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SQUATS, MUSIQUE, CONTRE-CULTURE::: Circulez, y'a (plus) rien à voir

Publié le 01 novembre 2009 par Gonzai

Paris n'est que le théâtre d'une pièce qui semble se réécrire perpétuellement. Agiter le spectre de la culture menacée tient à peu près autant de l'originalité que se plaindre du retour fracassant du froid chaque année à la même époque. Des voisins ont toujours fait chier pour le bruit, des gouvernements ont souvent légiféré sur des normes et des initiatives ont rompu, faute de cash ou d'acharnement politique. Partant de ce constat, est-il vraiment honnête de jouer les saintes nitouches paniquées par la disparition des « lieux culturels » au crépuscule de la première décennie d'un millénaire pour l'instant dans la droite lignée du précédent?

Décider de se pencher sur la santé des lieux proposant une alternative culturelle crédible dans ce bon vieux Paname équivaut à fourrer sa ganache dans une vieille boite poussiéreuse renfermant un sacré paquet d'emmerdements. Le problème majeur est inhérent à l'utilisation même des thèmes relatifs au sujet.  La notion de « culture » elle-même, l'« alternatif » qu'on oppose naturellement à l' « institutionnel » voire même le terme de « lieux »... les puristes ayant tendance à tout simplement déconsidérer sévèrement les endroits tenus par l'impératif économique. En fait, cette question est absolument intenable. Il suffit de la foutre sur la table pour que même les moins loquaces se lancent dans des diatribes interminables, elles-mêmes bien souvent couvertes par les cris de ceux qui ont toujours un avis sur tout. On serait presque tenté de faire péter une bombe H dans tout ce bordel, histoire de foutre tout le monde d'accord.

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Afin de s'épargner un bon mal de crâne et quelques discussions théologiques stériles, on devrait se contenter de parler de lieux indépendants à vocation artistique, un terme vague et bateau dans lequel chacun pourra fourrer son idéal subjectif.
Le problème de qualification même des ces lieux, n'est pourtant qu'anecdotique face à l'avalanche de facteurs contraignants avec lesquels les individus pleins d'initiative doivent composer. Le problème majeur, celui qui est perpétuellement brandi à l'heure de signer l'acte de mort d'une salle, d'un squat ou même d'un bar à concerts sans prétention, est celui des normes et de la sécurité. Les deux grands ennemis de ces endroits à vocation culturelle restent, dans l'immense majorité des cas, la préfecture et le riverain.

Le riverain s'attache à des motivations facilement compréhensibles, à savoir que le bruit environnant - principalement celui des fumeurs déportés dans la rue et accessoirement les sonorités distordues des guitares s'enfilant dans quelques failles architecturales - l'emmerde alors qu'il aimerait être peinard chez lui. Une fois son seuil de tolérance dépassé, il recourt alors au joker spécial, l'appel à un ami. Les flics débarquent, minent l'ambiance et verbalisent. A répétition. Je n'ai pas la prétention de vous apprendre quoi que ce soit ici. La préfecture, elle, incarne l'esprit de la loi. Son leitmotiv est d'une simplicité à toute épreuve : « la mise aux normes ». Ces putains de normes qui siéent si bien à notre société d'assistés. Les tenanciers et autre wannabe se retrouvent alors face à deux possibilités: respecter la loi ou plonger dans la clandestinité. Respecter la loi n'est évidemment pas chose aisée. Cela implique souvent des mises aux normes absolument coûteuses, avec le risque permanent de la voir évoluer subitement et devoir tout recommencer. Et puis, ne nous leurrons pas. Xavier Simon, patron de la Mécanique Ondulatoire, une petite salle de concerts et d'expositions dans le XIe arrondissement, avait parfaitement résumé l'affaire, en tirant la sonnette d'alarme via un communiqué en septembre soulignant le risque de voir disparaître les salles alternatives comme la sienne.

Il existe trois types de normes pour entrer en conformité, les normes N, L et P.

