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Interview Seun Anikulapo Kuti

Publié le 23 juin 2009 par Cloudsleeper

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Underground spiritual game

Seun Kuti, le fils du « Black President », s’entretient avec nous de la seule école qu’il ait vraiment connue, l’afrobeat. Cette musique, indissociable de l’activisme politique, est une aussi une danse et un langage d’émancipation. Sur scène, Seun se fond littéralement dans la musique, le corps et la psyché incendiaire de son père. Avec Egypt 80, ils déploient une énergie tellurique qu’ils sont sans doute l’un des seuls à pouvoir atteindre. C’est ce que Fela appelait le « underground spiritual game ». Quelques heures avant son cinquième concert en Belgique, c’est l’occasion de revenir en compagnie du fils héritier sur ce parcours qu’il s’est forgé à force de conviction, de talent et de charisme (à paraître dans le prochain Rif Raf de juillet).

Beaucoup de choses se sont passées depuis la première fois qu’on t’a vu ici en 2005 et maintenant. Comment cela se ressent-il sur scène avec le groupe ?
Seun Kuti :
« C’est clair. Entre temps, on a sorti un album et on a donc fait évoluer notre répertoire. Au tout début, on jouait 90% de Fela et 10% de Seun. Maintenant c’est l’inverse. De plus, on a acquis de plus en plus d’aisance dans notre jeu. Mais je prends les choses de façon plus large. J’ai commencé à jouer avec le groupe dès 8 ans, j’ai vu ce qu’il se passait à ce moment-là avec mon père, puis après sa mort on a continué à jouer jusqu’à ce jour. Il est vrai qu’après sa mort, ça a été vraiment dur pour nous tous. Beaucoup de gens, même dans le groupe, pensaient qu’on ne pourrait plus le faire sans Fela. Quelques amis à moi me charriaient en disant que mon frère [Femi Kuti ndr] avait repris le « Shrine » [la salle de concert que Fela avait lancé au Nigeria ndr] et que moi j’avais repris le truc où il y avait le plus de boulot à faire : jouer avec Egypt 80 ! Pour moi, j’ai toujours cru dans le message de mon père. Non pas parce qu’il est mon père mais en tant qu’Africain. Et c’est cela qui nous a permis de continuer. Il est vrai qu’on a dû se professionnaliser aussi car Fela n’était pas intéressé par le business, l’organisation, la technologie. Il faut dire qu’à ce moment-là, on était jusqu’à 70 dans le groupe… maintenant on est 15 ! C’est plus gérable aussi ! Donc c’est cela qui a changé mais, pour le reste, on a toujours les mêmes bases et la même spécificité. »

Comment s’est passée la remise en route d’Egypt 80 et comment as-tu pu prendre ta place de leader dans un groupe avec une histoire et une musique aussi dense ?
Seun Kuti :
« On n’a jamais vraiment arrêté de jouer mais ça nous a pris dix ans pour sortir un album. Ce fut très long, il y a eu des hauts et des bas et certains membres du groupe sont partis. Mais à présent je trouve que c’est positif d’avoir attendu si longtemps car ça nous a permis de porter notre musique à maturité en faisant par exemple des concerts gratuits partout au Nigeria. Pour moi, je ne dirais pas que je suis le leader car c’est l’unité du groupe qui est essentielle et je la ressens très fort. Je suis le « frontman » du groupe, c’est tout. »

L’Afrobeat est à présent une grande famille, notamment avec des groupes comme Antibalas ou le SoulJazz Orchestra. Il semble qu’il y a beaucoup d’héritier pour la couronne du prince de l’Afrobeat.
Seun Kuti :
« Ces gars-là sont mes amis. Ils sont d’autres pousses d’un même vivier. S’il n’y avait que mon frère et moi pour jouer de l’afrobeat, mon père aurait échoué dans sa mission. Car il s’agit de continuer à promouvoir son message d’émancipation du continent africain. »

