E. (2002). Phantasia, conscience d'image, souvenir : de la phénoménologie des présentifications intuitives Textes posthumes (1898-1925). Paris, Jérôme Millon.
Marin, Louis (1994). De la représentation. Paris, Seuil.
L'ancien, Pline (1947). Histoire naturelle, Livre XXXV. Paris, Les Belles Lettres.


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