La N ne permet pas de faire plus de six concerts par an. La L permet de faire des concerts sous condition, mais interdit formellement de danser à l'intérieur. C'est par exemple celle de la Mécanique, de l'Olympia ou du Bataclan. La P enfin permet de danser entre consommateurs, c'est celle qui caractérise les Social Club et autres Showcase. Vous ne le saviez donc sans doute pas, mais il est parfaitement interdit de se dandiner pendant un concert dans la majorité des salles que vous fréquentez. Les quarante-huit fans de Ska-P n'ont donc plus qu'à se prendre. Quitte à souligner, toute l'ineptie de la chose, un DJ, théoriquement considéré comme un artiste et non un membre du personnel technique, n'aurait normalement le droit de se produire que dans des lieux de type L. Ce qui est emmerdant pour lui, les gens n'ayant pas le droit de danser... Les manquements au respect des normes couplés aux amendes entrainent généralement des fermetures administratives temporaires, qui entrainent logiquement un sérieux manque à gagner, qui empêche lui-même la possibilité d'économiser l'argent pour se mettre aux normes. En 2008, 156 établissements ont subi une fermeture administrative temporaire ou définitive, dont la moitié pour nuisances et tapages. Telle une spirale vicieuse, les fermetures administratives s'enchainent et c'est tout un pan de Paris qui peut crever sans que personne n'en ait vraiment rien à foutre.

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La question économique est également au cœur de la guerre. Ne pas la mettre au centre d'un projet est une démarche identitaire soutenue par tout un tas d'initiatives de lieux artistiques - à commencer par le défunt Cercle Pan!, fermé en juillet dernier - et nombre de squats de la capitale. Pourtant, elle implique implicitement de mener une action clandestine, et parfois occuper des lieux car louer des locaux ou acheter des murs, payer des artistes et respecter les normes techniques et sonores sont autant d'investissements qu'il faut amortir. Le monde s'ouvre alors invariablement en deux. Soit on fout tout aux normes de manière irréprochable, on pense rentabilité et on plonge invariablement dans la logique du whisky coke à dix boules, soit les normes vont se faire enculer, on privilégie l'accès à tous, pauvres ou riches, en ne bâtissant pas le lieu autour de la nécessité de débiter chaque jour des hectolitres d'alcool, mais plutôt en optant pour quelques utopiques valeurs de partage et d'invitation au dépassement de soi, avec le risque évident de jouer au chat et la souris avec la mairie et la préfecture. Quand on sait, que la préfecture considère des lieux pourtant parfaitement légaux, à l'image de la Mécanique Ondulatoire, comme interlopes, on imagine sans mal que la discussion soit quasiment impossible avec ceux qui insufflent une brise culturelle en bravant délibérément les normes.

Inutile par ailleurs de jouer les dupes, les enjeux politiques conditionnent la survie potentielle de ces lieux atypiques.

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Le contexte de la fermeture du Cercle Pan!, est assez révélateur du phénomène latent auquel les autorités politiques et les défricheurs de lieux sont confrontées. Après la découverte du lieu et la constatation par les pouvoirs publics que le lieu squatté, situé rue du Faubourg du Temple, n'était nullement aux normes précédemment exposées, la mairie fit toutefois suspendre l'expulsion temporairement, dans la mesure où il abritait une activité culturelle. Trois années, plusieurs dizaines de concerts et d'expositions plus tard, le Cercle Pan! était pourtant définitivement muré, le lieu n'ayant jamais eu les moyens de respecter les normes drastiques exigées par les pouvoirs publics. Une fermeture qui n'aura malheureusement entrainé aucune proposition de relogement artistique pour les occupants. L'existence de ces lieux dépend en fait complètement de la volonté de la mairie d'une part et de la préfecture de l'autre. Et bien entendu, en tant que représentants de deux bords politiquement opposés, ces deux là s'entendent comme de la merde. Le Théâtre de Verre situé dans le Xe arrondissement entre 2004 et 2007 a ainsi fait les frais de cet affrontement politique. Après plusieurs mois de dialogue avec la mairie, celle-ci avait consenti à délivrer une convention précaire d'occupation et aurait normalement dû participer à la mise aux normes des lieux. Comme toujours, dans ces cas-là - quel que soit l'avis de la Mairie - la Préfecture de Police possède le dernier mot, le motif de la sécurité publique primant sur le reste. Le projet fit ainsi les frais de cette logique et fut expulsé de la rue de l'Echiquier. Si la logique sécuritaire est toujours la première brandie, la tentation de penser que la Préfecture puisse avoir une putain de dent contre toute forme d'activités culturelles non encadrées est grande. Pour autant, inutile de s'enflammer, la mairie de gauche n'a rien non plus du chevalier blanc au chevet des petits organisateurs et autres artistes marginaux. Si elle s'implique énormément dans le bon fonctionnement de nombre de lieux institutionnels (104, Centre Barbara, ancien squat rue de Rivoli...) sa considération pour les lieux non conventionnels est souvent tardive, liée d'une part à l'intérêt des médias et de personnalités artistiques reconnues et écoutées, et d'autre part à l'éternel raisonnement électoral. Qui vivra votera.

