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Les deux ponts « à coquille » de Lourmarin et de Bonnieux (84)

Par Jean-Michel Mathonière

C'est une sérendipité qui m'a conduit aux ponts « à coquilles » de Lourmarin et de Bonnieux dans le Luberon (Vaucluse)… En analysant les statistiques de fréquentation du blog et du site, j'ai en effet remarqué une visite provenant du site d'un club photo du Jura dénommé Les yeux de la Vouivre. C'était une provenance quelque peu inhabituelle (ce n'est pas que les autres sites compagnonniques brillent par le nombre de liens pointant vers le mien, à commencer par celui d'un Pays qui m'emprunte des textes sans me le dire…) et l'évocation de « la Vouivre » me parla d'autant plus que tel est le nom d'une librairie et maison d'édition parisienne où j'ai autrefois sévi.

La raison de ce lien était les questions soulevées par une photographie, celle d'un charmant pont ancien franchissant la rivière de l'Aiguebrun, affluent de la Durance, dans la combe de Lourmarin qui sépare les massifs du petit et du grand Luberon.

Les deux ponts « à coquille » de Lourmarin et de Bonnieux (84)
© Photographie Jacques Mesnier, D.R.

Suite:

Sans aucun doute, cette magnifique « coquille » était totalement inattendue sur un tel pont et le photographe, Monsieur Jacques Mesnier, avait donc fait renvoi à ce blog pour ce qui est de la stéréotomie et des coquilles de Barbentane et Montpellier.

Non seulement cette coquille était intéressante, mais qui plus est, elle avait été située par M. Mesnier sur le territoire de la commune de Lourmarin (nous verrons plus loin que ce n'est pas tout à fait exact), un joli village provençal (devenu hélas trop touristique) que je connais un peu par le biais du monde compagnonnique : c'est de là qu'est originaire mon ami Roger Reynaud, Provençal La Bonne Enclume, Compagnon ferronnier des Devoirs Unis (nous reparlerons de lui un de ces jours ;)), et, les deux faits sont liés, Lourmarin a possédé durant quelques années une Cayenne (un siège) de l'Union Compagnonnique, siège aujourd'hui transféré à Vernègues (13).

Mais je ne connaissais même pas l'existence de ce pont à coquille…

Je suis tout d'abord entré en contact avec Jacques Mesnier pour lui demander l'autorisation de reproduire ici ses photographies du pont (ci-dessous, le pont vu depuis le chemin de terre : les pierres sur la gauche sont les sommets des voussoirs de la coquille).

Les deux ponts « à coquille » de Lourmarin et de Bonnieux (84)
© Photographie Jacques Mesnier, D.R.

Non seulement, il m'accorda gracieusement cette autorisation, mais il me signala l'existence d'un second pont à coquille encore plus proche de Lourmarin, et m'envoya des extraits de cartes géographiques pour mieux les situer. Je reproduis l'un d'eux ci-dessous. Le pont qu'il avait photographié est celui situé au nord, sur l'ancienne route de Marseille à Apt devenue chemin de terre (l'actuelle D943 passant plus haut par rapport au lit de l'Aiguebrun), peu après la bifurcation avec la D36 qui mène à Bonnieux.

Les deux ponts « à coquille » de Lourmarin et de Bonnieux (84)

Je me mis aussitôt en quête d'informations sur l'un et l'autre de ces ponts.

Un premier tour sur Google me révéla l'existence d'une autre photographie du même pont sur la page consacrée dans Wikipedia à la rivière l'Aiguebrun (ou Aigue-Brun), photographie gentiment mise à libre disposition par son auteur, M. Disdero. Les conditions d'éclairage permettent d'un peu mieux distinguer les détails de l'appareillage :

Les deux ponts « à coquille » de Lourmarin et de Bonnieux (84)
Les deux ponts « à coquille » de Lourmarin et de Bonnieux (84)
© Photographie M. Disdero, D.R.

Poursuivant ma quête, je croisais ensuite des photographies de l'autre pont sur le site www.guide-luberon.com. Un simple échange de mails avec son webmaster et photographe, Julien Moirenc, me permit gracieusement l'utilisation de ces photos.

Les deux ponts « à coquille » de Lourmarin et de Bonnieux (84)
Les deux ponts « à coquille » de Lourmarin et de Bonnieux (84)
© Photographies Julien Moirenc, D.R.

On constate immédiatement que ces deux coquilles sont identiques, la seule différence, en dehors du trompillon de la seconde qui est brisé, étant leur positionnement vis-à-vis de l'arche du pont.

En poursuivant ma quête d'informations, principalement via internet, je découvris que ces deux ponts à coquille étaient inscrits sur la liste des Monuments historiques (par arrêté du 6 juin 1988), l'un sur la commune de Lourmarin (le second pont, celui au trompillon cassé), l'autre étant en réalité situé sur la commune de Bonnieux (qui possède par ailleurs un autre pont remarquable, classé MH celui-ci, le pont Julien).

