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Misha Aster, Sous la baguette du Reich, Héloïse d'Ormesson

Publié le 30 octobre 2009 par Irigoyen
Misha Aster, Sous la baguette du Reich, Héloïse d'Ormesson

Misha Aster, Sous la baguette du Reich, Héloïse d'Ormesson

Véritable institution outre-Rhin, l’orchestre philharmonique de Berlin a traversé, depuis sa fondation en 1882, les moments les plus tragiques de l’histoire allemande. L’ouvrage de Misha Aster, paru il y a deux ans dans sa version originale, revient sur son fonctionnement interne sous le Troisième Reich. Il montre, nouveaux documents d’archives à l’appui, que le régime nazi et la formation musicale, alors dirigée par Wilhelm Furtwängler, se sont, pendant quelque temps, servis l’un de l’autre.

Pour comprendre la thèse de l’auteur, il faut revenir aux débuts du philharmonique. Misha Aster rappelle que l’orchestre fut d’abord « une association indépendante autogérée dont chaque musicien possédait une part, une sorte de coopérative musicale en somme ». Ce statut disparaîtra par la suite mais ce sont surtout la première guerre mondiale et la crise de 1929 qui vont porter les premiers coups en affectant très durement la trésorerie de l’orchestre qui se retrouve alors contraint de chercher des financements au niveau fédéral. Durant la République de Weimar, de 1919 à 1933, le philharmonique de Berlin tente, par tous les moyens, de renflouer ses caisses, en conservant son autonomie de décision.

L’arrivée d’Adolf Hitler au pouvoir change la donne. Le Reich de « mille ans » voit très vite le rôle d’ambassadeur culturel que peut jouer l’équipe de Furtwängler. L’orchestre est alors placé sous l’administration du ministère de la propagande dirigé par Goebbels. Il voit sa subvention augmenter. Mais tout cela a un prix. Le philharmonique est contraint d’abandonner son statut de SARL. Il devient Reichsorchester, monopole d’Etat. Faut-il en conclure que l’orchestre épouse les thèses nazies dans leur ensemble ? Dans ce livre, Misha Aster ne tranche pas. Il montre davantage les tentatives d’un Furtwängler pour maintenir coûte que coûte un semblant d’autonomie artistique. Ce qui sera le cas puisque les musiciens étaient par exemple unabkömmlich, non disponibles pour les obligations militaires.

Selon l’auteur, Furtwängler réussit à protéger ses collègues juifs dont sa secrétaire Berta Geissman ou encore Szymon Goldberg, alors premier violon. Mais ce très mince pouvoir se réduira encore avec la nomination d’un commissaire nazi auprès du Philharmonique, Von Schmidtseck. Furtwängler démissionnera pendant quelques mois, en raison d’un conflit musical avec l’intendant de l’orchestre, Hans von Benda, l’homme qui, plus tard, engagera Herbert von Karajan, pour lequel Furtwängler avait une profonde antipathie et qui fut, lui, un membre du parti national-socialiste.

Ce livre passionnant et extrêmement détaillé permet au lecteur d’assister à une très lente et progressive mise au pas de la culture à des fins politiques. Dans son travail, Misha Aster décortique avec minutie l’instrumentalisation d’hommes dont on pourra se demander si les tentatives pour maintenir « l’éminence incomparable de la musique allemande » n’étaient pas, de toute façon, totalement illusoires.


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