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Un ami qui vous veut (vraiment) du bien

Par Thibault Malfoy

Jérôme Lafargue signe son premier roman avec L’ami Butler (Quidam Éditeur), à la fois mise en abîme de l’écriture et manifeste pour la reconnaissance de l’imposture comme genre littéraire à part entière. Ce livre propose en effet de subvertir les frontières arbitraires entre fiction et réalité pour y dessiner en filigrane les relations intimes qui s’établissent entre un auteur et son œuvre. Le tout sous la forme d’une enquête tant policière que littéraire, oscillant pendant un bout de chemin sur les franges de la rationalité, avant de sombrer définitivement dans le fantastique, entraînant personnages et lecteur dans son sillage.

L’hypothèse originelle d’incursion d’un personnage de fiction dans la réalité de son auteur est classique. À cette incarnation improbable, Jérôme Lafargue confronte Timon, écrivain à succès (relatif) qui s’est retiré dans une ville singulière pour y voir mourir sa femme atteinte d’un cancer irrémissible. Il y écrit les biographies d’écrivains imaginaires, dont un certain Owen W. Butler, qui bientôt frappe à sa porte. L’histoire commence après qu’on eut signalé la disparition de Timon et sa femme et appelé le frère jumeau de Timon – Johan – qui fait le déplacement pour participer à l’enquête ouverte sur cette affaire. C’est par Johan qu’on découvrira l’envers de l’écriture, lieu de tension perméable entre un imaginaire et la réalité, creusé séminal à la fois confluence de maintes sources d’inspiration et jaillissement d’images dépassant parfois l’alchimiste qui les a invoquées.

Le livre fait alterner des textes de Timon (ses biographies imaginaires, son journal) et l’enquête de Johan, qui se base sur lesdits textes. Dans cette juxtaposition cascadante de différents degrés fictionnels se profilent les mécanismes en œuvre dans le processus créatif, mais aussi les explications de la brouille entre les deux frères et de la coopération toute relative de Johan à l’enquête policière. S’apprécient alors dans un même mouvement narratif la filiation entre un auteur et ses personnages et la succession d’événements qui a mené à la disparition du couple.

Il a déjà été dit que le thème du débordement de la fiction sur le réel est classique. Jérôme Lafargue en est pleinement conscient et en propose un traitement, si ce n’est exhaustif, du moins convaincant, tant les relations de l’écrivain avec son art y sont présentées avec sincérité. On en regretterait peut-être que tout soit trop explicité, laissant peu de non-dits à la sagacité du lecteur et à l’atmosphère générale du livre, qui pour un roman fantastique souffre d’un manque de suggestivité, cependant comblé par un réel talent de l’auteur pour les impostures littéraires et autres mascarades intellectuelles. Dans cet exercice, Jérôme Lafargue côtoie le maître du genre, Borges, offrant des pépites d’indéniable qualité et qui témoignent d’une inventivité rafraîchissante.

Compliment dont on pourrait faire bénéficier l’ensemble de ce premier roman, qui détonne par les perspectives qu’il dégage sur la création littéraire.


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