De plus en plus de jeunes groupes de rock disent être influencés par la musique africaine. Quelle est ta perception de ce phénomène ?
Seun Kuti :
« On doit éliminer la discrimination dans la musique. Les gens ont perdu beaucoup de choses qu’ils avaient en commun en étant dressés les uns contre les autres, le plus souvent pour des raisons politiques. Or on a besoin justement de partager et de mettre en commun un maximum des choses, à commencer par la musique. Personnellement j’aimerais être influencé par la musique japonaise, par la musique afro-cubaine ou américaine. Les artistes ont tout à gagner à cette ouverture. En tant qu’artiste, je crois également à la compétition pour faire évoluer la qualité de la musique. Regarde le rap aux Etats-Unis, il y a un tel monopole que c’est une musique dont la qualité est en train de décliner sérieusement. »

L’afrobeat est-elle une musique de dénonciation, de rébellion ou une musique d’espoir ?
Seun Kuti :
« C’est juste un message. Elle est nécessaire pour l’émancipation du continent noir. Les gouvernants chez nous sont de tels crétins, que les Nigériens commencent à faire des railleries cyniques du genre : « Ah, mon frère, j’aurais souhaité que mon ancêtre se soit fait prendre comme esclave il y a 400 ans, comme ça, je serais en train de vivre en Amérique une vie nettement meilleure que celle que j’ai ici. ». Qui est responsable de cela ? Ce sont nos gouvernants qui ne gèrent rien d’autre que leur fortune personnelle en exerçant le pouvoir soi-disant en notre nom. Je sais que parfois on me critique parce que je ne dis rien de positif dans mes textes. Mais où irais-je chercher cela ? Je ne parle pas que de mes propres expériences dans mes chansons mais regarde [il montre des cicatrices]: je me suis fait bastonner par la police il y a deux semaines avec un ami. Alors qu’ils pointaient un fusil sur mon pote, je dis : « Comment osez-vous menacer des personnes non armées en pleine rue? Vous n’avez pas le droit de faire ça ! » Résultat, ils nous bottent le cul ! Il n’y a pas de police des polices chez nous et il faut bien te rendre compte que l’impunité des gens qui exercent le pouvoir est totale. On ne peut pas accepter des trucs comme cela. La seule bonne chose en Afrique ce sont les Africains. Mais ils sont maintenus dans une situation de crainte par la répression des gouvernants. Il faut les inciter à refuser cela. »

Comment ton message d’activisme politique est-il perçu par la jeune génération ?
Seun Kuti :
« Tu sais les choses ne vont pas en s’améliorant dans notre pays. Même des notions comme le respect et l’honneur ne se porte pas bien chez nous, alors que c’est la base de l’éducation. Pourquoi ? Parce que nos gouvernants montrent le pire des exemples en volant, en corrompant et en tuant au vu et au su de tout le monde. La plupart du temps, les jeunes sont trop occupés juste à essayer de survivre, donner à manger à leur famille, ou faire face à la brutalité du régime et de la police. Il n’est pas facile pour eux d’avoir du temps pour être des activistes. Mais par contre, c’est le rôle des artistes et des musiciens de dénoncer publiquement. »

Depuis l’an dernier, il y a un « Black President » à la tête des Etats-Unis. Partagez-vous l’enthousiasme de beaucoup d’Africains quant à ce nouveau président ?
Seun Kuti :
« Je n’aurais jamais cru voir cela un jour. Obama sera peut-être un bon président pour son pays. Mais que peut-il faire pour l’Afrique ? Il n’est pas le président de l’Afrique et il a déjà tellement à faire à l’intérieur de ses frontières… Ceci dit pour les Africains c’est bien de voir ce qu’une autre personne d’origine africaine peut arriver à faire : il y a plein d’Obama en puissance dans tous les pays d’Afrique. »

Que peuvent faire les Africains pour s’aider eux-mêmes ?
Seun Kuti : «
L’Afrique est le continent le plus riche en termes de ressources naturelles, or nos gouvernants détournent ces richesses avec la complicité de régimes et d’entreprises étrangères. Il faut dénoncer cela et c’est là qu’interviennent les musiciens africains. Ils ne doivent pas se contenter de faire dans chansons sur l’amour, le sexe ou la danse. Ils ont une conscience à déployer dans tout un continent ! C’est pour cela que vit l’afrobeat. »

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