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Loucher est-il un pari sur l'avenir ?

Publié le 02 novembre 2009 par Fric Frac Club
Loucher est-il un pari sur l'avenir ?

Dans la grande parade des nouveautés estampillées « Rentrée 2009 » bataillent toujours quelques petits nouveaux qui ont, semble t'il, quelque chose à nous raconter. J'ai souvent entendu dire, par la fameuse sagesse populaire, que les « choses » (les choses de la vie) arrivent toujours par série. Il suffit d'un cas d'infanticide en Corée du Sud pour quePATATRAS !une demi-douzaine de jeunes mamans noient, défenestrent, enterrent, congèlent à tout va. La loi des séries dirait le Dauphiné Libéré. Qu'en est-il des carnets, des journaux intimes, des cahiers de bords miraculeusement sauvés des eaux, des flammes, de la guerre par la grâce du Saint-Esprit dont nous parlions avec l'ami Antonio ? Sur ma pile de livres à lire avant qu'il ne soit trop tard (avant que les nouveaux offices en provenance du VI ème arrondissement parisien fassent de la bousculade sur les tables de nos librairies) trois français se tiennent par la main, bien sages - trois premiers romans, trois carnets, journaux intimes, trois cahiers de bord sauvés par blah blah blah... Le premier, Cadence de Stéphane Velut, dont je ne sais toujours pas quoi penser. Le dernier, Nouveaux Indiens de Bonnerave (confession prétexte à quelque chose de plus noir il est vrai – whaou ! un polar in disguise - mais confession tout de même... cahier de notes anthropologiques, pseudo enquête policière en tout cas) sera abordé ici même dans quelques jours. & donc, aujourd'hui, posons nos mirettes rougies par la frénésie éditoriale de ce début de fin d'année sur Un Homme Louche de François Beaune qui a l'économe avantage de proposer deux journaux intimes pour le prix d'un.

Avant de commencer ce papier, le cœur léger ça va sans dire, j'ai lu ici & là quelques critiques (il y en a assez peu d'ailleurs) dans lesquelles il s'agissait de faire de François Beaune soit le nouveau nouveau petit malin de la littérature française de demain, soit de le descendre purement & simplement sans vraiment avancer d'arguments sérieux, si ce n'est quelques citations hors-contexte. J'ai lu sur un blog que « l'on avait crié au génie pour rien » (ce qui est certainement vrai) & que revoilà le travers nombriliste français (ce qui, pour le coup, est totalement faux). Je vais vous dire une bonne chose : moi qui le vois de partout ou presque, je peux affirmer, sans me tromper, qu'Un Homme Louche est loin de tout nombrilisme. Ce qui, pour ce genre d'exercice de style, est plutôt costaud & c'est en fait tout l'inverse sur une bonne partie du roman. Si journal intime il y a, ça n'est que pour mieux parler de l'extérieur, de l'autre, ça n'est, ni plus ni moins, qu'un outil d'observation. Mais cet Homme Louche reste malgré tout un livre difficile à juger. Ni complètement bon, ni totalement mauvais, rempli d'idées lumineuses, d'un humour efficace, de phrases superbes parfois, d'une singularité de ton assez rare de nos jours mais aussi de franches longueurs bien ennuyeuses par moment, de chapitres totalement inutiles & d'une fin assez patapouf & gros sabots dans le genre du journal intime qui finit mal. Seulement, n'est pas Pavese qui veut.

Loucher est-il un pari sur l'avenir ?

