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Le nihil comme idéologie

Publié le 28 octobre 2009 par Tudry

I. Ce qui, en Russie, porta, à l'origine, le nom de nihilisme fut un courant de pensée profondément matérialiste. En ce sens, le nom convient bien à cette pensée car la matière a sa source dans le « nihil ». Dieu, « in principio » (en arkei) créa « ex nihilo ». Il appela, du néant, à l'existence ce qui n'existait pas. Du néant Dieu tira l'existence.

En elle-même, la matière est négative, non pas moralement, ni même « métaphysiquement » mais quasi magnétiquement, elle est « en creux » et ne tire son « positif » que de l'appel divin.

Le nihiliste s'oppose au gnostique-manichéen en ce que le premier ne croit qu'en la matière qu'il positive, la posant comme radicalement athéiste, séparée de Dieu, il n'oppose pas, lui, la matière et l'esprit ainsi l'homme issue de la nature limitée à la matière couronne la nature.

II. Enthousiaste et « positive » en sa genèse cette pensée se heurte pourtant à son « néant », précisément – et non, comme elle le croit au néant négatif de l'existence. Pourquoi ?

Si l'homme, par volonté et intelligence sort du bois obscur de la nature et de l'animalité pour se ruer vers la civilisation, vers un meilleur toujours possible, toujours à conquérir ? Dans quel but le fait-il, que vise-t-il ? Une vie éternelle mais selon la « nature » ? Une vie éternelle et repue sur cette terre ?

Là s'ouvre l'abime béant, là les voies : désespoir ou totalitarisme ... (tout le reste est pis-aller ou mascarade) !

III. La matière tirée du néant veut s'y résorber ! « veut », non, pas tout à fait, elle obéit à une loi d'attraction inverse. L'adage populaire dit : « la nature a horreur du vide ». Cela fait sens, oui, elle se souvient, la nature de sa « nature », de son « essence » : le vide. La nature sait, elle, qu'elle n'a pas son être par elle-même. Elle est, celle qui est à naître, en constante parturition d'elle-même, elle « tire » son être d'un autre. Alors, « pourquoi l'être plutôt que rien » ? Mais par amour ! C'est l'agapè, l'amour débordant de Dieu qui comble le vide pour offrir l'être, pour offrir la possibilité d'une relation d'amour. La Création est la première kenose divine !

IV. L'homme lui, a reçu l'être, le pôle positif, il n'est pas seulement « existant », ni-même « étant » (bien que n'ayant pas, d'évidence, son être de lui-même).

Si il est seulement l'animal supérieur, sorti, par une volonté et une intelligence constituées uniquement par matière et nature alors ses inventions, ses avancées, ses projets, sont en vain, son voyage n'a pas de but et, malgré les artefacts de plus en plus subtils de ses civilisations il n'est nullement sorti de son animalité, ou plutôt si, il en est sorti mais par le bas ... une brute imbue de raffinements technologiques !

V. L'absurde de la vie, le vide absurde ? Les trous que l'homme a creusé dans l'amour divin, les trous qu'il tente de combler par des passions, des idéologies, des philosophies qui toujours finissent par s'avérer creuses, vides ... A force de trous il ne reste en nous que des forces magnétiques obscures, des courants psycho-physiques qui s'auto-alimentent, s'auto-éliminent jusqu'à la fin. Alors, rien n'est fait, tout reste vide, toujours. L'homme moderne est une taupe-métaphysique, il creuse autant de galeries qu'il le peut pour aller à « rien », pour le conduire vers ce « nul part » qui est l'horizon bouché qu'il s'est fixé lui-même et qu'il barbouille, en temps de déprime sévère, du fard grossier des « lendemains qui chantent » en mode politique, idéologique ou religieux. Déjà les saints Pères de l'Église comparaient les innovations religieuses de la philosophie au creusement de galeries de mine.

« Les êtres sont « éloignés de Dieu, non par le lieu, mais par la nature ». Cette distance «naturelle» entre les êtres et l'essence divine est infinie et indéfinissable. C'est un abîme vertigineux sur lequel aucune conception métaphysique ne peut jeter un pont. Ce vide de l'inexistence, à partir duquel les êtres sont appelés à l'être, c'est le néant de l'apophatisme théologique, indéfinissable et inconcevable à un degré infini, car l'esprit humain ne peut se mouvoir que dans les catégories de l'être. Etre et en même temps ne pas être, c'est une insondable et incompréhensible contradiction, puisque rien n'existe en dehors de Dieu, et cependant Dieu « appelle » à l'existence des êtres qui sont en dehors de sa nature. En ce sens, l'existence du monde et de l'homme émerge du chaos de l'inexistence, du néant : les êtres existent, non comme essences ou comme existences, mais seulement comme vérité (a-lètheia), ils ex-istent, et leur existence implique la distance, l' « en-dehors » de l'existence divine. « La vérité est êtres » disent les écrits aréopagitiques, « et déchoir de la vérité, c'est déchoir de l'être. »

Christos Yannaras

VI. Le nihilisme n'est pas la reconnaissance ou l'exaltation « libératrice » du néant; c'est la peur et la lâcheté de reconnaître le néant qu'est Dieu (to ouden, ce que certains parmi les plus audacieux de Pères affirmaient volontiers sous ce terme précis). Néant en tant qu'il n'en rien entre lui et ce monde, en tant qu'il est impossible de la connaître par l'intellect rationnel seul, par la « raison » souillée par le péché et les passions, par la raison non conformée au divin Logos.

« Il faut comprendre ainsi que Dieu n'est rien : Il n'est rien de ce que sont les êtres. En effet, la cause des êtres est au-dessus des êtres. Dieu est donc partout et nulle part. Puisqu'Il n'est nulle part, tout est par Lui, et tout est par Lui, qui n'est rien de ce que sont tous les êtres. Tout est en Lui, parce qu'Il est partout. Et tout est par Lui, car Il n'est nulle part. Etant partout, Il emplit tout ... mais Il n'est nulle part ... S'il n'était que partout, Il serait tout et en tout dans l'espace. Il faut donc aussi qu'Il ne soit rien, étant au-dessus des êtres. »

saint Maxime le Confesseur


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