La notice d'inventaire disponible sur la base Mérimée du Ministère de la Culture et de la Communication précise des choses très intéressantes à propos de celui de Lourmarin :

« Pont de la Meirette : pont construit en 1606 aux frais de la communauté de Lourmarin, en remplacement d'un ouvrage plus ancien qui permettait à l'ancien chemin de Bonnieux de franchir la rivière à l'entrée de la combe ; la route actuelle R.N.543 ayant, au 20e siècle, été déviée sur l'autre rive, le pont a été conservé pour servir d'accès aux quartiers ruraux d'outre-Aiguebrun ; inscription partiellement lisible sur l'élévation nord, sur laquelle semblent figurer la date d'achèvement, 30 novembre 1606, et les noms des maçons : Laurent Mombrion, Jean Guichard, Claude Roland, Sauveur Leomond. »

La notice sur celui de Bonnieux n'apporte guère d'informations. Mais on peut aisément supposer que si sa base date du XIIe-XIIIe siècle, sa coquille, elle, ne date que du début du XVIIe et aura été réalisée par les mêmes maçons/tailleurs de pierre. La similitude d'appareillage et de forme, ainsi que la proximité des deux ouvrages, ne laisse pratiquement aucun doute. Il serait intéressant de vérifier sur place s'il ne subsiste pas les traces d'une inscription semblable à celle du pont de la Meirette (ou Mairette).

Des morceaux de stéréotomie inhabituels

Reste à expliquer la raison de ces morceaux de stéréotomie inhabituels… En effet, il ne semble pas à première vue que de telles coquilles soit vraiment utiles. Le soutènement des terres formant culée aurait, je pense, tout aussi bien pu être réalisé par un mur de moellons formant un arrondi pour épouser la courbe de raccordement de la route au tablier du pont. La seule explication qui me vient à l'esprit, et qui justifierait par ailleurs le fait que seul un côté de chacun de ces ponts soit pourvu d'une trompe, c'est qu'au cours de ses crues, l'Aiguebrun soit plus particulièrement venu saper tel ou tel côté des berges et que, en conséquence, on aurait renforcé la résistance des murs de soutènement par l'emploi de cet appareillage singulier.

Mais nos spécialistes es-stéréotomie auront probablement bien des commentaires à nous écrire au sujet de ces trompes. ;)

Une anecdocte
Mon ami Roger Reynaud, interrogé au sujet des ces ponts, m'a rapporté que son père nommait le premier, en quittant Lourmarin en direction d'Apt, « pont de la peste » et lui expliquait qu'autrefois, c'était là qu'on arrêtait en temps de peste les étrangers. Le fait semble effectivement plausible et renvoie probablement à la peste de 1720 durant laquelle il avait été édifié dans la région un véritable « mur de la peste ».

Bonnieux, commune de naissance du fondateur de l'Union Compagnonnique, Lucien Blanc
Toujours pour l'anecdocte, soulignons que Bonnieux est semble-t-il la vraie commune de naissance du fondateur, en 1889, de l'Union Compagnonnique, le Compagnon bourrelier harnacheur Lucien Blanc (1823-1909). Dans la plupart des notices qui lui sont consacrées, il est indiqué comme lieu de naissance Ménerbes, non loin de là il est vrai, mais le livre de Réception des Compagnons bourreliers harnacheurs du Devoir indique bien, à la date du 1er décembre 1845, que Lucien Blanc, nouveau reçu sous le nom de « Provençal le Résolu », est natif de Bonnieux (source : plaquette réalisée par l'Union Compagnonnique de Lyon à l'occasion du centenaire du décès de Lucien Blanc, page 20).

Et maintenant, place à vos commentaires ! Les informations complémentaires seront les bienvenues.

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Des photographies anciennes (vers 1900-1910) conservées par les Archives municipales de Marseille offrent quelques vues générales du pont de la Meirette :

Photo 1 : Berger avec ses moutons traversant le pont de Lourmarin. Ce n'est pas le côté avec la coquille que l'on voit, mais celui avec un arc.

Photo 2 : vue d'ensemble du pont avec ses murs de soutènement. On ne voit pas la coquille.

Photo 3 : autre vue d'ensemble du pont et de l'ancienne route. Trop loin pour voir la coquille.


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LES COMMENTAIRES (1)

Par pierredetaille
posté le 30 octobre à 08:35
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Quels magnifiques ouvrages de stéréotomie ! Et aussi, quel beau travail de recherche et de documentation. Comme d'habitude... Vraiment, votre blog est un "chef-d'œuvre" ! On souhaiterait simplement que les Compagnons soient plus nombreux à venir commenter les articles et aussi à témoigner leur attachement à tout ce travail de préservation et de mise en valeur de leur patrimoine.

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