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Soleil et société

Publié le 02 novembre 2009 par Colinzonska
Soleil et société
© Johan Potma & Mateo
Cette semaine, la température a chuté et les nuages se sont mis à obstruer durablement le ciel. Je me demande tous les jours quand le soleil daignera faire une percée, ne serait-ce qu'une ou deux heures. Je me surprends à consulter la météo, à comparer les températures chaque jour en maugréant, à questionner mes amis sur les températures et le temps dans leur ville, à les envier si le temps est meilleur chez eux. ça tourne à l'obsession et il m'arrive de trouver risible que la météo occupe une telle place dans ma vie. Force est de constater que le soleil me manque, surtout qu'il n'a plus montré le bout de son nez depuis bien deux semaines, sans compter sa présence fortuite le matin très tôt, où j'ai tendance à percevoir sa présence à travers mes rideaux. Je me rendors en espérant qu'il m'attendra avant de s'éclipser une nouvelle fois.
A croire que l'été n'était qu'un songe et que les parcs baignés de l'odeur âcre des saucisses et remplis de Berlinois se faisant dorer n'étaient qu'une chimère. J'entends ma famille et mes amis me répéter "mais tu t'attendais à quoi en t'installant à Berlin, c'est l'Allemagne !". On dirait que dans leur bouche, le mot "Berlin" s'apparente à la Sibérie...

Il faisait quand même 35° cet été et ça je suis sûr que je ne l'ai pas rêvé, à tel point que certains de mes amis, à la peau laiteuse sensible, décidaient de sortir seulement vers 15-16 H pour ne pas attraper de brûlures au second degré. Enfin c'est bien loin tout ça.
Mais l'autre jour, dans l'après-midi, les nuages semblaient avoir plié bagages, le ciel avait bleui, ça me changeait de la couleur soupe au lait dont j'avais fini par faire une overdose. Je décidai alors d'aller au parc. Même dans le froid automnal, je suis à l'affût d'un simple rayon de soleil, aussi bref soit-il, pour réchauffer mes joues, mon front et mon nez. Je ferme les yeux, une traînée de chaleur semble se diffuser dans mes membres. Un bien-être m'envahit, comme si le soleil agissait sur le corps et l'âme à la fois. Ceux qui trouvent cela ridicule, je les mets au défi de passer un automne et un hiver à Berlin. Ils comprendront et ne verront plus le soleil avec les même yeux. Ils se surprendront à le rechercher, voire même à le vénérer.

J'étais à Neukölln, l'un des quartiers encore populaires de la capitale, et pour célébrer ce moment rare, je décidai d'aller au Körner Park, un parc pas très vaste mais très beau avec des jardins sculptés, des escaliers à colonnades et des fontaines majestueuses. Je me serais presque cru à Versailles, certes avec beaucoup d'imagination.

Le seul banc ensoleillé était occupé par une vieille dame. Pour une fois qu'il y avait du soleil, je n'allais pas faire le difficile même si je ne voulais pas déranger. La vieille pouvait bien partager, c'était un parc public après tout. Je lui demandai la permission de m'asseoir à ses côtés, ce à quoi elle acquiesçât avec le sourire, l'air ravi. J'étais tellement content d'être enfin au soleil que j'engageai la conversation, en commençant sur une banalité de rigueur, on pouvait s'estimer heureux que le soleil fût enfin là. On en vint à parler du quartier et j'ignore comment on en est arrivé là, mais elle se mit à déplorer que les étrangers et les jeunes dans les rues de Neukölln ne soient pas plu polis, qu'ils ne la laissât pas passer quand ils étaient plusieurs alignés sur le trottoir, que les temps avaient bien changé et que dans d'autres quartiers comme
Charlottenburg, où habitaient ses enfants, le comportement des gens était bien différent. Je ne manquais pas de souligner que Charlottenburg était un quartier résidentiel assez cher et qu'à Neukölln, les prix étaient encore abordables que ce soit dans le commerce ou dans l'immobilier, même s'ils augmentaient comme partout ailleurs. Habitant Neukölln justement pour cette raison, elle opina du chef. Je lui fis remarquer que le quartier était en train de changer, étant donné que de nombreux étudiants et travailleurs des classes moyennes, issus d'autres quartiers devenus onéreux, emménageaient à Neukölln. Bien que surprise par mon commentaire, elle se rangea de mon avis.

La conversation finit par prendre une tournure plus politique, ce qui m'étonna un peu, moi qui ne demandais rien à personne, qui venais juste chercher le soleil et rien d'autre. Elle regrettait que les étrangers (turcs et immigrés du monde arabe) n'apprennent pas plus la langue allemande et demeurent dans leur culture et leur langue en marge de la société. Pour avoir habité à
Kreuzberg, le quartier originairement turc, et vécu à Neukölln, je pouvais sans problème lui opposer que les étrangers en question étaient bien plus intégrés qu'on ne le croyait, il n'y avait qu'à regarder, pour s'en convaincre, tous les commerces tenus par des turcs et des arabes, fréquentés souvent en majorité par des Allemands et des Berlinois d'adoption. Si ça, ce n'était pas un exemple d'intégration ! C'est vrai que la religion musulmane et la culture orientale exercent dans certains milieux une pression forte, que certaines communautés ne parlent que leur langue, mais tous les milieux n'étaient pas extrémistes, même s'il m'était arrivé quelquefois de voir des femmes en burka, même quand la température avoisinait les 40°. Elle accepta mon argument et revint sur le thème de la langue allemande, le faible niveau en allemand des élèves de parents immigrés, certaines écoles du quartier en avaient fait le constat selon elle. Elle fut partisane des aides sociales accordées aux immigrés qui faisaient l'effort d'apprendre la langue.
Elle même, ressortissante de l'
ex-RDA, elle avait appris le russe à l'université en cours du soir car l'Etat proposait une aide financière aux citoyens qui faisaient cet effort. Elle s'en félicitait et préconisait cette politique de la carotte pour les étrangers. Je n'eus pas le temps de finir de polémiquer, un homme qui devait avoir dans les soixante-dix ans arriva à notre hauteur. Elle s'excusa, me présenta son fils que je saluai d'un "Hallo". Je finis par prendre congé des deux car il était visiblement venu la chercher.

Je demeurais satisfait de mes réparties même si j'essayais de me mettre à sa place et de comprendre ses arguments. Pour elle, ce devait être un double changement brutal. La fin d'un régime totalitaire à l'idéologie communiste, qui cloisonnait son peuple, prenaient soin des familles, payaient mieux l'ouvrier que l'ingénieur en prenant en compte la pénibilité du travail et pourchassait ses opposants. Comme je l'ai déjà entendu de la bouche des personnes ayant vécu en ex-RDA, les "
Ossis", si on ne se mêlait pas de politique, on n'avait pas de problème. Cet argument venait surtout de la part de personnes qui regrettaient moins un régime politique à proprement parler que le monde de leur enfance. Sauf que si on n'était pas un militant actif du Parti, on ne bénéficiait pas d'avantages comme la promotion sociale et une maison secondaire au bord de la Baltique. Et pour couronner le tout, cette vieille dame se retrouvait dans un quartier populaire, habité par des jeunes mal éduqués et beaucoup d'immigrés musulmans dont la culture lui était étrangère et les moeurs curieuses.
Décidément, venir chercher le soleil amène à faire des rencontres intéressantes. 

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