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Guerre amère

Publié le 01 novembre 2009 par Vance @Great_Wenceslas

Dans le cadre d’un défi d’écriture lancé par Abeilles50 sur le thème des « Combats », j’ai accepté la proposition d’un membre ami de la Ruche, Satine, de créer un texte en commun. L’opportunité d’écrire a tôt fait de me persuader, même si j’ai préféré garder la prose par confort. La rédaction de ce petit récit a été relativement rapide : Satine m’a lancé l’idée de base, j’ai produit une nouvelle assez courte qu’elle a ensuite complétée par trois strophes. Le tout en moins de deux heures.

Finalement, comme souvent, le plus difficile est d’avoir un lancement. Cela me fait penser à une citation que j’ai entendue il y a peu de temps à la radio, qui disait à peu près ceci (si quelqu’un reconnaît l’auteur de ces lignes, qu’il me le fasse savoir afin que je rectifie dûment) :

Un mauvais auteur est celui qui sait exactement comment il va finir.

Lorsque je commence, je n’ai jamais de vision précise de la fin, de la conclusion : les personnages, lorsqu’ils s’éveillent, acquièrent une liberté propre. C’est souvent stimulant, parfois frustrant : on en vient à se demander quelle est la part de création. Ce n’est pas pour autant que je me considère comme un auteur. Je préfère le terme plus approprié de « jongleur de mots », comme dans ces phrases de Janine Boissard :

Un écrivain peut finir par devenir un jongleur de mots plus ou moins adroit. Il peut en arriver à oublier l’essentiel : cette source qui coule au fond de nous et qui est le véritable lieu de rencontre des êtres

Je vous souhaite une bonne lecture – n’hésitez pas à commenter, ne serait-ce que pour que je m’améliore.

Un texte de Satine & Vance

Au-delà de l’horizon, la mer.

Une étendue infinie d’eau. Majestueuse. Implacable. Sereine.

Il pouvait la deviner, la sentir derrière les dunes – comme on devine la présence d’un hôte aux subtiles fragrances de son parfum (sa mère sentait parfois la cannelle, une essence légèrement sucrée qu’il ne pouvait oublier malgré les années de guerre qui le séparaient de sa petite enfance et du tendre giron assassiné), comme on détecte un intrus aux miasmes de sa transpiration affolée. La guerre avait fait de lui un prédateur, affinant ses sens, affûtant ses muscles, libérant son esprit des futiles préoccupations du quotidien : il pouvait humer la peur chez l’ennemi, s’en repaître et s’en servir. Le contre-attaquer avant même qu’il ait compris le piège. Fort de sa certitude : les étrangers ne passeraient pas. Ne gagneraient pas. Car ils foulaient à présent la terre de ses ancêtres et cette injustice devait se payer au prix fort. Lui, légitime fils des premiers êtres à avoir labouré et semé les graines de la nation, saurait se montrer digne de leur confiance.

Je ne me souviens pas de mon enfance, en ai-je seulement eu une.

Je me remémore mon adolescence barricadée par d’immenses dunes.

Je suis passée du lait nourrissant de ma mère au sang rougissant,

Du calme extrême de la misère bercée par l’ennui aux cris terrifiants.

Je ne m’amuse plus aux osselets, j’expédie des squelettes putrides

Je ne joue plus au gendarme ou au voleur, je suis Billy the Kid.

Pourtant, il hésita.

Sa main aux ongles noirs tenait toujours au-dessus de sa tête le fragile voile sombre qui formait un bien médiocre rideau. L’aube était proche, le ciel se parait déjà des feux de l’aurore naissante.

Il était prêt.

Comme il l’avait toujours été. On l’accusait souvent, lui et ses pairs, de fanatisme exacerbé : il y avait longtemps qu’ils avaient dépassé ce stade. Pas de calcul, autre que celui d’une tactique sommaire lorsqu’il s’agissait d’affronter une escouade un peu moins timorée. Pas de sentiment en dehors d’une haine tenace envers l’envahisseur, son drapeau honni et les belles paroles de ses discours devant l’ONU. Pas de remords face aux vies qu’il fauchait avec méthode, au nom des siens et d’un dieu qu’il n’entendait pas.

La mer, en revanche, était perceptible : elle l’appelait, lui tendait ses bras d’écume apaisante, lui suggérant subrepticement de cesser ses opérations et de venir trouver le repos au creux de ses marées cathartiques.

Il aurait voulu ne plus l’entendre. Ne plus la sentir.

Ses doigts se crispèrent un instant sur la crosse de l’arme, le bois au vernis usé par près d’une décennie de conflit. Se raffermirent et guidèrent son âme vers l’objectif. Il ferma les yeux, se remémora les détails du plan, l’itinéraire du convoi, les horaires à respecter. Il était presque temps.

Utile, voilà ce que j’étais enfin, un soldat, un libérateur.

Fini le temps sans fin où je comptais par solitude les heures.

J’avais une mission à accomplir,

J’étais le héros qui sauverait l’empire,

On avait confiance en moi, je n’étais plus une ombre invisible ;

On m’avait donné la foi de relever un défi même impossible.

Encore une minute, deux tout au plus. A goûter à la tiédeur d’un foyer pourtant misérable d’aspect, au réconfort de la présence d’une sœur au regard d’ange pelotonnée sur un pauvre matelas troué, de deux chats squelettiques qui savaient qu’il n’était guère opportun de proférer le moindre miaulement avant le lever du soleil.

Elle dormait. Souriante.

Hier soir, elle avait eu du chocolat.

Qu’il avait prélevé sur un cadavre déchiqueté par une mine. La tablette était intacte. Et délicieuse.

Il laissa retomber le rideau de toile sombre. L’aube venait. La mer attendrait. Un jour de plus, un mois, peut-être deux. Il savait qu’il ne verrait pas grandir sa sœur mais de nombreux étrangers périraient avant qu’il ne succombe.

Qu’importe si j’y laisse ma vie, j’aurai servi ma patrie,

J’aurai sauvé ma famille d’une famine sans merci.

Les balles fusent, leur chant est signe d’espoir,

Les fusils hurlent au nom d’un territoire.

On m’a dit que c’était le mien et que je devais le défendre,

Je m’exécute au profit de ce rien, mon âme est à prendre.

La guerre est aujourd’hui ma seule amie, elle nous fait vivre,

Sans elle, je ne serais qu’une agonie se battant pour survivre.

Là au moins j’existe, on me nourrit d’idéaux et d’histoires.

Je suis toutes les pistes, on gardera mon nom en mémoire.

Je ne serais plus cet enfant mort de faim parmi des milliers

Mais celui qui réalise le dessein exigé par des soldats nés.

Alors je tue, j’assassine des inconnus profanateurs, envahisseurs,

Oui, je fus un pion d’échiquier manipulateur et affabulateur.

J’ai fusillé ces âmes errantes pour vaincre quelques jours encore,

J’ai donné mon âme aux diables pour repousser le glas de ma mort.

Quoi que je fasse, elle se colle à moi, je sens son odeur immonde

Elle m’enlace, m’étrangle et ne me lâche pas, mais quel est ce monde ?

Il donnerait son corps d’adolescent désabusé à sa patrie. Son esprit en lambeaux errait encore et s’accrochait avec peine aux murs blancs de cette maison naguère joyeuse, s’effilochant chaque heure davantage pour se perdre à jamais dans le ventre soyeux des vagues maternelles.


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