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La ressource du bois, source de conflits en Baltique (part 2)

Publié le 30 octobre 2009 par Infoguerre

La stratégie de la Russie est dangereuse car sa filière bois n’a pas uniquement des intérêts en mer Baltique, mais également en Chine. Tout relèvement des tarifs devrait en théorie s’appliquer aux firmes chinoises qui transforment le bois Russe. Notons également que les Japonais ont des intérêts dans la filière bois finlandaise et que les Américains, autres géants forestiers et qui disposent de la compagnie International Paper, surveillent forcément de près l’évolution de Stora Enso, le numéro 2 finno-suédois du secteur. La Russie semble jouer indubitablement la carte de l’accroissement de puissance vis-à-vis des pays scandinaves. Ses ambitions industrielles, notamment dans le processus d’intégration verticale de la filière bois, ne sont pas négligeables. Mais la crise économique qui frappe l’économie n’épargne pas la Russie et les investissements lourds qui devaient être réalisés sont remis à une date ultérieure. La Russie n’a donc aucune chance de pouvoir traiter l’ensemble de sa production sylvicole : elle est donc contrainte d’exporter sa ressource naturelle pour ne pas perdre de marchés, d’autant plus que les finlandais et les suédois menacent de se tourner vers d’autres fournisseurs, voire d’intensifier leur production propre. En mars 2008, il est toujours question d’implémenter cette hausse de taxe au 1er janvier 2009, au grand dam des Européens qui sont contraints à adopter une position forte pour défendre les pays scandinaves.

Les développements de la crise économique apportent cependant un éclairage déterminant sur les ambitions et possibilités réelles de la Russie dans ce secteur en termes de stratégie de puissance. Si la Russie recherche l’accroissement de puissance vis-à-vis de l’UE et plus spécifiquement de la Suède et de la Finlande, elle sait se tenir à l’écart de l’affrontement pour parvenir à ses fins. Ainsi le projet de relèvement des taxes est reporté en novembre 2008 de 9 à 12 mois. La stratégie médiatique de la Russie consiste à reconnaître les conséquences sociales négatives d’une telle décision pour la Finlande afin de mettre en valeur les concessions qu’elle accorde. Le jeu de la Russie est serré car comme le faisait remarquer le responsable à l’import de Stora Enso, Kauko Parviainen, les taxes ne pourraient pas être augmentées de manière si rapide parce que cela reviendrait pour la Russie à détruire sa propre industrie forestière, en mettant au chômage de nombreux bûcherons. Le cas du bouleau est symptomatique du problème : la Finlande ne peut en aucun cas faire marcher ses usines de pulpe de bois sans le bouleau russe et les Russes ne disposent quasiment d’aucune usine de traitement. D’après certains analystes, les signes tous récents sont une marque supplémentaire du décalage entre la stratégie d’accroissement puissance de la Russie et ce qu’elle réalise dans les faits.

Le délai évoqué par Poutine étant arrivé à son terme, la Russie a dû faire connaître sa décision pour les années à venir. Or l’impression qui domine est celle du renoncement. Début septembre, il est déjà question, d’après des sources gouvernementales, de reporter la hausse des taxes à 2011. Mais l’impréparation chronique de l’industrie forestière russe qui ne peut pas compter sur des investissements stables a conduit la ministre russe du développement économique, Elvira Nabiullina, à reconnaître fin septembre que les autorités russes pourraient éventuellement baisser les taxes à l’importation afin de faire repartir les exportations de bois. Le problème de la Russie réside dans le fait qu’elle n’a en réalité pas de marché captif ni de rente de situation. Comme le fait remarquer un bureau d’experts russes du secteur forestier, les importateurs traditionnels que sont la Chine, la Finlande et le Japon (qui représentent à eux trois 80% des exportations russes), se sont tournés vers d’autres fournisseurs à cause des turpitudes russes sur le sujet.

Le bilan de la guerre du bois en mer Baltique et de ses enjeux de puissance peut donc sembler paradoxal ou plutôt, il est révélateur du fait que les facteurs de la puissance dépendent réellement de l’approche de ses ressources. Nous pourrions nous attendre à ce que la Russie, qui dispose de forêts immenses à exploiter, puisse se servir de sa ressource naturelle comme arme économique vis-à-vis des pays scandinaves et par extension de l’UE. Or le caractère défaillant de son industrie, accentué par les luttes internes entre oligarques du bois ainsi qu’une incapacité chronique à contrôler le trafic illégal du bois, empêche la Russie d’avoir un vrai potentiel de négociation, de pression. La Russie est dépendante de ces voisins : en 1997, 40% de ses exportations ont transité par des ports régionaux. A défaut, elle fait montre d’un pouvoir de nuisance. Mais nuire, ce n’est pas être puissant. Les suédois et les finlandais l’ont bien compris dans leurs manœuvres de manipulation de l’UE : mieux vaut installer insidieusement ses positions à travers une stratégie de communication habile que d’effrayer ses partenaires potentiels. Le secteur forestier est un enjeu stratégique pour la Russie, mais reste un atout largement inexploité. La Finlande et la Suède, pour leur industrie papetière ou encore pour des multinationales comme Ikéa, dépendent fortement des importations de bois. Elles ne peuvent donc pas adopter une stricte posture d’accroissement de puissance mais elles peuvent aisément, grâce à l’intégration verticale et la haute compétitivité de leurs entreprises publiques ou privées à investisseurs institutionnelles, jouer la carte de la préservation de leur puissance.

L’actualité donne une profondeur supplémentaire à ces considérations stratégiques : le problème du transport des produits de la filière bois a été mis en lumière par l’épisode du cargo Artic Sea (cf. Lepoint.fr, Huit suspects arrêtés dans l’affaire de l’Artic Sea, 18 août 2009). Il est acquis que la cargaison ne comportait pas que du bois et nous ne devons pas nous étonner que la marine de guerre russe soit partie à la poursuite de ce bateau. L’affaire met en valeur le rôle de la Baltique comme plaque tournante et montre l’importance du bois dans les exportations finlandaises. Un autre fait d’actualité est la présidence suédoise de l’UE et les discussions qui ont eu lieu à Stockholm sur l’avenir de la Baltique les 5 et 6 octobre.  La région baltique est agitée par de multiples débats au sein desquels la filière bois représente un enjeu-clé. Il faut donc surveiller les prochains mouvements de la Russie dans ce domaine et guetter les opportunités stratégiques avant que la crise ne soit finie et que la Russie puisse reprendre son accroissement de puissance. 

Matthieu Abgrall 
 

Bibliographie

J. Lamberg, The Evolution of Competitive Strategies in Global Forestry Industries, Springer, Helsinki, 2007.

N. Blanc-Noël, La Baltique une nouvelle région en Europe ?, Paris, 2002.

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