Un Homme Louche, & c'est presque trop beau, est un livre ambigu dont le squelette pourrait suivre, à la perfection, les dissensions subit par son personnage. Le fond & la forme : une équipe qui gagne dans ces pages bien aérées... Une structure binaire mais pas que. Plus malin qu'il n'y paraît, Beaune propose un « pacte autobiographique » qui, à mon sens, est assez rare. La première partie du livre se déroule entre octobre 1982 & avril 1983. La narrateur, Glaviot dans ce premier cahier, est un garçon de quatorze ans, habillé comme il peut, les cheveux longs & gras, écoute du hard rock & passe pour un autiste auprès de tout le monde, famille inclue. Loin de se formaliser d'un tel traitement , au contraire, cette mise à l'écart lui permet de s'adonner tranquillement à son projet ; lequel consiste à observer, étudier, analyser la masse humaine en pleine activité. Ainsi, ce premier cahier s'inscrit dans une démarche quasi empirique qui suit un protocole bien précis que rien ne semble pouvoir déranger. Les entrées du journal se suivent au rythme des observations, au rythme de scénettes souvent hilarantes, parfois émouvantes, toujours sans sentimentalisme. Le petit Glaviot est un scientifique de l'humain, un chasseur de l'invisible, d'un quotidien banal & fou à la fois (voir aussi les excroissances 2.0 de Beaune : Les Bonnes Nouvelles de Jacques Dauphin & Louches actualités, véritables encyclopédies absurdes & provinciales) qui essaie de mettre en place un système sans pour autant y apposer des mots ou une visée théorique, chose qu'il fera plus tard, dans le second cahier : « Essais de synthèse : L'homme louche est celui qui sait arrêter son regard sur l'essentiel, qui s'intéresse plus à la merde qu'au chien. » (p276). Cette phrase, que l'on ne peut s'empêcher de rapprocher de celle de David Foster Wallace parlant de la différence qui existe entre Tarantino & Lynch (« Ce qui intéresse Quentin Tarantino, c'est de regarder quelqu'un se faire couper l'oreille ; David Lynch, lui, s'intéresse à l'oreille » , Un truc soi-disant super auquel on ne me reprendra pas, p272) résume assez bien la première partie du livre où le moindre détail n'est pas oublié, où tous les petits travers, les laideurs, les méchancetés d'une France populo & pitoyable (comme si les familles de Malcom & d'Al Bundy avaient forniqué ensemble depuis des siècles & des siècles tout en bouffant des œufs mimosa & des tartines à la crème d'anchois tous les samedis) sont compilés de façon minutieuse & froide. Peut être pas assez car, entre les mots, le Glaviot laisse parfois échapper quelques indices qui le trahissent & fini par être démasquer. Il finira par se faire interner dans un hôpital psychiatrique. Passant ainsi de l'observateur à l'objet observé. Fin du premier cahier.

Le second démarre après une ellipse de vingt-cinq ans. Le Glaviot est devenu Jean-Daniel Dugommier. On apprend qu'il a été marié, qu'il a eu un enfant, que cet enfant s'est suicidé & que sa femme l'a quitté. Seul pour des raisons « scientifiques » étant jeune, le voilà qui se retrouve seul par manque de discernement psychologique à l'orée de la quarantaine. Cette seconde partition comporte elle aussi un grosse masse de notes d'observations. Certainement trop. L'humour & la folle entreprise des débuts ont disparu, les expériences beaucoup moins excitantes. On comprend vite que ce deuxième cahier sera un état des lieux avant dévastation. Jean-Daniel y expose sa théorie du sous-réalisme - loucher permet un angle d'approche différent sur le monde. Soit. Cette facette « théorique » du roman est intéressante mais, malheureusement, noyée par de longs passages un peu insignifiants (déjà dit) sur quelques détails d'un quotidien éminemment domestique, sans la morgue des premières pages. Beaune met en marche des concepts dont on sent qu'ils l'ont excité au moment de les écrire mais qui sonnent creux lorsque nos yeux se posent dessus (le passage où Jean-Daniel échange ses affaires à un lavomatic pour essayer d'être quelqu'un d'autre) & c'est toute l'ambiguïté de ce roman qui promettait de farfouiller dans des buissons jamais explorés & qui fini en témoignage de solitude ultime qui se sait sur le seuil de sa propre fin (je suis en train de mourir) & s'autoparodie jusque dans la dramaturgie des derniers instants (regardez moi en train en train de mourir). Bien dommage.

Je serais tout de même bien plus nuancé avec cet Homme Louche qu'avec Cadence tout simplement parce que la tartine de clichés que nous sert Velut n'esquisse même pas l'ombre d'une approche ici. Puis aussi parce que Cadence est un roman bien trop sérieux & qui le sait & qui voudrait que tout le monde le sache, là où Beaune s'amuse de la distance qui le sépare de son personnage. Au moment de conclure me vient en tête un problème auquel est confronté toute personne voulant donner son avis sur un livre. A savoir qu'un jugement peut être toujours nuancé & reste souvent en suspens... à moins que le livre soit vraiment & irrémédiablement une sombre merde (malheureusement, ça existe). Lorsque l'on s'applique à lire, à décortiquer un roman, il est sans doute difficile de ne pas tiquer à chaque virgule (les chefs-d'œuvre ne poussent pas à tous les coins de rue) sans pour autant prendre un certain plaisir à découvrir une nouvelle voix. Il me semble indiscutable que Beaune soit un de ces rares auteurs français capable de présenter aux lecteurs un monde & une façon d'en parler tout à fait singulière & le fait que j'y trouve quelques passages ennuyeux ou quelques façons dispensables ne doit pas me faire oublier cet effort. Disons que, comme le Nobel d'Obama, c'est un pari sur l'avenir.


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