Et là, le groupe communiste de la Mairie de Paris commence à sérieusement écouter la complainte émergeant de lieux comme la Mécanique Ondulatoire, sans doute avec l'intime espoir de renouveler une partie de sa base électorale, pour le moins vieillissante.

Face à cette toute-puissance de la mise aux normes, des formes alternatives au fonctionnement des salles de concert, des espaces artistiques ou des squats se développent ces dernières années. Plusieurs acteurs ne souhaitant pas être identifiables pour des raison évidentes, ont ainsi développé des salles privées au cœur de Paris au sein desquelles fresques théâtrales tripées, concerts vidéo-acoustiques et autres performances de danse contemporaine - et parfois le mélange des trois -  se déroulent dans des espaces relativement important, mais toujours avec le souci de confidentialité, dans des conditions toujours à la frontière entre légalité et illégalité. Soutenant que le système économique est incompatible avec une vraie ouverture culturelle et sociale, les organisateurs en question prônent le retour à un phénomène privé qui d'une part permet à leurs yeux de supprimer la contrainte économique et constitue surtout d'autre part un gros pied de nez à cette logique du spectateur qui vient assister à un performance culturelle plus dans le but de conforter et valider ses connaissances et sa petite grille de lecture plutôt que de s'ouvrir véritablement à l'expérimentation cérébrale. Dans ce sens, les éventuelles subventions de la Mairie sont considérées comme une forme de prostitution et de facto largement rejetée autant pour conserver une indépendance artistique totale que risquer de se voir associé à un système très clientéliste qui incite parfois à se faire péter le cul. Histoire de se retrouver en haut du tas de dossiers de demandes.

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Il n'y a aucune raison d'espérer une quelconque forme d'évolution positive pour cette tripotée de groupes et d'artistes en mal d'espace pour laisser éclater leur talent à la face du public parisien.

Dans notre société hyper-sécuritaire, l'application permanente du principe de précaution au nom du bien-être collectif par des autorités publiques qui nous maternent comme des mômes, ne fait pas de bien à la culture. Chaque jour un peu plus, les centres-villes deviennent des vitrines mises à la disposition d'entités commerciales qui ne jurent que par la matrice du profit. Entre le syndrome de la promotion immobilière qui fait trop souvent la loi et les aspirations individualistes se complaisant dans le schéma métro-boulot-repos - qui abhorre de facto le rugissement des instruments de musique et le brouhaha des rues - Paris ne se pose malheureusement que comme le reflet d'un monde qui tend vers l'aseptisation et l'uniformisation. Ne reste alors pour ces villes dortoirs peuplées de magasins de fringues que des lieux institutionnels, lisses et rigides à l'entrée souvent payante où le droit de s'exprimer est avant tout laissé à ceux qui en bénéficient de toute façon déjà. En ce sens, les lieux alternatifs à la culture de masse sont indispensables pour éviter l'aliénation collective. Les individus à l'initiative de la Flèche d'Or, de la Miroiterie ou du Cercle Pan! en savent quelque chose. Comme tant d'autres, ils n'ont malheureusement plus l'espace pour nous en faire profiter.


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